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14/06/2006 | FRANCE | N°05-82900

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 14 juin 2006, 05-82900


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze juin deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller ROGNON, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE, BRIARD et TRICHET, de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, de la société civile professionnelle MONOD et COLIN, de la société civile professionnelle VINCENT et OHL et de la société civile professionnelle THOMAS-RAQUIN et BENABENT, avocats en la Cour,

et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur l...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze juin deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller ROGNON, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE, BRIARD et TRICHET, de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, de la société civile professionnelle MONOD et COLIN, de la société civile professionnelle VINCENT et OHL et de la société civile professionnelle THOMAS-RAQUIN et BENABENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Alexandre,

- Y... Francis,

- Z... Claude,

- L'AGENCE GUADELOUPEENNE D'AMENAGEMENT DU TERRITOIRE (AGAT),

partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de FORT-DE-FRANCE, chambre correctionnelle, en date du 25 novembre 2004, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre les trois premiers, des chefs de complicité et recel d'abus de biens sociaux, a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires en demande, additionnel et en défense produits ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, de 1978 à 1982, des lettres de change ont été tirées, sous le couvert de marchés de travaux fictifs, par la société Entreprise antillaise des travaux de terrassement (EATT) gérée par Maurice A..., sur la société de développement de la Guadeloupe (SODEG), devenue l'Agence guadeloupéenne d'aménagement du territoire (AGAT), qui, après acceptation, a été tenue, à l'échéance, de les payer aux banques les détenant dans le cadre d'opérations d'escompte ;

Que, sur le renvoi ordonné par un juge d'instruction, les dirigeants et collaborateurs de la SODEG ont été poursuivis et condamnés, par jugement du tribunal correctionnel du 6 avril 2001 et par arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre, du 30 avril 2002, Philippe B... pour avoir, en sa qualité de directeur général, abusé des biens de la société SODEG, en détournant une somme de 71 318 098,85 francs au profit de la société EATT, José C... et Serge D..., respectivement comptable et directeur administratif, pour complicité, le premier, en établissant sciemment les traites et en rachetant une partie de ces effets avec des chèques et des espèces provenant de la société SODEG, le second en signant en toute connaissance ces effets de commerce dépourvus de cause ; que Maurice A... et son épouse Henriette E... ont été déclarés coupables de recel des sommes détournées ; qu'en revanche, Claude Z..., directeur de la société Chase Manhattan Bank, Francis Y..., directeur du crédit de cet établissement financier, et Alexandre X..., directeur de la société de banque Crédit guadeloupéen, auxquels il était reproché d'avoir favorisé la circulation et l'escompte des traites de complaisance, ont été relaxés des chefs de complicité d'abus de biens sociaux et de complicité de recel ;

Que, par arrêt du 3 décembre 2003, la Cour de cassation a, sur le pourvoi de l'AGAT, cassé et annulé l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Basse-Terre, en ses seules dispositions ayant débouté la partie civile de ses demandes de dommages et intérêts et au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

Que, par l'arrêt attaqué, la cour d'appel de renvoi retient que les faits caractérisent le délit de recel d'abus de biens sociaux à l'encontre de Claude Z..., de Francis Y... et d'Alexandre X... mais que l'action civile dirigée contre leurs commettants, civilement responsables, est prescrite ; que, pour débouter la partie civile de ses demandes en dommages-intérêts, les juges relèvent, notamment, que le préjudice résultant des détournements a été réparé par l'exécution de protocoles transactionnels et que des fautes imputables à la victime ont concouru à la réalisation du dommage ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Delaporte, Briard et Trichet pour Alexandre X..., pris de la violation des articles 321-1 du code pénal, 388, 427, 512, 591, 593 du code de procédure pénale, ensemble les droits de la défense, le principe de l'égalité des armes, l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur les seuls intérêts civils, a déclaré l'infraction de recel d'abus de biens sociaux constituée à l'encontre d'Alexandre X..., en sa qualité d'ancien directeur du Crédit Guadeloupéen ;

"aux motifs que, "les dirigeants de cette banque pouvaient d'autant moins ignorer les antécédents de Maurice A... qu'à la suite d'une inspection de la Banque de France en 1978, avait été découverte une pratique de traites non causées, initiée par ce même prévenu à travers les activités EATT et portant déjà, à l'époque, sur 3 millions de francs ; que la banque avait interrompu les facilités de trésoreries et classé ces sommes en "créances douteuses" ; mais attendu qu'aux termes des déclarations de l'ancien directeur du crédit guadeloupéen, M. F..., c'était justement pour "récupérer cette créance et continuer à aider Maurice A..." que d'autres effets de complaisance tirés sur les Antilles-Auto avaient à nouveau été acceptés ; que ce directeur avait tellement conscience qu'il s'agissait d'opérations de cavalerie que n'ayant pas les mêmes liens "privilégiés" avec Philippe B... et Maurice A... que les dirigeants de la Chase Manhattan Bank, il avait, selon ses propres termes, "attiré l'attention de ses clients sur l'irrégularité d'une telle procédure" ; que celle-ci était parfaitement décrite par M. F..., aujourd'hui décédé, expliquant en particulier, qu'arrivé à échéance, les traites étaient réglées auprès de la banque domiciliataire par des effets SODEG ou par des chèques tirés par Maurice A... sur une autre banque (en particulier la Chase Manhattan) ; que ces chèques étaient ensuite eux-mêmes approvisionnés par de nouvelles traites ou de nouveaux chèques ;

que si Alexandre X..., successeur de M. F... conteste, contre toute vraisemblance, avoir eu connaissance de l'ensemble des éléments dont disposait son prédécesseur pour apprécier cette situation, arguant en particulier des manoeuvres entreprises par les autres prévenus pour répartir les effets entre différents établissements bancaires, cette argumentation n'emporte pas la conviction de la cour car, d'une part, un tel oubli n'est pas explicable alors qu'il avait pris soin de recevoir en personne Maurice A... lors de sa prise de fonction et d'autre part, dans les faits, Alexandre X... a eu une analyse de la situation exactement semblable à celle de ses collègues de la Chase Manhattan Bank ;

qu'il a ainsi accepté l'ouverture à Maurice A... d'une ligne d'escompte de 2, 5 millions de francs alors qu'une telle décision ne pouvait être prise sans, nécessairement, s'interroger sur les antécédents de son client au sein de la banque ; que le compte de l'épouse de Maurice A..., Henriette E..., également ouvert dans les livres de la banque, a enregistré des remises de chèques supérieures à 1 200 000 francs entre mars 1979 et mars 1981 alors que l'intéressée n'avait aucune activité professionnelle déclarée ;

qu'apparaît donc constituée à son encontre, comme pour les dirigeants de la Chase Manhattan Bank et pour les mêmes motifs, l'infraction de recel d'abus de biens sociaux" (arrêt attaqué, p. 13 et 14) ;

"alors que, s'il appartient au juge répressif de restituer aux faits poursuivis leur véritable qualification, il ne peut substituer des faits distincts à ceux de la prévention, à moins que le prévenu accepte expressément d'être jugé sur ces faits nouveaux ;

qu'Alexandre X... était poursuivi, aux termes de l'ordonnance de renvoi du 30 juin 2000, pour "s'être rendu complice des délits d'abus de biens sociaux et de recel d'abus de biens sociaux commis par Philippe B... et Maurice A... au préjudice de la SODEG" ;

qu'en déclarant constituée à l'encontre d'Alexandre X... le délit de recel d'abus de biens sociaux, quand les éléments constitutifs du recel, différents de ceux de la complicité, n'étaient pas compris dans la poursuite et sans qu'Alexandre X... ait accepté de comparaître volontairement sous cette nouvelle prévention, la cour d'appel a excédé les termes de sa saisine ;

"alors, en toute hypothèse, que tout accusé a le droit d'être informé des faits qui lui sont reprochés et de la qualification juridique donnée à ces faits ; que, dès lors, si les juges doivent restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en demeure de se défendre sur la nouvelle qualification retenue ; qu'en déclarant l'infraction de recel d'abus de biens sociaux constituée à l'encontre d'Alexandre X..., sans que ce dernier ait été mis en mesure de se défendre sur cette qualification non visée à la prévention, la cour d'appel a méconnu les textes et le principe susvisés ;

"alors, au surplus, que l'émission de traites de complaisance ne constitue pas, en soi, un crime ou un délit de nature à conférer à ces traites une origine frauduleuse ; que, dès lors, la seule connaissance du caractère fictif des opérations auxquelles se rapportent des traites ne suffit pas à caractériser la conscience de l'origine frauduleuse de ces traites ; qu'en se bornant à relever, pour déclarer constitué le délit de recel d'abus de biens sociaux, qu'Alexandre X... avait conscience que les traites remises à l'escompte par Maurice A... et tirées sur la SODEG étaient des effets de complaisance, sans constater qu'il savait que des faits constitutifs d'abus de biens sociaux s'étaient adjoints à la mise en circulation d'effets de complaisance, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"alors, enfin, que tout jugement ou arrêt doit comporter des motifs propres à justifier la décision et exempts d'insuffisance ou de contradiction ; qu'en retenant, pour juger qu'Alexandre X... avait sciemment recelé des sommes provenant d'abus de biens sociaux, que les banquiers n'ignoraient pas "que cette cavalerie se faisait au préjudice de la SODEG et qu'elle ne pouvait résulter que d'un détournement important de fonds" (arrêt, p. 13, alinéa 1), tout en énonçant qu'il n'était "pas établi qu'ils aient su que le produit de l'escompte était détourné par les dirigeants de la Sodeg" (arrêt, p. 13, alinéa 1), la cour d'appel s'est contredite" ;

Sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Monod et Colin pour Francis Y..., pris de la violation des articles 321-1, alinéa 1, du code pénal, 437 de la loi du 24 juillet 1966 devenu l'article L. 242-6 du code de commerce, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré constituée à l'encontre de Francis Y... l'infraction de recel d'abus de biens sociaux au préjudice de la société AGAT, venant aux droits de la SODEG ;

"aux motifs que Francis Y... s'était aperçu, courant 1980, qu'une grande partie des effets présentés à l'escompte par Maurice A... et tirés sur la SODEG avaient une causalité douteuse ; qu'il expliquait, certes, avoir, début 1981, amicalement attiré l'attention de Philippe B..., directeur général de la SODEG, sur l'importance qu'il y avait à ce que les effets soient parfaitement causés c'est-à-dire représentatifs de travaux vérifiés et exécutés et qu'il avait été rassuré par les réponses données par les dirigeants de la SODEG ; mais que cette argumentation est insuffisante car il questionnait en fait une personne susceptible d'être à l'origine des détournements ; qu'en revanche, il ne pouvait ignorer que la SODEG avait un compte ouvert dans les livres de la banque et qu'une surveillance normale des opérations qui y étaient passées faisait ressortir l'existence d'échanges croisés systématiques de traites entre Antilles Automobiles, EATT et la SODEG ; que la banque disposait également des bilans de la SODEG ; qu'il appartenait aux dirigeants de la banque de faire eux-mêmes une analyse sérieuse des documents ainsi transmis ; que l'enquête a permis de déterminer que l'examen des comptes fournisseurs EATT, ouverts dans les livres de la SODEG, permettait de constater pour les années 1979 et 1980 un enregistrement supérieur de 52 300 430 francs au montant des travaux reconnus et enregistrés par les responsables des opérations qui n'était que de 8 357 202 francs ; que, dans ces conditions, l'inaction des prévenus ne s'aurait s'analyser simplement comme une négligence caractérisant éventuellement une faute civile ; qu'en effet, les responsables de la banque ont eu suffisamment d'éléments en leur possession et de discernement pour considérer, en tant que professionnels, qu'il y avait là, de la part de Maurice A..., la mise en place d'un système de traites non causées qui prenait de l'ampleur et ne pouvait s'effectuer qu'au préjudice de son partenaire institutionnel, la SODEG ; que Francis Y... l'a d'ailleurs admis au cours de l'enquête en affirmant : "il est indéniable qu'il s'agissait d'un circuit de cavalerie" ; que, si le diagnostic a bien été fait, contrairement à ce que soutient Claude Z... rien n'est venu mettre fin à cette situation et c'est volontairement que les prévenus n'ont, à aucun moment, pris les mesures qui s'imposaient pour l'interrompre ; que, d'une part, les relations personnelles qu'ils entretenaient, de leur plein gré, avec les auteurs potentiels des infractions qu'ils étaient susceptibles de dénoncer rendaient difficile cette prise de décision ; que, d'autre part, l'intérêt des banquiers dans un marché très concurrentiel, était, de toute

évidence, sinon de favoriser la poursuite de tels agissements, du moins de conserver une clientèle potentiellement très intéressante car apportant de gros capitaux ; qu'elle permettait ainsi aux établissements financiers dont les prévenus étaient des salariés de bénéficier d'agios de l'ordre de 15 à 17% ; qu'enfin, et cela ressort clairement des explications de Claude Z... et Francis Y..., ces derniers ont considéré que si l'irrégularité du procédé était découverte, leur éventuelle participation à ce concert frauduleux s'avérerait sans conséquence car elle serait couverte par la nécessaire régularisation qui interviendrait tant en raison du poids économique de la SODEG, première entreprise de travaux publics du département, que de la qualité de la signature de ceux participant à son financement, département, Etat, Caisse des dépôts et consignations ; qu'ainsi, si le risque bancaire était en réalité majeur et avéré, contrairement à ce que les intéressés soutiennent sans l'ombre d'un argument pertinent, ils ont considéré que le risque financier, pour ne pas dire politique, était potentiellement inexistant ; qu'il sera enfin souligné qu'il n'est pas nécessaire, pour que le recel soit constitué, que le prévenu tire un profit personnel des choses recelées ; qu'il résulte de ce qui précède que, si la prévention de complicité de biens sociaux n'est pas totalement démontrée à l'encontre de Claude Z... et Francis Y... car il n'est pas établi qu'ils aient su que le produit de l'escompte était détourné par les dirigeants de la SODEG et ils n'ont pas activement participé à la réalisation de l'infraction, le recel d'abus de biens sociaux apparaît, en revanche, parfaitement caractérisé, car ils n'ignoraient rien de l'absence de cause économique de la plupart des traites remises à l'escompte par Maurice A..., de ce que cette cavalerie se faisait au préjudice de la SODEG et qu'elle ne pouvait résulter que d'un détournement important de fonds ;

"alors qu'en premier lieu, si le délit de recel d'abus de biens sociaux n'implique pas que le prévenu ait détenu matériellement les fonds eux mêmes, encore faut-il qu'il ait détenu le produit de ces fonds ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui s'est bornée à constater que Francis Y..., prévenu de recel d'abus de biens sociaux, aurait eu conscience que les traites remises à l'escompte auprès de la banque dont il était directeur de crédit étaient non causées, n'a, à aucun moment, constaté qu'il aurait, de quelque façon que ce soit, détenu le produit de ces traites ; qu'en décidant, dans ces conditions, que l'infraction était constituée à l'encontre de Francis Y..., la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;

"alors qu'en deuxième lieu, si le délit de recel d'abus de biens sociaux n'implique pas que le prévenu ait détenu matériellement les fonds eux mêmes, dès lors qu'il en a détenu le produit, encore faut-il, pour que le délit soit constitué, que celui-ci ait profité, en connaissance de cause, du produit provenant de l'utilisation de ces fonds ; qu'en décidant qu'il n'est pas nécessaire, pour que le recel d'abus de biens sociaux soit constitué, que le prévenu tire un profit personnel des choses recelées, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;

"alors qu'en troisième lieu, le recel suppose la connaissance certaine, de la part de l'auteur de l'infraction de l'origine frauduleuse de la chose recelée ; qu'en retenant à la fois qu'il n'était pas établi que les prévenus aient su que le produit de l'escompte était détourné par les dirigeants de la SODEG et qu'ils n'ignoraient rien de ce que cette cavalerie se faisait au préjudice de la SODEG, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs contradictoires, entachant sa décision d'un défaut de base légale au regard des dispositions susvisées" ;

Sur le deuxième moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Monod et Colin pour Francis Y..., pris de la violation 321-1, alinéa 1, du code pénal, 437 de la loi du 24 juillet 1966 devenu l'article L. 242-6 du code de commerce, 388, 427, 512 et 593 du code de procédure pénale, 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur les seuls intérêts civils, a déclaré constituée à l'encontre de Francis Y... l'infraction de recel d'abus de biens sociaux au préjudice de la société AGAT, venant aux droits de la SODEG ;

"aux motifs que Francis Y... s'était aperçu courant 1980 qu'une grande partie des effets présentés à l'escompte par Maurice A... et tirés sur la SODEG avaient une causalité douteuse ; qu'il expliquait, certes, avoir, début 1981, amicalement attiré l'attention de Philippe B..., directeur général de la SODEG, sur l'importance qu'il y avait à ce que les effets soient parfaitement causés c'est-à-dire représentatifs de travaux vérifiés et exécutés et qu'il avait été rassuré par les réponses données par les dirigeants de la SODEG ; mais que cette argumentation est insuffisante car il questionnait en fait une personne susceptible d'être à l'origine des détournements ; qu'en revanche, il ne pouvait ignorer que la SODEG avait un compte ouvert dans les livres de la banque et qu'une surveillance normale des opérations qui y étaient passées faisait ressortir l'existence d'échanges croisés systématiques de traites entre Antilles Automobiles, EATT et la SODEG ; que la banque disposait également des bilans de la SODEG ; qu'il appartenait aux dirigeants de la banque de faire eux-mêmes une analyse sérieuse des documents ainsi transmis ; que l'enquête a permis de déterminer que l'examen des comptes fournisseurs EATT, ouverts dans les livres de la SODEG, permettait de constater pour les années 1979 et 1980 un enregistrement supérieur de 52 300 430 francs au montant des travaux reconnus et enregistrés par les

responsables des opérations qui n'était que de 8 357 202 francs ; que, dans ces conditions, l'inaction des prévenus ne s'aurait s'analyser simplement comme une négligence caractérisant éventuellement une faute civile ; qu'en effet, les responsables de la banque ont eu suffisamment d'éléments en leur possession et de discernement pour considérer, en tant que professionnels, qu'il y avait là, de la part de Maurice A..., la mise en place d'un système de traites non causées qui prenait de l'ampleur et ne pouvait s'effectuer qu'au préjudice de son partenaire institutionnel, la SODEG ; que Francis Y... l'a d'ailleurs admis au cours de l'enquête en affirmant : "il est indéniable qu'il s'agissait d'un circuit de cavalerie" ; que, si le diagnostic a bien été fait, contrairement à ce que soutient Claude Z... rien n'est venu mettre fin à cette situation et c'est volontairement que les prévenus n'ont, à aucun moment, pris les mesures qui s'imposaient pour l'interrompre ; que, d'une part, les relations personnelles qu'ils entretenaient, de leur plein gré, avec les auteurs potentiels des infractions qu'ils étaient susceptibles de dénoncer rendaient difficile cette prise de décision ; que, d'autre part, l'intérêt des banquiers dans un marché très concurrentiel, était, de toute évidence, sinon de favoriser la poursuite de tels agissements, du moins de conserver une clientèle potentiellement très intéressante car apportant de gros capitaux ; qu'elle permettait ainsi aux établissements financiers dont les prévenus étaient des salariés de bénéficier d'agios de l'ordre de 15 à 17% ; qu'enfin, et cela ressort clairement des explications de Claude Z... et Francis Y..., ces derniers ont considéré que, si l'irrégularité du procédé était découverte, leur éventuelle participation à ce concert frauduleux s'avérerait sans conséquence car elle serait couverte par la nécessaire régularisation qui interviendrait tant en raison du poids économique de la SODEG, première entreprise de travaux publics du département, que de la qualité de la signature de ceux participant à son financement, département, Etat, Caisse des dépôts et consignations ; qu'ainsi, si le risque bancaire était en réalité majeur et avéré, contrairement à ce que les intéressés soutiennent sans l'ombre d'un argument pertinent, ils ont considéré que le risque financier, pour ne pas dire politique, était potentiellement inexistant ; qu'il sera enfin souligné qu'il n'est pas nécessaire, pour que le recel soit constitué, que le prévenu tire un profit personnel des choses recelées ; qu'il résulte de ce qui précède que, si la prévention de complicité de biens sociaux n'est pas totalement démontrée à l'encontre de Claude Z... et Francis Y... car il n'est pas établi qu'ils aient su que le produit de l'escompte était détourné par les dirigeants de la SODEG et ils n'ont pas activement participé à la réalisation de l'infraction, le recel d'abus de biens sociaux apparaît, en revanche, parfaitement caractérisé, car ils n'ignoraient rien de l'absence de cause économique de la plupart des traites remises à l'escompte par Maurice A..., de ce que cette cavalerie se faisait au préjudice de la SODEG et qu'elle ne pouvait résulter que d'un détournement important de fonds ;

"alors que, s'il appartient au juge répressif de restituer aux faits poursuivis leur véritable qualification, il ne peut substituer des faits distincts à ceux de la prévention à moins que le prévenu accepte expressément d'être jugé sur ces faits nouveaux ; que, renvoyé pour complicité des délits d'abus de biens sociaux et de recel d'abus de biens sociaux, la cour d'appel a déclaré constituée à l'encontre de Francis Y... le délit de recel d'abus de biens sociaux dont les éléments constitutifs, différents de ceux de complicité de recel d'abus de biens sociaux, n'étaient pas compris dans la poursuite ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;

"alors qu'en tout état de cause, tout accusé a le droit d'être informé des faits qui lui sont reprochés et de la qualification juridique donnée à ces faits ; qu'en s'abstenant d'inviter Francis Y... à s'expliquer sur la nouvelle qualification de recel d'abus de biens sociaux qu'elle retenait, la cour d'appel a méconnu les droits de la défense et violé les dispositions susvisées" ;

Sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Vincent et Ohl pour Claude Z..., pris de la violation des articles 321-1 du code pénal, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a, "dans le cadre de sa seule saisine relative à des faits d'abus de biens", déclaré constituée à l'encontre de Claude Z... l'infraction de recel d'abus de biens sociaux au préjudice de la société AGAT, venant aux droits de la SODEG, et en ce qu'il a condamné Claude Z..., solidairement avec les parties pénalement condamnées et avec Francis Y... et Alexandre X..., aux entiers dépens qui comprendront expressément le montant des frais et expertises pris en charge par l'Agat s'élevant à la somme de 94.518,39 euros ;

"aux motifs que les juridictions répressives ne peuvent statuer, sur intérêts civils, que dans la limite des faits visés par l'ordonnance ou la citation qui les a saisies ; que les prévenus relaxés définitivement par le tribunal ont explicitement indiqué à l'audience de la cour qu'ils n'acceptaient pas d'être jugés sur une prévention distincte, en ses éléments constitutifs, de celle visée par la prévention ; qu'il en résulte que la cour excèderait ses pouvoirs en recherchant, comme le lui demande l'appelante, si Claude Z..., Alexandre X... et Francis Y... s'étaient rendus coupables d'autres infractions pénales, comme par exemple une complicité de banqueroute voire une escroquerie ; qu'il convient, dès lors, d'examiner les faits reprochés à Francis Y..., Claude Z... et Alexandre X..., renvoyés devant le tribunal pour complicité et recel du délit d'abus de bien sociaux (arrêt attaqué, page 9, 2 à 5) ;

"alors, d'une part, que, s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits poursuivis leur véritable qualification, ils ne peuvent substituer des faits distincts à ceux de la prévention, à moins que le prévenu accepte expressément d'être jugé sur ces faits nouveaux ; qu'en déclarant constituée à l'encontre de Claude Z... l'infraction de recel d'abus de bien sociaux au préjudice de la société Agat, infraction distincte en ses éléments constitutifs de celle de complicité de ce délit, bien qu'elle eût elle-même constaté que Claude Z... avait refusé d'être jugé sur une prévention distincte et alors que, contrairement à ses énonciations, l'intéressé n'avait été renvoyé devant le tribunal, aux termes clairs et précis de l'ordonnance de renvoi, que sous la prévention de s'être rendu complice du délit de recel de bien sociaux, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

"et alors, d'autre part, et en toute hypothèse, que, s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ; qu'à supposer même que la cour d'appel ait été en mesure de puiser dans les faits visés à la prévention les éléments de la qualification retenue, il ne résulte ni des mentions de l'arrêt ni des pièces de la procédure que Claude Z... ait été invité à se défendre sur cette nouvelle qualification, de sorte qu'en prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel aurait en toute hypothèse méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour déclarer constitué à l'encontre de Claude Z..., Francis Y... et Alexandre X... le délit de recel d'abus de biens sociaux, alors que l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel visait la complicité des délits d'abus de biens sociaux et de recel, l'arrêt prononce par les motifs repris aux moyens ;

Attendu que, si c'est à tort que la cour d'appel a requalifié les faits sans avoir mis les prévenus en mesure de présenter leur défense sur la nouvelle qualification, l'arrêt n'encourt cependant pas la censure dès lors que, tels qu'ils ont été souverainement constatés par les juges, les faits reprochés aux prévenus constituent des actes d'aide et d'assistance antérieurs ou concomitants à la consommation des infractions d'abus de biens sociaux et de recel et caractérisent la complicité de ces délits visée par les poursuites et sur laquelle les intéressés se sont expliqués ;

D'où il suit que les moyens ne sauraient être admis ;

Mais sur le second moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Delaporte, Briard et Trichet pour Alexandre X..., pris de la violation des articles 475-1, 591, 593 et 800-1 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Alexandre X... aux entiers dépens de l'action civile et dit qu'ils comprendront le montant des frais et expertises pris en charge par la partie civile et s'élevant à 94 518, 39 euros ;

"alors, d'une part, que les frais de justice criminelle, correctionnelle et de police sont à la charge de l'Etat et sans recours envers les condamnés ; qu'en condamnant le prévenu aux dépens de l'action civile, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"alors, d'autre part, que les frais de justice afférents à l'action civile, lorsqu'ils ne sont pas pris en charge par l'Etat, entrent dans les seules prévisions de l'article 475-1 du code de procédure pénale ; qu'en condamnant Alexandre X... aux paiement des frais d'expertise pris en charge par la partie civile, après avoir dit "n'y avoir lieu à application de l'article 475-1 du code de procédure pénale", la cour d'appel a méconnu les textes susvisés" ;

Sur le troisième moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Monod et Colin pour Francis Y..., pris de la violation des articles 475-1, 593 et 800-1 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Francis Y... aux entiers dépens qui comprendront le montant des frais et expertises pris en charge par l'AGAT et s'élevant à la somme de 94 518,39 euros ;

"alors que, d'une part, les frais de justice criminelle, correctionnelle et de police sont à la charge de l'Etat et sans recours contre les condamnés ; qu'en condamnant Francis Y... aux dépens de l'action civile, la cour d'appel a violé les dispositions précitées ;

"alors que, d'autre part, les frais de justice afférents à l'action civile lorsqu'ils ne sont pas pris en charge pas l'Etat entrent dans les seules prévisions de l'article 475-1 du code de procédure pénale ; qu'en condamnant Francis Y... au paiement des frais d'expertise pris en charge par la partie civile après avoir "dit n'y avoir lieu à application de l'article 475-1 du code de procédure pénale", la cour d'appel a méconnu les textes susvisés" ;

Sur le second moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Vincent et Ohl pour Claude Z..., pris de la violation des articles 475-1, 800-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Claude Z..., solidairement avec les parties pénalement condamnées et avec Francis Y... et Alexandre X..., aux entiers dépens qui comprendront expressément le montant des frais et expertises pris en charge par l'AGAT s'élevant à la somme de 94 518,39 euros ;

"aux motifs que sur les dépens l'AGAT est bien fondée à réclamer la condamnation de Maurice A... et Henriette E..., épouse A..., de Philippe B..., Serge D..., José C..., Claude Z..., Francis Y..., Alexandre X... aux entiers dépens qui comprendront expressément le montant des frais et expertises pris en charge par l'AGAT et s'élevant à la somme de 94 518,39 euros (arrêt attaqué, page 20, in fine) ;

"alors, d'une part, qu'aux termes de l'article 800-1 du code de procédure pénale, les frais de justice correctionnelle sont à la charge de l'Etat ; qu'aux termes de l'article R. 92 du code pénal, entrent notamment dans ces frais les honoraires et indemnités qui peuvent être accordés aux experts, de sorte qu'en condamnant Claude Z... aux entiers dépens, sans s'expliquer autrement sur la nature des "frais et expertises" "pris en charge par la partie civile", la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a violé les textes et principes susvisés ;

"et alors, d'autre part, et en toute hypothèse, que doivent être déclarés nuls les jugements ou arrêts dont le dispositif contient des décisions contradictoires ; que les frais de justice, lorsqu'ils ne sont pas pris en charge par l'Etat, entrent dans les seules prévisions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, de sorte qu'en condamnant Claude Z... aux entiers dépens tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 475-1 du code de procédure pénale, la cour d'appel a derechef violé l'article 593 du code de procédure pénale" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 800-1 du code de procédure pénale, ensemble l'article 475-1 du même code ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, les frais de justice criminelle, correctionnelle et de police sont à la charge de l'Etat et sans recours envers les condamnés ;

Attendu que l'arrêt, après avoir déclaré constitué à l'encontre de Claude Z..., Francis Y... et Alexandre X... le délit de recel d'abus de biens sociaux, sur le seul appel de la partie civile déboutée de ses demandes, les condamne aux entiers dépens comprenant le montant des frais et expertises pris en charge par la partie civile ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, après avoir dit n'y avoir lieu à application de l'article 475-1 du code de procédure pénale, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Et, sur le deuxième moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Lyon-caen, Fabiani et Thiriez pour la société AGAT, pris de la violation des articles 1382, 2044 du code civil, 437 de la loi du 24 juillet 1966, L. 242-6 du code de commerce, 460, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a débouté la partie civile de sa demande de dommages et intérêts en considérant que le préjudice avait été réparé par un protocole d'accord portant apurement de son passif ;

"aux motifs qu' "il résulte des pièces versées aux débats, qu'à une date non précisée, mais pouvant être située en 1987, un protocole d'accord concernant l'apurement du passif de l'AGAT dans le cadre de la dissolution de la société a été signé entre l'Etat, le département de la Guadeloupe, la Caisse centrale de coopération économique et la Caisse des dépôts et consignations ;

que ce protocole a manifestement eu, en partie, pour objet le remboursement du passif de la société résultant du détournement estimé à l'époque à environ 70 millions de francs ; que, certes, les prévenus n'ont pas été parties à ce protocole ; que, cependant, la seule lecture du document permet de se convaincre que la SODEG a contracté, entre 1982 et 1987, un prêt de 70 millions auprès de la Caisse des dépôts et consignations, garanti à parité par le département et l'Etat, ensuite en avril 1984, deux autres prêts participatifs pour un montant global de 32 millions de francs, consentis par la SODEGA et le département de la Guadeloupe ;

que le montant du prêt de 70 millions avait de toute évidence pour objet la réparation totale du sinistre né des infractions pénales supportées par la SODEG ; que cet objectif résulte en effet clairement du préambule du protocole : "en juin 1981, la société SODEG découvrait l'important détournement de fond dont elle était victime. Cette situation nécessitait la mise en oeuvre d'un premier plan de redressement qui se traduisait, dès 1982, par la mobilisation par la société auprès de la Caisse des dépôts et consignations d'un prêt de 70 millions de francs garanti à parité par le département et par l'Etat" ; qu'il est exact que, dans le cadre de la liquidation de l'AGAT, le liquidateur a entrepris de rembourser des "appels de fonds" à ses créanciers dont l'Etat, le département, la Caisse des dépôts et la SODEGA ; que, cependant, l'appelante ne justifie pas de la ventilation de ses "reversements de trésorerie" ; qu'il est, en l'état du dossier, impossible de savoir si ces reversements ont été affectés au remboursement des prêts octroyés dans le cadre du détournement de fonds car d'autres prêts, sans relation avec l'affaire, étaient en cours à la même période : qu'il peut d'ailleurs être soutenu, ainsi que l'argumentent certains des intimés, qu'il ne résulte nullement du protocole de 1987 que les sommes avancées par l'Etat ou le département dans le cadre de l'apurement du passif de la société aient été destinées à être remboursées ; qu'il pouvait s'agir de subventions ; qu'en tout état de cause, non seulement cette

obligation de remboursement, nécessairement, à la charge de la SODEG ou de l'AGAT ne résulte d'aucun terme du protocole mais n'est pas même évoquée par les différents signataires ; qu'en revanche, il résulte de ce même document qu'entre l'Etat, le département, la Caisse centrale, la Caisse des dépôts et consignations, il a été convenu des dispositions permettant de procéder à la liquidation amiable de l'AGAT dans les meilleures conditions : 1 ) l'Etat confirme la garantie à 50% de l'emprunt de 70 millions capital et intérêts ;

2 ) le département confirme la garantie à 50 % de l'emprunt de 70 millions de francs dans les mêmes conditions ;

3 ) Le présent protocole et ses annexes confèrent aux engagements un caractère irrévocable : qu' enfin, si l'AGAT a demandé, pour la première fois, en février 2001, la capitalisation des intérêts sur les sommes restant dues, elle ne saurait, comme elle le fait dans ses conclusions, en faire remonter les effets en 1981 alors que le préjudice n'est encore pas fixé, ni certain, dans les termes qu'elle revendique ; qu'enfin, il sera précisé, qu'à la suite du versement de ce prêt de 70 millions, le déficit structurel de l'AGAT s'est poursuivi alors même que les détournements, objet du présent litige avaient cessé ; qu'il a fallu six ans pour que le maintien de la SODEG, considéré par le préfet de la Guadeloupe dans son rapport fait au conseil général du département lors de la seconde session de 1981 comme répondant "à une volonté clairement manifestée par votre assemblée de conserver cet outil nécessaire au développement du département", fasse place à la décision, lors d'une assemblée générale du 27 novembre 1987, de dissoudre, par anticipation, la société ; que, s'agissant du préjudice financier et économique, que la cour constate, ainsi qu'il vient d'être rappelé, l'existence d'accords partiels avec certaines banques (BRED, Chase Manhattan Bank), un abandon de créances par d'autres établissements bancaires (BNP, Crédit Martiniquais en particulier) pour un montant global d'environ 15 millions de francs, enfin l'existence du protocole de 1987 qui a indiscutablement pris en compte la totalité du préjudice financier et économique, tel qu'évalué par la SODEG en 1981, pour 70 millions de francs" ;

"alors que, d'une part, les juges du fond doivent réparer intégralement le préjudice résultant d'une infraction ; qu'un protocole d'accord portant apurement du passif d'une société vise à éteindre les dettes de cette dernière et n' a pas pour objet de réparer le préjudice résultant d'une infraction alors même que celle-ci serait à l'origine du passif apuré ; que, par conséquent, un tel protocole d'accord ne peut être pris en compte dans l'évaluation de la réparation due à la victime pour le préjudice causé par l'infraction ;

que, par ailleurs, un protocole d'accord d'apurement du passif d'une société, alors que celui-ci trouverait son origine dans la commission de l'infraction, ne peut pas limiter la réparation due par l'auteur de cette infraction lorsque celui-ci n'a pas été partie audit protocole, lequel ne peut dès lors s'analyser en une transaction sur la réparation ; que, par conséquent, en refusant d'allouer des dommages et intérêts à la société AGAT, au motif qu'avait été passé un protocole d'accord concernant l'apurement du passif de la société AGAT, alors que ce protocole n'avait pas pour objet la réparation du préjudice causé par les abus de biens sociaux et que les intimés n'y étaient pas parties, ce que ne nie pas la cour d'appel, celle-ci a violé le principe susénoncé ;

"alors que, d'autre part, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice résultant d'une infraction, ils ne sauraient fonder leur appréciation sur des motifs insuffisants, contradictoires ou ne répondant pas aux conclusions des parties ;

que le préjudice de la victime de détournements de fonds ne peut éventuellement être réparé par le paiement par un tiers des dettes résultant de ce détournement que lorsque les sommes ainsi remises lui sont définitivement acquises ; que, pour considérer que le préjudice de la partie civile avait été réparé par le protocole d'accord portant apurement du passif, la cour d'appel a considéré qu'il n'était pas établi que ce protocole portait sur un prêt et que la partie civile n'établissait à cet égard pas qu'elle avait dû rembourser ledit prêt ;

que la cour d'appel se prononce par des motifs contradictoires dès lors qu'elle constate elle-même que le protocole portait sur un prêt garanti pour moitié par l'Etat et pour moitié par le département et dès lors qu'il importait peu de savoir si ce prêt avait déjà fait l'objet de remboursement de la part de la partie civile, le remboursement pouvant éventuellement en être demandé à la partie civile, soit par le prêteur, soit par les collectivités publiques qui avaient apporté leur garantie, celles-ci pouvant souhaiter attendre que la partie civile ait été indemnisée de son préjudice pour en demander remboursement, et en méconnaissant les termes de ce protocole qui prévoyait que les sommes qui seraient récupérées par la société contre les auteurs de l'infraction seraient reversées aux garants ;

"alors, enfin, que les juges du fond doivent réparer le préjudice dans les limites des conclusions des parties ; qu'en faisant état de l'abandon de créances par la BNP et le Crédit martiniquais alors qu'aucune des parties n'avaient invoqué ce fait comme venant limiter le droit à réparation des prévenus, la cour d'appel a violé le principe ci-dessus rappelé" ;

Sur le troisième moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Lyon-caen, Fabiani et Thiriez pour la société AGAT, pris de la violation des articles 1382 et 2044 du code civil, 437 de la loi du 24 juillet 1966, L. 242-6 du code de commerce, 460 du code pénal, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a débouté la partie civile de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre des personnes définitivement condamnées, comme des dirigeants de la Chase Manhattan Bank et du Crédit guadeloupéen, aux droits de laquelle venait la BRED, qui ont été déclarés responsables de recel d'abus de biens sociaux ;

"aux motifs que, "une transaction a été signée, le 4 mai 1982, entre la SCET et les banques Chase Manhattan et la BRED, venue aux droits du Crédit guadeloupéen ; que, si l'AGAT soutient que cette transaction ne lui serait pas opposable au motif qu'elle n'en aurait pas été directement signataire, il n'en demeure pas moins que la société centrale pour l'équipement du territoire a bien cherché, au nom et pour la SODEG, un accord transactionnel, avec certains des établissements financiers entretenant des relations commerciales avec elle ; qu'il convient en effet de rappeler que, le 29 avril 1982, la SCET International, agissant en vertu "du mandat qui m'a été conféré par la SODEG lors de ses conseils d'administration du 30 octobre 1981" demandait à la Chase Manhattan Bank de confirmer votre accord sur les dispositions suivantes qui régleraient, conformément au plan de redressement approuvé par les pouvoirs publics, les problèmes qui sont apparus entre la Chase Manhattan Bank et la SODEG à la suite de l'escroquerie dont cette dernière a été victime ; qu'aux termes de cet accord, la SODEG remboursait à la Chase Manhattan Bank son découvert, net d'intérêts échus, pour plus de 9 millions de francs, la banque abandonnant en contre-partie les intérêts courus sur cette somme et s'engageant à ne pas présenter au

paiement trois effets tirés sur la SODEG pour un montant supplémentaire d'environ 3 millions de francs et s'engageant enfin à poursuivre prioritairement sur le tiré (Antilles Automobiles) quatre effets totalisant 2 630 000 francs ; que, pour sa part, la BRED s'engageait à ne pas présenter au paiement 5 effets escomptés par EATT pour un montant de plus de 4 400 000 francs représentant plus de 80% de sa ligne d'escompte à cette date ; que ces propositions ont été acceptées par les banques et ont été exécutées ; qu'en droit, cet échange de lettre doit bien s'analyser comme emportant transaction et qu'en tout état de cause, l'AGAT ne saurait désormais venir réclamer aux banquiers, personnes physiques, les sommes ayant fait l'objet de cette transaction, qui, si elle est intervenue antérieurement au dépôt du rapport d'expertise Thorin-Fourcade du mois de novembre 1982, n'en a pas moins pris en compte certains des éléments, déjà parfaitement connus de ce rapport" ;

"alors que, d'une part, les transactions ne sont opposables qu'aux parties ; qu'un mandataire ne peut agir pour l'une des parties qu'en vertu d'un mandat exprès et, en tout état de cause, d'un mandat écrit lorsqu'il porte un objet d'une valeur supérieure à celle visée dans l'article 1341 du code civil ;qu'en l'espèce, il était soutenu dans les conclusions régulièrement déposées pour la partie civile, que la prétendue transaction aurait été passée par la SCET qui s'était prétendue mandataire de l'AGAT, sans qu'aucun mandat exprès ait pu être présenté et alors que la partie civile niait avoir donné un tel mandat, et que, dans ces conditions, ce mandat ne lui était pas opposable ; qu'en effet, nul ne peut se préconstituer de preuve à soi-même ; que, par ailleurs, le mandat se prouve par écrit en vertu de l'article 1341 du code civil ;

que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait considérer que ce mandat était établi en se contentant de constater que les lettres échangées qui seraient constitutives de transaction indiquaient que le SCET agissait en vertu d'un mandat de la partie civile, pour estimer que celui-ci lui était opposable, comme la prétendue transaction qui en résultait ;

"alors que, d'autre part, l'auteur d'une infraction étant tenu de réparer intégralement le préjudice en résultant, il ne saurait se prévaloir d'un protocole d'accord auquel il n'était pas partie pour soutenir qu'il ne doit pas indemniser la victime ; que, dès lors, les dirigeants des deux banques en cause, en l'espèce, ne pouvaient pas invoquer le bénéfice d'une transaction à laquelle ils n'étaient pas parties pour exclure tout ou partie de l'indemnisation du préjudice subi par la partie civile et d'autant que la cour d'appel constatait que le protocole avait été passé en vue de permettre le redressement de la société, et non pour réparer le préjudice auquel auraient participé les salariés des deux banques, parties à ce protocole ;

"alors que, de troisième part, en vertu de l'article 2048 du code civil, les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ;

qu'en l'espèce, faute d'avoir constaté à quels droits renonçaient les parties par l'échange des lettres du 29 avril 1982 et du 4 mai 1982, l'arrêt n'a pu justifier la décision par laquelle il a estimé qu'était en cause une transaction sur la réparation du préjudice né des infractions en cause, limitant ou excluant le droit à réparation de la partie civile ;

"alors qu'enfin, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice résultant d'une infraction, ils ne sauraient fonder leur appréciation sur des motifs insuffisants, contradictoires ou ne répondant pas aux conclusions des parties ;

que le préjudice de la victime de détournements de fonds ne peut éventuellement être réparé par le paiement par un tiers des dettes résultant de ce détournement que lorsque les sommes ainsi remises lui sont définitivement acquises ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui constatait que les banques n'avaient pas renoncé à tout paiement de créances qu'elles s'engageaient à présenter prioritairement aux tirés, ne pouvait en déduire que la transaction portant sur ces créances comportait limitation du droit à réparation de la partie civile pour une somme comportant le montant de cette créance, sans violer le principe selon lequel la victime a droit à la réparation intégrale de son préjudice" ;

Sur le cinquième moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Lyon-caen, Fabiani et Thiriez pour la société AGAT, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a débouté la partie civile de sa demande de réparation du préjudice moral subi par la partie civile ;

"aux motifs que, "en ce qui concerne le préjudice moral, à supposer qu'il existe, la faute de surveillance du conseil d'administration et des représentants de la SCET apparaît à la cour déterminante dans sa réalisation ; que, sur ce dernier point également, l'appelante sera déboutée de ses demandes ; que, ce n'est pas sans pertinence que les intimés font également plaider un partage de responsabilité en raison de la participation de la SODEG à la réalisation de son propre dommage ; que les engagements financiers de la SODEG étaient en théorie, étroitement contrôlés, puisqu'aussi bien, en dehors de son actionnariat composé des collectivités territoriales et de la Caisse des dépôts et consignations, elle avait comme commissaire aux comptes l'inspecteur principal du Trésor et un comptable agréé ;

qu'elle avait par ailleurs, comme administrateur, non seulement des représentants des communes et du département, mais aussi le préfet de la Guadeloupe, le trésorier payeur général du département et pour la Caisse des dépôts et consignations, via la SCET International, son directeur général ; que le contrôle des travaux réalisés par la SODEG, leur réalité, leur coût, les visas préalables aux règlements des entreprises étaient de la compétence du Bureau d'études Caraïbes (BECAR) créé par la SCET ; qu'enfin, les comptes et les bilans de la SODEG, avant d'être approuvés par le conseil d'administration, devaient être certifiés par les deux commissaires aux comptes ; qu'il résulte à l'évidence de l'examen des documents, circonstances et faits de la cause que, dans le cadre d'une vigilance normalement exercée, une prise de conscience de la situation par l'ensemble des intervenants aurait dû intervenir antérieurement au refus du cabinet d'expertise comptable Jouffre, en 1981, de certifier le bilan, le compte d'exploitation générale et le compte de pertes et profits, en raison d'anomalies affectant notamment les exercices 1979 et 1980 ; qu'à supposer même, que, sur la totalité des paiements litigieux, soit environ 55 millions de francs, certains se soient trouvés justifiés par des situations de travaux discutées ou égarées, selon les explications données lors de l'instruction par Philippe B... et José C..., il n'en demeure pas moins que des paiements ont été effectués par la SODEG, à hauteur de 40 millions de francs, pour des achats de matériaux et la réalisation des travaux au bénéfice d'EATT et du groupe Audebert qui se sont avérés fictifs, sans le moindre justificatif ni la moindre référence à un marché, entre juillet 1978 et août 1979 ; que l'importance de ces paiements, au regard du montant des travaux effectivement réalisés et facturés par EATT (moins de 9 millions de francs), était de nature, à tout le moins, d'attirer l'attention des membres du conseil d'administration de la SODEG et de la SCET et de les amener à s'interroger sur la réalité des règlements de situation

ainsi effectués ; qu'ils ne pouvaient ignorer, en outre, qu'en raison de la taille modeste d'EATT et de ses sous-traitants, ces derniers auraient les plus grandes difficultés à réaliser des travaux d'une telle importance ou à fournir de telles quantités de matériaux ; qu'il apparaît donc, au vu de ce qui précède, qu'une faute de surveillance peut être reprochée au conseil d'administration de la SODEG et à la SCET qui a, indiscutablement, participé à la réalisation du préjudice de l'appelante" ;

"alors que, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice résultant d'une infraction, ils ne sauraient fonder leur appréciation sur des motifs procédant d'une erreur de droit ; qu'aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison d'une négligence de la victime, le montant des réparations civiles dues à celle-ci par l'auteur d'une infraction intentionnelle contre les biens, le délinquant ne pouvant être admis à tirer un profit quelconque de l'infraction ; que, par conséquent, en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait refuser de réparer le préjudice, même moral, de la partie civile en constatant des négligences de sa part qui auraient permis la réalisation des infractions" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 1382 du code civil ;

Attendu que l'auteur d'un délit est tenu de réparer intégralement le préjudice en résultant ;

Attendu que, pour refuser toute réparation du préjudice subi par l'AGAT résultant des délits poursuivis, l'arrêt retient, notamment, que, d'une part, une transaction signée le 4 mai 1982 entre la société Chase Manhattan Bank, la société BRED, venant aux droits du Crédit guadeloupéen, et la Société centrale pour l'équipement du territoire (SCET), filiale de la Caisse des dépôts et consignations agissant au nom de la SODEG, interdit à la partie civile de réclamer les sommes concernées par cette convention et correspondant à des intérêts de retard et au recouvrement de traites escomptées mais impayées à l'échéance, auxquelles les banques ont renoncé, que, d'autre part, un protocole d'accord, intervenu en 1987 entre l'Etat, le département de la Guadeloupe, la Caisse centrale de coopération économique et la Caisse des dépôts et consignations, a eu, en partie, pour objet le remboursement du passif de l'AGAT résultant des détournements ; que les juges ajoutent qu'une faute de surveillance ayant concouru à la réalisation du dommage peut être reprochée au conseil d'administration de la société SODEG et à la SCET ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que, d'une part, les conventions analysées, auxquelles les prévenus et la partie civile n'ont pas été parties, n'ont pas eu pour objet la réparation du préjudice causé par les infractions poursuivies, et que, d'autre part, aucune disposition de la loi ne permet de réduire, en raison de la négligence qu'elle aurait commise, le montant des réparations civiles dues à la victime par l'auteur d'une infraction intentionnelle contre les biens, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue ;

Et, sur le premier moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Lyon-caen, Fabiani et Thiriez pour la société AGAT, pris de la violation des articles 2270-1 du code civil, 2, 3, 10, 591 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré que l'action civile formée contre les banques, Morgan Chase Manhattan Bank et Bred-Banque Populaire, en qualité de civilement responsables de leurs préposés, était prescrite ;

"aux motifs que, "les banques font valoir qu'aux termes de l'article 10 du code de procédure pénale, l'action civile se prescrit selon les règles du code civil ; qu'aux termes de l'article 2270-1 du code civil, les actions en responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage et de son aggravation ; que le point de départ du délai de prescription se situe, en matière d'action en responsabilité délictuelle, au jour du fait dommageable et plus précisément, de celui de la manifestation du dommage ; qu'il résulte de la procédure que les faits qui viennent au soutien de la demande sont connus de la SODEG, devenue AGAT, depuis 1981, date de la plainte initiale ;

que la banque JP Morgan, comme la BRED ont été attraites à la procédure par la citation qui leur a été délivrée le 21 décembre 2000 ;

que, plus de dix ans s'étaient écoulés, lors de la délivrance des citations à l'encontre des banques, depuis la connaissance des faits, par la SODEG devenue AGAT ; qu'il en résulte qu'à leur égard la prescription civile est acquise ; que c'est vainement que la partie civile argumente que ce délai aurait été interrompu par la procédure pénale mise en mouvement par la plainte déposée à l'origine par la SODEG à l'encontre de Claude Z..., Francis Y... et Alexandre X... et que les banques étant les civilement responsables de leurs préposés, elles seraient, au même titre que ces derniers, susceptibles de se voir opposer tous les actes interruptifs de prescription ; qu'en effet, à l'époque des faits, la responsabilité pénale des personnes morales n'existait pas, de telle sorte que, pour suspendre la prescription, la SODEG, aujourd'hui AGAT, aurait dû, si elle l'avait estimé utile, rechercher la responsabilité des banques devant les juridictions civiles, seules compétentes ; qu'il appartenait à l'AGAT d'interrompre la prescription à l'égard de chacun des co-obligés supposés ; que, faute de l'avoir fait, son action à l'égard des établissements bancaires visés par la citation est désormais éteinte" ;

"alors que, tout acte de poursuite ou d'instruction accompli avant la prescription de l'action publique interrompt la prescription des actions tant publiques que civiles non seulement à l'égard de tous les participants à l'infraction, mais encore à l'égard de toutes les victimes de celle-ci et des tiers civilement responsables ; qu'en effet, l'action civile définie par l'article 2 du code de procédure pénale vise non seulement l'action civile exercée contre l'auteur de l'infraction mais également celle qui est exercée contre le tiers civilement responsable ; qu'en l'espèce, dès lors que la cour d'appel reconnaissait que l'action exercée contre les préposés des établissements bancaires n'était pas prescrite, elle ne pouvait sans violer les articles précités considérer que l'action civile contre les personnes civilement responsables était elle-même prescrite ;

"alors qu'en tout état de cause, la prescription de l'action civile est suspendue, en cas d'impossibilité pour la partie civile d'agir ; qu'en l'espèce, dès lors que la partie civile ne disposait d'aucun moyen de mettre en cause les civilement responsables pendant le cours de l'instruction, la prescription de l'action civile contre ces derniers a nécessairement été suspendue pendant ce délai ; que, dès lors, les faits en cause ayant été commis entre 1979 et 1981, et une instruction ayant été ouverte sur plainte avec constitution de partie civile du 19 juin 1981, il en résulte que l'action civile n'était pas éteinte au jour de l'exploit d'huissier délivré aux civilement responsables, le 21 décembre 2001" ;

Vu l'article 10 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que tout acte de poursuite et d'instruction accompli dans le délai de prescription de l'action publique interrompt la prescription de l'action civile exercée devant la juridiction répressive, non seulement à l'encontre de tous les participants à l'infraction mais encore à l'égard de leurs commettants, civilement responsables ;

Attendu que, pour constater la prescription de l'action civile dirigée contre les sociétés de banque, citées en qualité de civilement responsables de leurs préposés poursuivis pour complicité d'abus de biens sociaux et pour complicité de recel, l'arrêt retient, notamment, que l'article 10 du code de procédure pénale renvoie aux règles du droit civil et que, selon l'article 2270-1 du code civil, les actions en responsabilité extra contractuelle se prescrivent par 10 ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ; que les juges relèvent que plus de 10 ans se sont écoulés entre la date de la plainte initiale et la citation délivrée aux civilement responsables, le 21 décembre 2000, et en déduisent que la prescription est acquise à leur égard ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encore encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le quatrième moyen de cassation proposé par la partie civile,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 25 novembre 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au profit de l'AGAT ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Fort-de-France et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Rognon conseiller rapporteur, MM. Challe, Dulin, Mmes Thin, Desgrange, M. Chanut, Mmes Nocquet, Radenne conseillers de la chambre, MM. Soulard, Lemoine, Mme Degorce conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Di Guardia ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 05-82900
Date de la décision : 14/06/2006
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESCRIPTION - Action publique - Interruption - Acte d'instruction ou de poursuite - Effets - Interruption de la prescription de l'action civile exercée devant la juridiction répressive - Incidence à l'égard du civilement responsable.

ACTION PUBLIQUE - Extinction - Prescription - Interruption - Acte d'instruction ou de poursuite - Effets - Interruption de la prescription de l'action civile exercée devant la juridiction répressive - Incidence à l'égard du civilement responsable

PRESCRIPTION - Action civile - Interruption - Acte d'instruction ou de poursuite - Effets - Incidence à l'égard du civilement responsable

ACTION CIVILE - Extinction - Prescription - Interruption - Acte d'instruction ou de poursuite - Effets - Incidence à l'égard du civilement responsable

Tout acte de poursuite et d'instruction accompli dans le délai de prescription de l'action publique interrompt la prescription de l'action civile exercée devant la juridiction répressive, non seulement à l'encontre de tous les participants à l'infraction mais encore à l'égard de leurs commettants, civilement responsables. Encourt dès lors la censure, l'arrêt d'une cour d'appel qui, pour constater la prescription de l'action civile dirigée contre des sociétés de banque, citées en qualité de civilement responsables de leurs préposés poursuivis pour complicité d'abus de biens sociaux et pour complicité de recel, retient, notamment, que les actions en responsabilité extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.


Références :

Code civil 2270-1
Code de procédure pénale 10

Décision attaquée : Cour d'appel de Fort-de-France, 25 novembre 2004

A rapprocher : Chambre criminelle, 1986-02-17, Bulletin criminel 1986, n° 62, p. 152 (cassation partielle).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 14 jui. 2006, pourvoi n°05-82900, Bull. crim. criminel 2006 N° 181 p. 633
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2006 N° 181 p. 633

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Di Guardia.
Rapporteur ?: M. Rognon.
Avocat(s) : SCP Delaporte, Briard et Trichet, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Monod et Colin, SCP Vincent et Ohl, SCP Thomas-Raquin et Bénabent.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2006:05.82900
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