AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente et un mai deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller THIN, les observations de Me FOUSSARD, de la société civile professionnelle DEFRENOIS et LEVIS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE FORT-DE-FRANCE,
- L'ADMINISTRATION DES IMPOTS, partie civile,
contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 21 octobre 2004, qui, sur renvoi après cassation, a relaxé André X... du chef de fraude fiscale et a débouté la partie civile de ses demandes ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires et observations complémentaires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé par le procureur général près la cour d'appel de Fort-de-France, pris de la violation des articles 1741 du code général des impôts, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé par Me Foussard pour l'administration des impôts, pris de la violation des articles 1741 du code général des impôts, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 13, 21, 34 e 37 de la Constitution du 4 octobre 1958, excès de pouvoir, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé André Jacques X... des fins de la poursuite et a rejeté les demandes de l'administration ;
"aux motifs qu'en cas de poursuites pénales tendant à l'application des articles 1741 et 1743 du Code général des impôts, le ministère public et l'administration doivent également apporter la preuve du caractère intentionnel soit de la soustraction, soit de la tentative de se soustraire à l'établissement et au paiement de l'impôt ; qu'il est constant que durant la période de la prévention reprochée à André Jacques X... la position adoptée par ce dernier reflétait non seulement celle de la quasi-totalité des habitants de Saint-Barthélémy, mais également celle des élus locaux qui n'hésitaient pas à authentifier des déclarations sur l'honneur de non imposition signés par des Saints Barths (rapport Y... et Z...) ; que cette position était d'ailleurs confortée, dans les faits, par les prises de position officielles de hauts représentants de l'Etat ; qu'ainsi le ministre délégué à l'Outre-Mer déclarait, en séance publique au Sénat, le 19 décembre 1996, " aucun gouvernement n'a jamais entrepris de remettre en cause une situation héritée de l'histoire, même en 1946, à la suite de la départementalisation ( ... ) personne n'ira à Saint-Barthélémy contrôler la perception de l'impôt : c'est comme ça ! " ; que le même jour, l'inspecteur général des finances chargé de l'Outre-Mer déclarait, également devant les sénateurs " à Saint-Barthélémy, il n'y a pas d'impôt, hormis le droit de quai et aucun impôt ne sera jamais perçu là-bas, que l'on fasse toutes les contorsions que l'on voudra " ; qu'enfin, M. A..., président de la commission des lois du Sénat indiquait le 14 octobre 1997, dans un courrier au secrétaire d'Etat à l'Outre-Mer : "en l'état actuel des choses, il semble en effet peu réaliste de revenir sur des habitudes fort anciennes et d'obtenir l'application du droit commun de ces îles, notamment en matière fiscale ; aucun gouvernement jusqu'ici n'est d'ailleurs parvenu à imposer aux habitants de Saint-Barthélémy l'application du droit fiscal métropolitain ou ne l'a souhaité", que ces déclarations, exactement concommitttantes à la période visée par la prévention, sont dans la droite ligne de propos tenus dès 1990, postérieurement à l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat, par le préfet de la Guadeloupe devant la population de Saint-Barthélémy : " le gouvernement n'entend en aucune manière remettre en cause, de quelque façon que ce soit, les franchises douanières et les particularités fiscales dont bénéficie Saint Barth" ; que dans ces conditions, il ne saurait être considéré qu'en rappelant la situation fiscale et historique de l'île, en se référant à un " statut quo ", dont l'existence de fait est indéniable, qui avait été évoqué par le chef de l'Etat lui-même et en reprenant à son compte, les propos tenus, pendant plus d'une décennie par les plus hauts représentants de l'Etat, André Jacques X... ait eu l'intention de commettre l'infraction qui lui est reprochée ;
qu'il appartient simplement à l'administration fiscale, au vu des dispositions législatives et réglementaires dont elle dispose, de mener une politique de clarté, lui permettant, si elle le souhaite et veut s'en donner les moyens, de percevoir l'impôt sur le revenu et les autres impôts directs à Saint-Barthélémy ; que n'est pas de nature à clarifier le débat, le fait de renvoyer, devant une juridiction pénale et pour une prévention à tout le moins aléatoire, l'un des trois seuls résidents de Saint-Barthélémy à avoir fait, aux dires de la défense non démentie sur ce point par la partie civile, pour une population totale d'environ 6 800 résidents, l'objet de poursuites pénales pour ce motif ; qu'il en résulte que la Cour entrera en voie de relaxe, le délit reproché n'étant pas constitué dans son élément intentionnel " (arrêt attaqué, p.8 et 9) ;
"alors que, premièrement, l'élément intentionnel de la fraude fiscale, résultant du défaut de dépôt de déclaration dans le délai légal, est suffisamment constitué par la conscience qu'avait le contribuable, au moment où le délai est venu à expiration, qu'il n'avait pas déposé de déclaration ; qu'en faisant ressortir que si André Jacques X... n'avait pas déposé de déclaration, au titre des revenus encaissés en 1995 et 1996, cette attitude était le fruit d'un parti délibérément adopté à l'instar de la quasi-totalité des habitants et conformément à la position des élus locaux, ce qui excluait que l'absence de déclaration pût être imputée à la négligence ou à l'inadvertance, les juges du fond, qui n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations (arrêt p.8, alinéas 3 et 4), ont violé l'article 1741 du code général des impôts ;
"alors que, deuxièmement, en décidant, eu égard aux débats ou aux déclarations relatives au statut fiscal de Saint-Barthélémy, qu'il n'était pas établi qu'André Jacques X... " ait eu l'intention de commettre l'infraction qui lui est reprochée ", les juges du fond ont considéré que l'élément intentionnel du délit de fraude fiscale, par omission de déclaration, s'entendait non pas de la conscience chez l'agent de ce qu'une déclaration n'était pas déposée, mais de la conscience chez l'agent de ce que la règle prévoyant le dépôt d'une déclaration avait un caractère obligatoire ;
qu'en raisonnant de la sorte, les juges du fond, qui se sont mépris sur la définition de l'élément intentionnel, ont de nouveau violé l'article 1741 du code général des impôts ;
"alors que, troisièmement, les déclarations du pouvoir exécutif, ou de certains parlementaires, ou bien encore de hauts fonctionnaires, pas plus qu'une situation de fait tolérée par l'administration, ne peut faire disparaître l'élément intentionnel lié à la conscience de n'avoir pas déposé de déclaration ; qu'à cet égard également, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;
"alors que, quatrièmement, la politique suivie par la direction générale des impôts, tant en ce qui concerne l'établissement ou le recouvrement de l'impôt qu'en ce qui concerne l'initiative des plaintes déposées du chef de fraude fiscale qui relèvent de la seule responsabilité de l'Administration, peut être prise en compte par le juge répressif s'agissant du point de savoir si les éléments constitutifs de l'infraction sont ou non constitués ;
qu'en adoptant un parti contraire, les juges du fond ont violé les textes susvisés et commis un excès de pouvoir" ;
Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1741 du code général des impôts ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'André X..., résidant à Saint-Barthélémy, est poursuivi pour s'être volontairement soustrait à l'établissement et au paiement de l'impôt sur le revenu dû au titre des années 1995 et 1996, en omettant de souscrire dans les délais légaux les déclarations qui lui incombaient ; que, mis en demeure de les souscrire, le 6 octobre 1997, il a, pendant les opérations de vérification de sa situation fiscale, adressé, au mois de novembre 1997, des déclarations mentionnant au titre des salaires : "0 résident à Saint Barth" ;
Attendu que, pour le renvoyer des fins de la poursuite, l'arrêt retient, notamment, que la position adoptée par le prévenu durant la période de la prévention reflétait non seulement celle de la quasi totalité des habitants de Saint-Barthélémy mais également celle des élus locaux ;
que les juges ajoutent que cette position a été confortée par les propos tenus pendant plus d'une décennie par les plus hauts représentants de l'Etat ; qu'ils en déduisent qu'il n'est pas établi qu'André X... ait eu l'intention de commettre l'infraction qui lui est reprochée ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'elle relevait que le prévenu n'était pas fondé à soutenir que le décret du 30 mars 1948, pris en application de la loi du 19 mars 1946, ayant érigé la Guadeloupe en département français, exemptait les résidents de Saint-Barthélémy de l'impôt sur le revenu et, qu'en outre, il s'était abstenu de souscrire dans les délais légaux la déclaration de ses revenus pour les années 1995 et 1996 malgré une mise en demeure, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 21 octobre 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DECLARE IRRECEVABLE la demande au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale, présentée par André X... ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Fort-de-France et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Thin conseiller rapporteur, MM. Challe, Dulin, Mme Desgrange, MM. Rognon, Chanut, Mmes Nocquet, Ract-Madoux, Radenne conseillers de la chambre, MM. Soulard, Lemoine, Mme Degorce conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Mouton ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;