AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le seize mai deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller BLONDET, les observations de Me COPPER-ROYER et de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHARPENEL ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE LIMOGES,
- LE CONSEIL DE L'ORDRE DES GEOMETRES-EXPERTS DE LA REGION AUVERGNE-LIMOUSIN, partie civile,
contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 7 janvier 2005, qui a relaxé Jean-Paul X... du chef d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert et qui a débouté le second de ses demandes ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé par le procureur général, pris de la violation des articles 2 et 7 de la loi n° 46-492 du 7 novembre 1946 modifiée, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé pour la partie civile, pris de la violation des articles 1, 2, 3 et 7 de la loi du 7 mai 1946, 433-14, 433-17, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Jean-Paul X... du chef d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert ;
"aux motifs propres que "les géomètres-experts ne disposent d'aucune exclusivité pour la réalisation des prestations topographiques dépourvues d'incidences foncières ou ne débouchant pas sur des travaux affectant la limite des propriétés ;
que, sur mandat des propriétaires, Jean-Paul X... présentait des demandes de modification du parcellaire "cadastral "à la suite de divisions à l'effet de permettre la définition des nouvelles assiettes des impôts fonciers et du nouveau contribuable ; que le document d'arpentage prévu à cette fin ne peut être établi que par une personne agréée parmi : "- les géomètres experts, "- les inspecteurs et techniciens retraités du cadastre, "- les géomètres titulaires attachés à une administration ou à un service public, "- les personnes qualifiées ;
que, dans tous les cas, Jean-Paul X... sollicitait M. Y..., géomètre-expert agréé, afin d'établir le document d'arpentage à partir des documents topographiques qu'il avait réalisés lui-même ;
que ces documents n'étaient nullement destinés à fixer les limites des biens fonciers et Jean-Paul X... n'a jamais réalisé des études et travaux en ce sens, dès lors que les limites étaient déjà fixées ; qu'il se contentait d'arpenter la nouvelle superficie définie afin d'établir le document destiné à l'administration fiscale ; qu'il n'a jamais établi de plan de bornage et les travaux destinés au seul établissement du document d'arpentage n'entrent pas dans le champ d'application du monopole, dès lors que ce document ne concerne pas la définition des droits attachés à la propriété mais peut seulement servir éventuellement de présomption, de même que des éléments de terrain, à la différence des titres ou procès-verbaux de bornage ; que le cadastre n'est pas, en effet, un document à caractère juridique mais fiscal et les contenances et limites qui en résultent n'ont qu'une valeur indicative ; qu'il ne peut être admis que tout acte, travaux ou études qui, un jour ou l'autre, pourrait servir à définir une limite de propriété relèvent du monopole ; qu'en l'espèce, les propriétaires entendus ont déclaré que l'intervention de Jean-Paul X... n'avait pour but que de matérialiser sur place et au cadastre la nouvelle limite convenue préalablement, et non de réaliser des études et travaux topographiques devant fixer cette limite" (arrêt, pages 7 et 8) ;
"et aux motifs, éventuellement adoptés, que "le tribunal se voit saisi d'un dossier visant certes un seul prévenu en la personne de Jean-Paul X..., et une seule partie plaignante en la personne du conseil de l'ordre des géomètres-experts de la région Auvergne-Limousin ; que, cependant, deux éléments versés aux débats, et portés en temps utile à la connaissance du magistrat instructeur, font apparaître que ce litige local s'insère dans un cadre beaucoup plus vaste, opposant sur l'ensemble du territoire national les instances dirigeantes des géomètres-experts aux géomètres-topographes ; qu'il s'agit, d'une part, de la décision n° 02-D-14 du 28 février 2002 relative à la situation de concurrence dans le secteur d'activité "des géomètres-experts et des géomètres-topographe", rendue par le Conseil de la concurrence et, d'autre part, d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 24 juin 2003 statuant sur plusieurs recours exercés par les instances dirigeantes des géomètres-experts à l'encontre de ladite décision ; que le Conseil de la concurrence, après avoir rappelé les textes régissant les secteurs d'activités des géomètres-experts, a sanctionné le conseil supérieur de l'ordre des géomètres-experts, ainsi que les conseils régionaux de Lyon, Montpellier, Marseille et Strasbourg pour avoir élaboré et diffusé au plan national un argumentaire destiné à convaincre les collectivités territoriales et les administrations de réserver les marchés comprenant des prestations topographiques ou foncières exclusivement aux géomètres-experts, et ce, en conférant au monopole instauré par la loi au bénéfice des géomètres-experts une extension abusive (allant jusqu'à soutenir qu'il n'était pas possible de faire appel à des non géomètres-experts pour des travaux topographiques qui, tôt ou tard, auraient une destination foncière...) ; qu'alors même que la diffusion par les organes dirigeants des géomètres-experts de la note ainsi sanctionnée était considérée par le Conseil de la concurrence comme de nature à fausser ou restreindre le jeu de la concurrence sur des marchés comprenant des travaux cadastraux, et ce, en application des articles L. 420-1 et suivants du code du commerce, l'ordonnance de renvoi, de la présente procédure, se bornait à dire "non pertinente" cette analyse, cependant détaillée au long de 44 pages par un organisme officiel spécialisé en la matière ; que, cependant, la cour d'appel de Paris, saisie du recours formé par les divers conseils de l'ordre des géomètres-experts sanctionnés par le Conseil de la concurrence, statuait le 24 juin 2003 en confirmant pour l'essentiel la décision attaquée, rappelant notamment que le géomètre-expert ne disposait d'aucune exclusivité pour la réalisation de prestations topographiques dépourvues d'incidences foncières ou ne débouchant pas sur des travaux fixant les limites de propriété ; qu'en fait, les analyses successives et complémentaires du Conseil de la concurrence et de la cour de Paris conduisent à faire de l'utilisation finale des documents des géomètres un critère déterminant de la légalité de son intervention ;
qu'on ne peut reprocher à Jean-Paul X... d'avoir méconnu le monopole ainsi strictement limité, alors que c'est justement la validation de ses propres travaux par un géomètre-expert, et en respect dudit monopole qui est à l'origine des poursuites dont il fait l'objet comme de celles ayant frappé les titulaires successifs de la protection ainsi invoquée ; qu'en l'espèce, il n'est pas rapporté la preuve de ce que Jean-Paul X... ait violé les limites du monopole conféré aux géomètres-experts, du moins dans sa définition stricte précisée comme ci-dessus ; que le juge pénal, appelé en l'espèce à contribuer indirectement à une vaste entreprise de reconquête nationale de son marché par une profession se disant menacée, s'en tiendra de plus fort à la prudence ayant initié l'ordonnance de non-lieu du premier magistrat instructeur, faute pour l'information conduite par la suite d'avoir développé une analyse compatible avec les définitions données par les organes compétents ;qu'il y a donc lieu d'entrer en voie de relaxe" (jugement, pages 4 et 5) ;
"alors, d'une part, qu'exerce illégalement la profession de géomètre-expert celui qui, sans être inscrit au tableau de l'ordre, exécute habituellement des prestations topographiques ayant une incidence foncière ; qu'ont nécessairement une incidence foncière les travaux destinés à l'établissement du document d'arpentage dès lors que, présenté à l'appui d'une demande de modification du parcellaire cadastral, ils peuvent être utilisés à titre de présomption quant à la délimitation des biens fonciers ;
"alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait tout à la fois relever que Jean-Paul X... n'avait jamais réalisé d'études et de travaux destinés à fixer les limites des biens fonciers (arrêt attaqué, page 8, 1er ) tout en constatant que son intervention n'avait pour but que de matérialiser sur place et au cadastre la nouvelle limite convenue préalablement (arrêt attaqué, page 8, 6)" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'après avoir constaté qu'un géomètre-expert, Daniel Y..., avait déposé sous sa propre signature au centre des impôts fonciers de Guéret (Creuse) plusieurs documents d'arpentage établis à partir d'études et de travaux topographiques réalisés par Jean-Paul X..., géomètre topographe indépendant non inscrit au tableau de l'ordre des géomètres-experts et non agréé par l'administration pour l'établissement des documents d'arpentage, le conseil de l'ordre des géomètres-experts de la région Auvergne-Limousin a porté plainte et s'est constitué partie civile contre ce dernier pour exercice illégal de la profession de géomètre- expert ; qu'à l'issue de l'information, Jean-Paul X... a été renvoyé de ce chef devant le tribunal correctionnel ;
Attendu que, pour relaxer le prévenu, l'arrêt confirmatif relève que les documents topographiques litigieux, qui ont servi à l'établissement des documents d'arpentage déposés au service du cadastre par le géomètre-expert Daniel Y..., ont été réalisés par Jean-Paul X... sur la base de limites de superficie préalablement désignées par les propriétaires concernés ; que les juges ajoutent que le cadastre est un document de caractère fiscal dont les indications relatives à la contenance et à la délimitation des biens fonciers n'ont qu'une valeur indicative ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction, d'où il résulte que les opérations effectuées par le prévenu n'ont pas eu directement pour objet de fixer les limites des biens fonciers et de définir les droits qui y sont attachés, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Que, dès lors, les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Canivet premier président, président, M. Cotte président de chambre, M. Blondet conseiller rapporteur, MM. Farge, Palisse, Le Corroller, Castagnède conseillers de la chambre, Mme Guihal, MM. Chaumont, Delbano conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Charpenel ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;