AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° W 05-10.366 et X 05-10.367 ;
Attendu, selon les arrêts infirmatifs attaqués (Paris, 8 octobre 2004, n° 3/12788 et 3/12789), que Mme X... et M. X... ont respectivement souscrit le 19 avril et le 29 mai 2000 auprès de la société Axa Courtage (l'assureur), à laquelle succède présentement la société Axa France Vie, un contrat d'assurance sur la vie multisupports ;
que tous deux, après leur adhésion au contrat, ont utilisé les facultés que celui-ci leur offrait en procédant à des opérations d'arbitrage (changement de support) de rachat partiel ou d'avances ; que, mécontents de l'évolution de leur capital, et reprochant à l'assureur de n'avoir pas respecté son obligation précontractuelle d'information au moment de la souscription du contrat, telle que prévue par les articles L. 132-5-1, alinéa 2, et R. 132-5 du Code des assurances, M. et Mme X... ont entendu exercer, le 24 septembre 2001, la faculté de renonciation prévue par le premier de ces textes ; que devant le refus de l'assureur, ils ont fait assigner ce dernier devant le tribunal de grande instance en restitution, dans les conditions prévues au troisième alinéa du texte précité, du capital investi, après déduction des montants des sommes déjà perçues au titre du rachat partiel ou des avances ;
Sur le premier moyen identique de chacun des pourvois :
Attendu que l'assureur fait grief aux arrêts d'avoir accueilli les demandes de M. et Mme X..., alors, selon le moyen :
1 / qu'aux termes de l'article 189, alinéa 3, devenu l'article 249, alinéa 3, du Traité instituant la Communauté européenne : "La directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens" ; que l'obligation des Etats membres découlant d'une directive d'atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution de cette obligation s'imposent également dans le cadre de leurs compétences aux autorités juridictionnelles des Etats membres ; que la juridiction nationale est tenue, lorsqu'elle applique des dispositions de droit national antérieures comme postérieures à une directive, de les interpréter dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive ; que, dans ses conclusions récapitulatives, sous l'intitulé : "Un texte communautaire", la société Axa soutenait qu'"en matière d'assurance directe sur la vie, il convient de prendre en compte les directives communautaires successives ; qu'en effet, l'article 35 de la directive 2002/83 du 5 novembre 2002 réglemente le principe comme l'exercice de la faculté de renonciation prévue au profit de tout sousripteur à un contrat d'assurance sur la vie ; que l'article 35 est rédigé comme suit : "Chaque Etat membre prescrit que le preneur d'un contrat d'assurance vie individuelle dispose d'un délai compris entre quatorze et trente jours à compter du moment à partir duquel le preneur est informé que le contrat est conclu pour renoncer aux effets de ce contrat. La notification par le preneur de sa renonciation au contrat a pour effet de le libérer pour l'avenir de toute obligation découlant de ce contrat. Les autres effets juridiques et les conditions de la renonciation sont réglés conformément à la loi applicable au contrat, telle que définie à l'article 31, notamment en ce qui concerne les modalités selon lesquelles le preneur est informé que le contrat est conclu"" ; qu'en faisant totalement abstraction des dispositions de cet article et en se bornant, par suite, à faire application des seules dispositions de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, la cour d'appel a violé l'article 249, alinéa 3 (ancien article 189, alinéa 3), du Traité instituant la Communauté européenne ;
2 / qu'en ne s'expliquant aucunement sur les dispositions de l'article 35 de la directive expressément invoquées par la société Axa dans ses conclusions, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, en ce qu'il fixe en son alinéa 1er le point de départ du délai de renonciation de 30 jours au premier versement et, surtout, en ce qu'il prévoit, en son alinéa 2, que le défaut de remise des documents et informations qu'il énumère entraîne de plein droit la prorogation du délai de renonciation prévu au 1er alinéa jusqu'au 30e jour suivant la date de remise des documents, n'est pas compatible avec les dispositions susvisées de l'article 35 de la directive 2002/83/CEE (article 30 de la directive 92/96/CEE) concernant l'assurance directe sur la vie, qui imposent aux Etats membres, en des termes non équivoques et en ne l'assortissant ni en la subordonnant à aucune condition, l'obligation de fixer le délai de renonciation "entre 14 jours et 30 jours à compter du moment à partir duquel le preneur est informé que le contrat est conclu" ; que les dispositions de l'alinéa 2 de l'article L. 132-5-1 qui sanctionnent l'obligation d'information de l'assureur par une prorogation du délai de renonciation, soit par une durée illimitée de ce délai, ne sont pas non plus compatibles avec les dispositions de l'article 36 de la directive 2002/83/CEE (article 31 de la directive 92/96) intitulé :"Information des preneurs", selon lesquelles :
"1. Avant la conclusion du contrat d'assurance, au moins les informations énumérées à l'annexe III, point A, doivent être communiquées au preneur.
2. Le preneur d'assurance doit être tenu informé pendant toute la durée du contrat de toute modification concernant les informations énumérées à l'annexe III, point B.
3. L'Etat membre de l'engagement ne peut exiger des entreprises d'assurances la fourniture d'informations supplémentaires par rapport à celles énumérées à l'annexe III que si ces informations sont nécessaires à la compréhension effective par le preneur des éléments essentiels de l'engagement" ;
que pour déclarer non tardive, et partant valable, la renonciation notifiée par M. X... le 24 septembre 2001, la cour d'appel, qui a fait application des seules dispositions de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, pourtant non compatibles avec les dispositions susvisées de la directive communautaire 2002/83 concernant l'assurance directe sur la vie, sans même, par suite, tenter de les interpréter à la lumière du texte et de la finalité de cette directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci, la cour d'appel a violé l'article 243, alinéa 3 (ancien article 189, alinéa 3), du Traité instituant la Communauté européenne et violé les articles 35 et 36 de la directive 2002/83/CEE (articles 30 et 31 de la directive 92/96/CEE) ;
Mais attendu qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes que, lorsqu'une réglementation communautaire ne comporte aucune disposition spécifique prévoyant une sanction en cas de violation ou renvoie sur ce point aux dispositions législatives, réglementaires et administratives nationales, l'article 10 du Traité CEE impose aux Etats membres de prende toutes mesures propres à garantir la portée de l'efficacité du droit communautaire dans des conditions de fond et de procédure conférant à la sanction un caractère effectif, proportionné et dissuasif ;
Qu'ainsi, alors que la finalité de la directive 2002/83/CEE, telle qu'elle résulte de son préambule, est de veiller à garantir au preneur d'assurance le plus large accès aux produits d'assurance en lui assurant, pour profiter d'une concurrence accrue dans le cadre d'un marché unique de l'assurance, les informations nécessaires pour choisir le contrat convenant le mieux à ses besoins, ce d'autant que la durée de ses engagements peut être très longue, en l'état de l'article L. 132-5-1, alinéa 2, du Code des assurances qui énumère les documents et informations qui doivent être remis au souscripteur avant la conclusion du contrat, les textes invoqués par la première branche du moyen ne font pas obstacle à ce que le défaut de remise de ces documents et informations soit sanctionné en vertu du même article L. 132-5-1 par la prorogation du délai de renonciation prévu à son deuxième alinéa et par la restitution au cas de renonciation, de l'intégralité des sommes versées par le souscripteur dans les conditions fixées par le troisième alinéa ;
Que par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, la décison déférée se trouve légalement justifiée ;
Sur le deuxième moyen identique de chacun des pourvois :
Attendu que l'assureur fait encore grief aux arrêts d'avoir accueilli les demandes de M. et Mme X..., alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'alinéa 3 de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances :
"La renonciation entraîne la restitution par l'entreprise d'assurance de l'intégralité des sommes versées par le contractant, dans le délai maximal de 30 jours à compter de la réception de la lettre recommandée. Au-delà de ce délai, les sommes non restituées produiront de plein droit intérêt au taux majoré de moitié durant deux mois puis, à l'expiration de ce délai de deux mois, au double du taux légal" ; que ces dispositions, comme la nature du droit de renonciation -droit qui, par dérogation à l'effet obligatoire du contrat dès sa conclusion, permet au consommateur, pendant une durée brève, de rétracter son consentement- excluent que ce droit puisse être exercé par un assuré qui a, pendant près d'un an et demi, exécuté le contrat en demandant à l'assureur de procéder à des arbitrages (changements de supports), à un rachat partiel et d'obtenir une avance ; qu'en retenant que, dans l'hypothèse d'une renonciation au contrat, l'article L. 132-5-1 prévoit la restitution de l'intégralité des sommes versées, que cette disposition, pour générale qu'elle soit, ne fait pas obstacle à une demande de restitution partielle dès lors que, comme en l'espèce, elle est la conséquence des opérations effectuées dans le cadre du contrat, la cour d'appel a méconnu la nature du droit de renonciation et violé les dispositions de l'alinéa 3 de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances ;
Mais attendu que la faculté de renonciation ouverte de plein droit au preneur par l'alinéa 2 de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, pour sanctionner le défaut de remise par l'assureur des documents et informations énumérés par ce texte, est indépendante de l'exécution du contrat, le délai de renonciation se trouvant prorogé jusqu'à l'accomplissement par l'assureur de ses obligations ;
Et attendu que l'arrêt retient exactement que la disposition de ce texte, qui prévoit en son troisième alinéa que la renonciation entraîne la restitution par l'assureur de l'intégralité des sommes versées, pour générale qu'elle soit, ne fait pas obstacle à une demande de restitution partielle dès lors que, comme en l'espèce, elle n'est que la conséquence des opérations effectuées dans le cadre du contrat ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen identique de chacun des pourvois :
Attendu que l'assureur fait enfin grief aux arrêts d'avoir fait droit aux demandes de M. et Mme X..., alors, selon le moyen :
1 / que, selon l'alinéa 3 de l'article 1134 du Code civil, les conventions doivent être exécutées de bonne foi ; que manque à l'exigence de bonne foi l'assuré qui, parfaitement à même de connaître dans le délai de 30 jours prévu à l'alinéa 1 de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances les documents et informations exigés qui ne lui auraient pas été communiqués par l'assureur et qui, en procédant, dans le cadre du contrat, à des opérations d'arbitrage, de rachat partiel et d'avance, démontre, par un tel comportement, que l'information qui aurait été omise ne lui a pas fait défaut, qu'il avait une parfaite compréhension et maîtrise du contrat d'assurance, décide, bien après l'expiration du délai "normal" de renonciation, sous prétexte d'un défaut d'information, de renoncer au contrat afin d'échapper aux conséquences des risques financiers encourus du fait d'une baisse des cours boursiers ; qu'en retenant, pour rejeter l'exception de mauvaise foi de M. et Mme X... et le moyen tiré de leur connaissance personnelle des informations omises, que la sanction d'une information insuffisante est automatique et que la société Axa était parfaitement informée de ses obligations, tout en constatant que "le texte de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances peut être utilisé avec profit par certains contractants à qui l'information omise n'a manifestement pas fait défaut, comme c'est le cas en l'espèce", la cour d'appel a violé l'article 1134, alinéa 3, du Code civil ;
2 / que M. et Mme X... ne pouvaient, sans faire preuve de mauvaise foi, ignorer qu'en cas de renonciation au contrat, ils ne pouvaient bénéficier d'une quelconque garantie décès, faute pour le contrat de pouvoir recevoir exécution ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, d'ordre public, et conforme à la directive 2002/83/CEE du 5 novembre 2002, que l'exercice de la faculté de renonciation prorogée, ouverte de plein droit pour sanctionner le défaut de remise à l'assuré des documents et informations énumérés par ce texte est discrétionnaire pour l'assuré dont la bonne foi n'est pas requise ;
Et attendu que l'arrêt retient exactement que par les dispositions du texte précité, le législateur a entendu contraindre l'assureur à délivrer au souscripteur une information suffisante et choisi d'assortir cette obligation d'une sanction automatique, dont l'application ne peut donc être modulée en fonction des circonstances de l'espèce ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Axa France Vie aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Axa France Vie à payer à M. X... la somme de 2 000 euros et à Mme X... la même somme ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept mars deux mille six.