AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit février deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller DULIN, les observations de la société civile professionnelle TIFFREAU, de la société civile professionnelle MONOD, BERTRAND COLIN, de la société civile professionnelle BARADUC et DUHAMEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Eric, partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de DOUAI, en date du 10 décembre 2004, qui, dans l'information suivie contre Lyne Y..., du chef de recel d'abus de confiance, et contre personne non dénommée du chef d'abus de confiance et complicité, a constaté l'extinction de l'action publique par la prescription ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur la recevabilité du mémoire en défense proposé pour Pierre Z... et Bernard A..., témoins assistés :
Attendu que, n'étant pas partie à la procédure, le témoin assisté ne tire d'aucune disposition légale la faculté de déposer un mémoire ;
Que, dès lors, le mémoire produit est irrecevable ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du Code pénal, 408 de l'ancien Code pénal, 8 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que la chambre de l'instruction confirme l'ordonnance entreprise, en ce qu'elle a constaté l'extinction de l'action publique par voie de prescription pour ce qui concerne le délit d'abus de confiance reproché à Pierre Z... et celui de complicité d'abus de confiance reproché à Bernard A... ;
"aux motifs qu'en matière d'abus de confiance, la prescription de l'action publique ne court qu'à compter du jour où le détournement est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; qu'en particulier, comme en matière d'abus de biens sociaux, la prescription triennale de l'action publique en matière d'abus de confiance court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses ont été indûment mises à la charge de la société privée ou de la collectivité publique ; qu'en l'espèce, suivant contrat conclu le 2 mars 1992, entre le président de la CUDL et Lyne Y..., celle-ci a été embauchée à compter du 1er mars 1992, pour une durée d'un an renouvelable par reconduction expresse, en qualité de collaborateur de cabinet chargé des relations avec la presse sous l'autorité du président (D183) ; que d'un commun accord entre les parties, il a été mis fin à ce contrat le 31 décembre 1992 (D182) - que, contrairement à ce qu'affirme la partie civile, cette activité n'a pas été dissimulée ; que le contrat liant le président de la CUDL à Lyne Y... a en effet été enregistré le 22 avril 1992 à la préfecture du Nord (D183) ; que l'activité de Lyne Y... a donné lieu à l'établissement de bulletins de paie mensuels ; que cette activité a été régulièrement déclarée par la CUDL à l'administration fiscale, à la caisse régionale d'assurance maladie, ainsi qu'il résulte de la déclaration annuelle des salaires (DADS) établie par la communauté urbaine de Lille pour l'année 1992 et sur laquelle figure Lyne Y... (D428) ; que le fait que Lyne Y... ait été enregistrée sous un numéro de sécurité sociale incomplet, s'il explique que le relevé des carrières de l'intéressée n'ait pas pris en compte les salaires qui lui ont été versés en 1992 par la CUDL, ne démontre pas pour autant qu'il y ait eu volonté de dissimulation de Lyne Y..., étant observé que cette insuffisance d'éléments d'identification de l'assurée sociale n'était que temporaire et devait être complétée ultérieurement, comme l'a expliqué Bernard A... (D432) ; que le fait que le directeur de l'URSSAF, qui gère le compte des entreprises pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale, n'ait pas trouvé la trace de ce que Lyne Y... avait été employée en 1992 par la CUDL, n'établit pas pour autant que cette activité ait été dissimulée, alors que l'URSSAF ne conserve en archivage les données que pendant trois ans à compter de la date d'exigibilité des cotisations, avant de les détruire, ce qui a été le cas en l'espèce pour les documents de l'année 1992 (D349-D42811 0) -que le fait que le nom de Lyne Y... n'ait figuré sur aucun organigramme, aucun annuaire, aucun trombinoscope de la CUDL ne démontre pas ipso facto que l'activité de Lyne Y..., qui s'exerçait pour le compte de la CUDL essentiellement à Paris, ait été dissimulée aux membres de la communauté urbaine ;
qu'enfin, le budget de l'année 1992, dans lequel figure la somme globale des salaires versés au personnel non titulaire de la CUDL, a été approuvé le 25 juin 1993 par le conseil de la CUDL (D415) ; que c'est sans conteste à cette date qu'il était possible à la partie civile d'identifier Lyne Y... comme faisant partie du personnel non titulaire de la CUDL ;
qu'entre le 25 juin 1993, date à laquelle l'éventuel détournement reproché au président de la CUDL a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, et le 16 décembre 1997, date à laquelle le procureur de la République de Paris a ordonné une enquête (DI 10), à la suite du courrier que lui avait adressé le 12 décembre 1997, le conseil de Jean B... pour dénoncer les agissements de Lyne Y... et auquel étaient jointes des fiches de paie de cette dernière datées de septembre 992, qui démontraient selon lui que l'intéressée avait, de janvier 1992 à septembre 1992 au moins, occupé deux emplois à temps plein, l'un comme collaborateur de cabinet à la CUDL, l'autre comme rédactrice en chef du journal " Vendredi " (DI 03), plus de trois ans se sont écoulés ; que c'est donc à juste raison que le juge d'instruction a estimé que, s'agissant des faits d'abus de confiance reprochés par la partie civile à Pierre Z... et ceux de complicité d'abus de confiance reprochés à Bernard A..., son directeur de cabinet, l'action publique éteinte par voie de prescription (..) ;
"alors qu'en matière d'abus de confiance, la prescription de l'action publique court à compter du jour où le détournement est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; que, lorsque les faits constitutifs de ce délit auraient été commis au préjudice d'une collectivité publique, la prescription ne court pas du jour de la présentation des comptes annuels de la collectivité publique, lorsque ceux-ci n'ont pas été présentés par l'exécutif à l'organe délibérant selon des formes susceptibles de lui révéler le caractère délictueux des faits poursuivis ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que " le budget de l'année 1992 (..) approuvé 25 juin 1993 par le conseil de la CUDL (D.415) " n'énonçait que " la somme globale des salaires versés au personnel non titulaire de la CUDL " (p. 13, al. 1 er) sans qu'il fût allégué, a fortiori établi, qu'y aurait été annexée la liste des personnels concernés, au nombre desquels la personne mise en examen, dont l'arrêt constate qu'elle avait été " embauchée en qualité de collaborateur de cabinet chargé des relations avec la presse sous l'autorité du président " (p. 11, in fine), que cependant, elle n'avait "figuré sur aucun organigramme, aucun annuaire, aucun trombinoscope de la CUDL " (p. 12, dernier al.), qu'elle avait elle-même déclaré qu'elle " ne disposait d'aucun bureau ni d'aucune ligne téléphonique dans les locaux de la CUDL à Lille " (arrêt, p. 5, al. 6), qu'en raison de son enregistrement " sous un numéro de sécurité sociale incomplet ", son " relevé de carrière " n'avait " pas pris en compte les salaires qui lui (avaient) été versés en 1992 par la CUDL " (p. 12, al. 6) et que la partie civile soutenait sans être contestée sur ce fait avéré (arrêt, p. 4, avant-dernier al.) que, " dans le même temps (la personne mise en examen) occupait à temps plein l'emploi de rédactrice en chef du journal du Parti Socialiste Vendredi " à Paris ; que dès lors, en déclarant la prescription acquise, par des motifs erronés et au surplus inopérants pris de l'absence d'une "volonté de dissimulation", la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ;
que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'Eric X..., contribuable de la Communauté urbaine de Lille (CUDL), régulièrement autorisé par le tribunal administratif, a porté plainte avec constitution de partie civile, le 16 juin 2000, contre Pierre Z... et Bernard A..., respectivement président et directeur de cet établissement public, des chefs de détournement de fonds publics et complicité, et contre Lyne Y... du chef de recel ; qu'il exposait, au soutien de sa plainte, que celle-ci avait occupé, des mois de mars à décembre 1992, un emploi rémunéré de collaboratrice au cabinet du président de la CUDL, alors qu'à cette époque, elle résidait à Paris et exerçait la profession de rédactrice en chef du joumal d'un parti politique ; qu'auparavant, au vu d'une dénonciation, le procureur de la République de Paris avait, le 16 décembre 1997, ordonné une enquête sur ces mêmes faits ; que le juge d'instruction saisi, a, en application de l'article 82-3 du Code de procédure pénale, dit que les infractions d'abus de confiance et complicité, étaient prescrites mais que le délit de recel n'était pas couvert par la prescription ; que Lyne Y... a été mise en examen de ce dernier chef ;
Attendu que, pour constater la prescription des faits d'abus de confiance, l'arrêt attaqué énonce que, contrairement à ce que soutient la partie civile, l'activité exercée par Lyne Y..., en qualité de collaboratrice du président de la CUDL, n'a pas été dissimulée ; que les juges relèvent, notamment, que le contrat de travail conclu le 2 mars 1992 a été enregistré à la préfecture du Nord, que cette activité a donné lieu à l'établissement de bulletins de paie mensuels et a été régulièrement déclarée à l'administration fiscale et à la caisse régionale d'assurance maladie ; qu'ils ajoutent que l'enregistrement incomplet du numéro de sécurité sociale de Lyne Y... et l'absence de toute mention de son nom sur l'organigramme, l'annuaire, le "trombinoscope" de la CUDL ne démontrent pas que l'activité de l'intéressée a été dissimulée aux membres de la communauté urbaine ; que les juges en déduisent que le délai de prescription a commencé à courir le 25 juin 1993, date à laquelle a été approuvé le budget de la CUDL, de l'année 1992, dans lequel figure la somme globale des salaires versés au personnel non titulaire et que plus de trois ans se sont écoulés entre cette date et le premier acte interruptif de prescription du 16 décembre 1997, jour où le procureur de la République a ordonné une enquête préliminaire ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans rechercher à quelle date, à la supposer établie, l'absence de prestation de travail, correspondant à la rémunération versée à Lyne Y..., est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen ;
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 10 décembre 2004 ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Amiens, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Dulin conseiller rapporteur, M. Challe, Mmes Thin, Desgrange, MM. Rognon, Chanut, Mmes Nocquet, Ract-Madoux conseillers de la chambre, MM. Soulard, Lemoine, Mmes Degorce, Labrousse conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;