AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre janvier deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DELBANO, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Andréas,
1 ) contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de LYON, en date du 14 novembre 2003, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de viols et agressions sexuelles aggravés, a rejeté sa demande d'annulation d'actes de la procédure ;
2 ) contre l'arrêt de ladite chambre de l'instruction, en date du 23 septembre 2005, qui l'a renvoyé devant la cour d'assises du RHONE sous l'accusation de viols aggravés ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit ;
I - Sur le pourvoi contre l'arrêt en date du 14 novembre 2003 :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6-1 et 6-2 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 156, 158, 167, 170, 171, 173, 175, 593 et 802 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt du 14 novembre 2003 attaqué a rejeté la requête d'Andréas X..., tendant à l'annulation : - de l'avis de fin d'information notifié le 10 juillet 2003, - de la notification des deux rapports d'expertise des docteurs Y... et Z... du 10 juillet 2003, - de deux rapports d'expertise psychiatriques des docteurs Y... et Z... effectués sur le mis en examen et la partie civile ;
"aux motifs qu'il n'y a aucune nullité à notifier le même jour l'avis de fin d'information et les rapports d'expertise en accordant, pour ceux-ci, un délai de 10 jours pour présenter des demandes de complément ou de contre-expertise, dès lors que ce délai reste inférieur à celui fixé par l'avis de fin d'information ; que, par ailleurs, la contestation du contenu d'un rapport d'expertise et de ses conclusions pour une partie ne relève pas du contentieux de la nullité, mais ouvre les voies de recours propres aux parties elles-mêmes, notamment de demande de contre-expertise ;
"alors, d'une part, que l'avis de fin d'information ne peut être notifié que lorsque l'information paraît terminée au juge d'instruction, ce qui ne peut être le cas lorsque le juge notifie le même jour des rapports d'expertise aux parties en leur fixant un délai de 10 jours pour demander un complément ou une contre-expertise ; qu'en adressant en même temps que les deux expertises la notification de l'avis de fin d'information, c'est-à-dire en faisant courir en même temps les deux délais impartis aux parties, d'une part, pour examiner les expertises et, d'autre part, pour vérifier la régularité de la procédure, le juge d'instruction a privé le mis en examen des entiers délais qui lui sont reconnus pour exercer les droits de la défense ; qu'il s'ensuit qu'en entérinant ce procédé, la chambre de l'instruction a privé l'intéressé d'un procès équitable ;
"alors, d'autre part, que toute personne poursuivie a droit au respect du principe de la présomption d'innocence ;
qu'encourt donc l'annulation comme méconnaissant ce principe fondamental de la procédure pénale, l'expertise psychiatrique des docteurs Y... et Z..., présentant les faits reprochés au mis en examen comme avérés, en précisant notamment que le trouble de la partie civile était "dû bien sûr aux abus sexuels dont elle a été victime" et que le mis en examen n'était pas accessible à une sanction pénale "car il ne reconnaît pas les faits", et ce, indépendamment du fait que la partie dispose, par ailleurs, de la possibilité de solliciter une contre-expertise ; qu'en refusant de prononcer la nullité des rapports d'expertise au motif erroné que la contestation ne relevait pas du contentieux de la nullité, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure que, le 18 juillet 2003, dans le délai de dix jours imparti par le juge d'instruction, l'avocat d'Andréas X... a formulé une demande aux fins de contre-expertise psychiatrique de son client et de la partie civile, demande à laquelle le magistrat a fait droit, ce qui a entraîné la poursuite des investigations et la notification d'un nouvel avis de fin d'information ;
Attendu qu'en cet état, la violation prétendue des dispositions des articles 167 et 175 du Code de procédure pénale n'ayant pas eu pour effet de porter atteinte aux intérêts du demandeur, le grief allégué à la première branche du moyen est irrecevable ;
Attendu que, par ailleurs, celui invoqué à la seconde branche est inopérant, dès lors qu'il ne résulte d'aucun texte que l'accomplissement d'une mesure d'expertise psychiatrique interdise aux experts d'examiner les faits et d'envisager la culpabilité de la personne mise en examen, ainsi que son accessibilité à une sanction pénale ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
II - Sur le pourvoi contre l'arrêt en date du 23 septembre 2005 :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 222-23 et 222-24 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que la chambre de l'instruction, par l'arrêt du 23 septembre 2005 attaqué, a renvoyé Andréas X... devant une cour d'assises du chef de viols aggravés ;
"aux motifs qu'Alexandra X... née en 1978 déclarait qu'en juin 1995, lors d'une visite rendue à son père en Guinée, ce dernier lui avait, au cours d'un massage, touché les seins, les fesses et avait introduit des doigts dans son sexe ; qu'elle disait avoir été choquée, surprise et inhibée car il s'agissait de son père ; qu'elle pensait aussi au moment des faits que l'interdit concernait la pénétration du sexe d'une femme par le sexe d'un homme ; qu'elle précisait que les pénétrations digitales avaient été répétées en Guinée puis en France jusqu'au 19 septembre 1995 (cf. arrêt p. 3) ; qu'Alexandra X... a porté des accusations qu'elle a réitérées au cours de l'information et maintenues au cours d'une confrontation avec son père ; que les différents psychiatres qui l'ont examinée ont relevé les stigmates d'un traumatisme consécutif aux faits dénoncés ; que la jeune femme a dit avoir subi les sévices sexuels par peur de son père qui avaient été violent avec elle, par crainte de l'autorité parentale et dans la méconnaissance de l'interdit en matière sexuelle (cf. arrêt p. 6) ;
"alors, d'une part, que le crime de viol nécessite que l'acte de pénétration sexuelle soit commis par violence, contrainte, menace ou surprise, élément constitutif qui doit être caractérisé indépendamment de la circonstance de la qualité d'ascendant du prétendu auteur ; qu'il s'ensuit que la chambre de l'instruction ne pouvait, concernant les faits prétendument subis par la partie civile qui avait alors 17 ans, déduire l'élément de contrainte du fait que celle-ci déclarait avoir subi les faits dénoncés "par crainte de l'autorité parentale" (cf. arrêt p. 6) ; que, dès lors, l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié ;
"alors, d'autre part, que l'élément de violence, contrainte, menace ou surprise doit s'apprécier au moment de l'acte de pénétration sexuelle ; qu'il s'ensuit que la chambre de l'instruction ne pouvait déduire l'élément de violence du fait que selon les dires de la partie civile, son père avait été, auparavant, violent avec elle (cf. ordonnance de mise en accusation p. 2, 3 ;
arrêt p. 6) ; que, dès lors, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, de troisième part, que la surprise, élément constitutif du crime de viol, consiste à surprendre le comportement de la victime, et ne saurait se confondre avec la "surprise" ressentie ou exprimée par cette dernière ; qu'en se fondant sur la déclaration de la partie civile selon laquelle elle avait été " choquée et surprise " (cf. arrêt p. 3), au lieu de caractériser l'élément constitutif du viol qu'est l'emploi, par l'agent, de violence, contrainte menace ou surprise, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés ;
"alors, de surcroît, que l'élément de surprise est incompatible avec la répétition des faits, de sorte que la répétition des pénétrations digitales relevée par l'arrêt attaqué (p. 3) était exclusif de tout élément de surprise ;
"alors, enfin, que la prétendue méconnaissance, par la partie civile alors âgée de 17 ans, de l'interdit en matière sexuelle n'est pas de nature à caractériser l'élément de violence, contrainte, menace ou surprise nécessaire au crime de viol ; qu'en prononçant néanmoins la mise en accusation d'Andréas X... de ce chef, la chambre de l'instruction a violé les textes visés au moyen" ;
Attendu que les motifs de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la chambre de l'instruction, après avoir exposé les faits et répondu comme elle le devait aux articulations essentielles du mémoire dont elle était saisie, a relevé l'existence de charges qu'elle a estimé suffisantes contre Andréas X... pour ordonner son renvoi devant la cour d'assises sous l'accusation de viols commis par un ascendant légitime ;
Qu'en effet, les juridictions d'instruction apprécient souverainement si les faits retenus à la charge de la personne mise en examen sont constitutifs d'une infraction, la Cour de cassation n'ayant d'autre pouvoir que de vérifier si, à supposer ces faits établis, la qualification justifie la saisine de la juridiction de jugement ;
Que, dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que la procédure est régulière et que les faits, objet de l'accusation, sont qualifiés crime par la loi ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Delbano conseiller rapporteur, M. Farge conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;