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03/01/2006 | FRANCE | N°04-85991

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 03 janvier 2006, 04-85991


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trois janvier deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de Me BOUTHORS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FINIELZ ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- LA LIGUE COMMUNISTE REVOLUTIONNAIRE, partie civile,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d

e PARIS, 2ème section, en date du 28 septembre 2004, qui a infirmé l'ordonnance du ju...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trois janvier deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de Me BOUTHORS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FINIELZ ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- LA LIGUE COMMUNISTE REVOLUTIONNAIRE, partie civile,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 2ème section, en date du 28 septembre 2004, qui a infirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant recevable sa constitution de partie civile du chef d'injures publiques ;

Vu l'article 58 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 85 du Code de procédure pénale, de l'article 1348 du Code civil par fausse application, de l'article 7 de la loi du 11 mars 1988, de l'article 4 de la Constitution de 1958, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la Ligue Communiste Révolutionnaire ;

"aux motifs que " la lecture des statuts de la LCR enseigne que ce parti, dont il est constant qu'il relève en tant que tel et à ce titre de la loi du 11 mars 1988, n'a prévu aucune disposition particulière relative aux mandats qu'il pourrait confier à tel ou tel de ses membres, notamment en ce qui concerne les actions en justice ;

que, dans le silence de ces statuts, force est de revenir au droit commun en la matière qui impose que la preuve de l'existence d'un mandat se fait par écrit, conformément aux dispositions de l'article 1348 du Code civil ; ( ) la Cour n'entend pas imposer à la partie civile d'autre contrainte que celle applicable à toute personne physique ou morale ayant la capacité d'ester en justice, à l'instar de la LCR ; qu'elle n'entend nullement non plus, comme l'y invitent les mis en examen, s'ingérer dans le fonctionnement interne de ce parti en s'interrogeant sur l'organe compétent pour donner mandat à Alain X..., mais seulement constate que, la preuve de ce mandat ne résultant pas des statuts et ne pouvant se faire par tous moyens, elle n'est, en l'espèce, pas rapportée, de telle sorte que la constitution de partie civile ne peut qu'être déclarée irrecevable, l'ordonnance dont appel étant, par voie de conséquence, infirmée " ;

"alors, d'une part, que toute personne morale ayant la capacité d'agir en justice, tel un parti politique, doit confier l'exercice de l'action civile à une personne physique qui la représente ; qu'il ne s'agit là ni d'un mandat, dit ad litem, de représentation en justice, que toute partie civile peut confier à un mandataire de son choix, ni d'un mandat résultant d'une situation contractuelle quelconque, mais d'une question de pouvoir et de représentation à l'action de la personne morale, qui sont fonction des règles qui gouvernent ladite personne morale ; que ces règles sont, ipso facto, opposables aux tiers qui n'ont pas qualité pour les contester ; qu'elles n'ont donc pas à faire l'objet d'une preuve par écrit, car il ne s'agit pas de faire la preuve d'une obligation, mais d'une qualité de représentant de la personne morale, l'article 1348 du Code civil étant radicalement étranger à la question posée ; qu'en l'espèce, en l'absence de toute contestation de cette qualité et de ce pouvoir, émanant d'un membre de la LCR ou de la LCR elle-même, nul ne saurait remettre en cause l'habilitation donnée par la personne morale à une personne physique pour la représenter, ni la forme de cette habilitation, dès lors qu'elle est conforme aux statuts du parti reconnus comme tels par le parti, ni davantage exiger une preuve écrite d'un pouvoir dont la vérification doit se faire selon les règles de droit dont relève la personne morale, et non pas selon les règles du mandat d'agir en justice, à supposer que les tiers puissent exiger la preuve d'un tel pouvoir ; que l'organe compétent de la personne morale, en l'occurrence le bureau politique de la LCR, atteste avoir donné pouvoir à Alain X... de représenter la LCR dans le procès l'opposant à Roger Y..., selon les formes qui sont propres à ce parti, c'est-à-dire au consensus, à la suite d'un vote à main levée ne faisant pas l'objet d'un procès-verbal ; qu'ainsi, en subordonnant la recevabilité de l'action de la LCR, partie civile, à la preuve écrite d'un mandat donné conformément aux dispositions de l'article 1348 du Code civil, inapplicable à l'espèce, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés ;

"alors, d'autre part, qu'en toute hypothèse, les partis politiques puisent dans la Constitution et dans l'article 7 de la loi du 11 mars 1988 la liberté d'exercer leur activité, mais aussi le droit qui leur est reconnu d'ester en justice pour la défense de leurs intérêts et des idées qu'il véhiculent ; que, s'agissant de groupements particuliers qui tirent leur liberté d'action de la Constitution elle-même, s'inscrivant dans le cadre " de la souveraineté ", le mode d'exercice de ce droit d'agir, en soi incontestable, ne peut dépendre que des règles et traditions propres à chaque parti qui, à défaut de disposition statutaire spécifique, désigne librement la personne physique la mieux apte à le représenter, selon les formes qui sont celles en vigueur au sein de l'organe exécutif dudit parti ; qu'en l'espèce, le bureau politique de la LCR, organe exécutif, a désigné Alain X... pour exercer l'action qu'il avait décidé de mettre en oeuvre, selon les règles suivies traditionnellement par ce parti, c'est-à-dire à l'issue d'un vote à main levée ne faisant pas l'objet d'un procès-verbal, comme en a attesté Christian Z..., secrétaire du bureau politique de la LCR ; que, dans la mesure où la régularité même de cette délégation de pouvoir n'est pas contestée et où le secrétaire de l'organe exécutif dont s'agit attestait de l'existence même de ce pouvoir, la partie adverse ne pouvait, sans s'immiscer dans le fonctionnement interne de la LCR, considérer que ce pouvoir n'était pas justifié du fait de l'absence d'écrit ; que, en la suivant sur cette voie, la chambre de l'instruction, qui soumettait ladite délégation de pouvoir aux règles de droit civil applicables au mandat et imposait à la LCR de produire un écrit pour justifier de l'habilitation à agir dévolue à Alain X... par le parti auquel il appartient, c'est-à-dire d'une modalité du droit d'agir de la personne morale, nécessairement représentée par une personne physique, a violé les textes et principes susvisés" ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit contenir les motifs propres à justifier la décision, et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), représentée par Alain X..., membre de ce parti, a porté plainte et s'est constituée partie civile devant le juge d'instruction des chefs d'injures publiques envers un particulier, en raison de la diffusion, sur le site internet du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), de propos tenus lors d'une réunion publique par Roger Y..., président de cet organisme, qui avait notamment déclaré :

"L'anti-sionisme fédère ce courant qui s'étend des partis révolutionnaires, tels Lutte ouvrière et la LCR, à une fraction de l'extrême-gauche ; la bonne conscience de ce vaste ensemble est assurée par un vernis progressiste qui se prétend anti-raciste ... Cette alliance brun-vert-rouge donne le frisson" ;

Attendu que Charles A..., directeur de publication du site internet du CRIF, et Roger Y..., mis en examen des chefs précités, ont contesté la recevabilité de cette constitution de partie civile, en faisant valoir qu'Alain X... ne bénéficiait pas d'un mandat régulier pour représenter la LCR ;

Attendu que, pour infirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant rejeté cette contestation, la chambre de l'instruction énonce que les statuts de la LCR, qui constitue un parti politique au sens de la loi du 11 mars 1988, ne comportent aucune disposition relative aux mandats à délivrer pour l'exercice d'une action en justice, et qu'il convient d'appliquer les règles du droit commun exigeant, pour prouver l'existence d'un mandat de cette nature, la production d'un écrit, conformément aux dispositions de l'article "1348" du Code civil ; que les juges constatent qu'une telle preuve n'a pas été rapportée en la circonstance, et qu'ils en déduisent que la constitution de partie civile de la Ligue Communiste Révolutionnaire n'est pas recevable ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que, d'une part, la preuve de la désignation, en vue de l'exercice d'une action, de l'organe représentatif d'un parti politique, personne morale ayant le droit d'ester en justice, ne relève pas des dispositions applicables au contrat de mandat, et que, d'autre part, la vérification de la qualité de cet organe représentatif se fait par tous moyens, selon les règles propres au fonctionnement dudit parti, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 28 septembre 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mme Palisse, M. Beauvais conseillers de la chambre, M. Valat, Mme Ménotti conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Finielz ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 04-85991
Date de la décision : 03/01/2006
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

ACTION CIVILE - Recevabilité - Parti politique - Représentant - Désignation - Preuve - Moyens - Détermination.

La preuve de la désignation, en vue de l'exercice d'une action, de l'organe représentatif d'un parti politique, personne morale ayant le droit d'ester en justice, ne relève pas des dispositions applicables au contrat de mandat. La vérification de la qualité de cet organe représentatif se fait, par tous moyens, selon les règles propres au fonctionnement dudit parti.


Références :

Code civil 1348
Code de procédure pénale 593
Loi du 29 juillet 1881 art. 58

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris (chambre de l'instruction), 28 septembre 2004

A rapprocher : Chambre civile 2, 1993-12-01, Bulletin 1993, II, n° 346, p. 194 (rejet) ; Chambre commerciale, 1993-12-14, Bulletin 1993, IV, n° 471, p. 343 (cassation).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 03 jan. 2006, pourvoi n°04-85991, Bull. crim. criminel 2006 N° 1 p. 1
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2006 N° 1 p. 1

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Finielz.
Rapporteur ?: Mme Guirimand.
Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan, Me Bouthors.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2006:04.85991
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