AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° V 04-11856 et C 04-12668 ;
Rejette toutes les demandes de mise hors de cause ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 21 octobre 2003), que la société JF Promotion, depuis lors en liquidation judiciaire, assurée par la société Assurances générales de France, a procédé à des travaux de réhabilitation lourde d'un immeuble en vue de sa vente par lots en l'état futur d'achèvement ; que la maîtrise d'oeuvre a été confiée à M. X..., architecte, assuré par la société Axa assurances IARD, devenue la société Axa France IARD (société Axa) ; que divers entrepreneurs sont intervenus ; que la Banque La Hénin, devenue la société Entenial, aux droits de laquelle se trouve le Crédit foncier de France, a consenti une garantie d'achèvement de l'immeuble ; que celui-ci n'ayant pas été terminé, et des malfaçons ayant été constatées, le syndicat des copropriétaires de la résidence Les Bleuets et divers copropriétaires agissant à titre individuel ont sollicité la réparation de leur préjudice ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° V 04-11.856 :
Vu l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que pour dire que le rapport d'expertise judiciaire de M. Y... est opposable à M. X..., l'arrêt retient que l'expertise peut être utilisée à titre de renseignements, et que les parties en cause l'ont discutée et ont pris position sans solliciter la nouvelle mesure ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si M. X... avait pu prendre connaissance de tous les documents ayant fondé la conviction de l'expert, qui ne lui auraient pas été communiqués à partir d'une certaine date, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;
Et sur le deuxième moyen du pourvoi n° V 04-11.856 :
Vu l'article 1792-6 du Code civil ;
Attendu que pour prononcer la réception judiciaire de l'immeuble avec réserves au 10 juillet 1991, l'arrêt retient qu'il n'y a pas eu réception des travaux, que la prise de possession en avril et mai 1990 n'est pas probante au regard des prestations inachevées, et que le maître de l'ouvrage n'a pas déclaré accepter celui-ci ;
Qu'en statuant ainsi, sans relever qu'à la date retenue pour la réception judiciaire l'immeuble était en l'état d'être habité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;
Et sur le troisième moyen du pourvoi n° V 04-11.856 :
Vu l'article 1147 du Code civil ;
Attendu que pour prononcer condamnation à l'encontre de M. X..., l'arrêt retient que l'expert a relevé trois non-conformités principales, que les désordres constatés échappent au champ de la garantie de l'article 1792 du Code civil, et ne rendent pas l'immeuble impropre à sa destination, et que la responsabilité de M. X... doit s'entendre de celle correspondant au défaut de délivrance d'une construction conforme aux règles de l'art et aux "dispositions" contractuelles ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que les désordres avaient été constatés avant réception, que les réserves n'avaient pas été levées, et que la responsabilité contractuelle de droit commun était donc applicable, et par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser la faute du maître d'oeuvre dans la survenance de chaque dommage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;
Et sur le premier moyen du pourvoi n° C 04-12.668 :
Vu l'article R. 261-24 du Code de la construction et de l'habitation ;
Attendu que la garantie d'achèvement ou de remboursement prend fin à l'achèvement de l'immeuble, qui résulte de la déclaration certifiée par un homme de l'art prévue à l'article R. 460-1 du Code de l'urbanisme ;
Attendu que pour condamner la banque La Hénin à payer une somme aux copropriétaires au titre de la garantie d'achèvement, l'arrêt retient que la déclaration d'achèvement des travaux produite n'est pas probante, l'architecte ayant surestimé l'avancement réel du chantier et que cette déclaration purement formelle était fallacieuse et n'avait pas d'effet libératoire quant à la mise en jeu de la garantie d'achèvement ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la garantie d'achèvement due par la banque cesse avec la déclaration d'achèvement des travaux certifié par l'architecte, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen du pourvoi n° C 04-12.668, le quatrième moyen du pourvoi n° V 04-11.856, et le second moyen du pourvoi incident, réunis :
Vu l'article L. 113-1 du Code des assurances ;
Attendu que les pertes et dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ;
Attendu que pour mettre hors de cause la société Axa, assureur de M. X..., l'arrêt retient que les non finitions et malfaçons relèvent de graves négligences et d'une certaine incompétence de l'architecte, qui n'a pas respecté les règles de l'art à de multiples reprises, et a commis des erreurs de conception tant en matière d'isolation que d'étanchéité, ces agissements étant constitutifs de fautes intentionnelles ;
Qu'en statuant par de tels motifs, d'où il ne résulte pas que M. X... avait la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le premier moyen du pourvoi incident et provoqué :
Vu l'article 1134 du Code civil ;
Attendu que pour dire irrecevable l'action du syndicat des copropriétaires, l'arrêt retient que le procès-verbal du 15 décembre 2000 de l'assemblée générale des copropriétaires fait état d'un mandat donné au syndic pour interjeter appel du jugement, et que cette autorisation n'est donc valable que pour la procédure d'appel ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la délibération du 5 décembre 2000 autorisait le syndic à "faire tous actes de procédure aux fins d'obtenir condamnation des parties ci-avant désignées pour tous les dommages visés au rapport de M. Y... incluant notamment les désordres visés en annexe 13", la cour d'appel, qui a dénaturé le procès-verbal de cette délibération, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le deuxième moyen du pourvoi n° C 04-12.668 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare le syndicat des copropriétaires de la résidence Les Bleuets irrecevable à agir, l'action accessoire des copropriétaires intervenant au soutien des prétentions du syndicat irrecevable, déclare recevable l'action des copropriétaires à l'encontre de la Banque La Hénin, déclare le rapport d'expertise opposable aux parties, prononce la réception judiciaire de l'immeuble au 10 juillet 1991 avec réserves, déclare M. X... responsable des dommages subis par les copropriétaires et le condamne à payer les sommes allouées à ceux-ci, condamne M. X..., la Banque La Hénin et le syndicat des copropriétaires à payer des sommes au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens, met hors de cause la société Axa, condamne la société Entenial à payer aux copropriétaires intervenants 98 110,34 euros, et dit M. X... tenu de garantir la société Entenial des condamnations prononcées contre elle, l'arrêt rendu le 21 octobre 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette toutes les demandes de ce chef ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille cinq.