AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit novembre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle BARADUC et DUHAMEL, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-François,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 6ème chambre, en date du 23 novembre 2004, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de dénonciation calomnieuse, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 226-10 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, et 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, statuant sur le seul appel d'une des parties civiles, a condamné le capitaine X... à payer au caporal chef Y..., sapeur pompier professionnel, la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
"aux motifs que le capitaine X... a adressé le 23 juillet 2001 au directeur chef de corps départemental des sapeurs pompiers du Pas-de-Calais un rapport lui faisant connaître que quatre pompiers de la caserne qu'il dirigeait, dont Laurent Y..., auraient incité des jeunes filles à venir les rencontrer le soir dans la caserne ; qu'il a précisé avoir reçu à sa demande, le 17 juillet 2001, en présence du lieutenant Z..., le cousin d'une de ces jeunes filles, M. A..., qui lui avait révélé les faits ; que la jeune Cindy B..., alors qu'elle était encore mineure, s'était rendue à plusieurs reprises à la caserne, ayant été pendant un temps l'amie d'un pompier ; que, lorsqu'elle a été entendue par la police en février 2002, elle a reconnu avoir eu des relations sexuelles dans l'enceinte de la caserne avec deux des quatre pompiers mis en cause, MM. C... et D... ; qu'il ne résulte d'aucune pièce du dossier que Cindy B... ou son ami A... aient mis en cause Laurent Y... s'agissant des faits qui se sont déroulés dans l'enceinte de la caserne ; qu'une réunion a eu lieu le 11 octobre 2001 en présence du colonel E... qui a relaté dans son rapport que Laurent Y... avait admis connaître Cindy B... mais nié avoir tenté de l'embrasser de force, sans qu'il apparaisse que ce geste ait pu avoir été commis au sein de la caserne ; que le capitaine X... n'a dénoncé que certains pompiers ; qu'il ne résulte pas de la procédure que Laurent Y... ait participé aux faits qui se sont déroulés dans la caserne, ni même qu'il ait été mis en cause pour ces faits ;
que, si le capitaine X... avait l'obligation de dénoncer les faits qui se sont déroulés dans la caserne, il n'en demeure pas moins qu'il lui appartenait de vérifier l'identité des auteurs de ces faits ; qu'il s'agit donc bien d'une déclaration spontanée ; que le capitaine X... a commis une faute et qu'il doit réparer le préjudice subi par Laurent Y..., évalué à 1 000 euros ;
"alors que, d'une part, la dénonciation calomnieuse n'est caractérisée que si elle est spontanée ; que, tel n'est pas le cas de la lettre par laquelle le commandant d'un centre d'incendie et de secours avertit son supérieur hiérarchique d'un incident mettant en cause des pompiers sous son commandement, dont il avait le devoir de l'informer ; qu'ainsi, le capitaine X... ne pouvait se voir reprocher une dénonciation calomnieuse ;
"alors que, d'autre part, l'élément matériel du délit de dénonciation calomnieuse suppose l'inexactitude totale ou partielle du fait dénoncé ; que, dans sa lettre du 23 juillet 2001, le capitaine X... se bornait à porter à la connaissance de son supérieur hiérarchique qu'il lui avait été rapporté, en présence d'un témoin, que quatre pompiers, dont Laurent Y..., "auraient incité des jeunes filles à venir les rencontrer au centre de secours le soir", précisant qu'il s'agissait en réalité d'une jeune fille, Cindy B..., âgée de 16 ans, et que, si les quatre pompiers entendus ultérieurement avaient "avoué les faits", seuls deux d'entre eux, MM. C... et D... lui avaient été signalés comme ayant eu des relations sexuelles avec cette mineure, en conséquence de quoi le capitaine X... indiquait uniquement que MM. C... et D... avaient "reconnu avoir eu des relations sexuelles" ; que le lieutenant Z... avait indiqué avoir été témoin des déclarations de M. A... révélant les faits et confirmé que ce dernier avait notamment mis en cause Laurent Y... ; que Laurent Y..., lors de son audition par la police le 6 mars 2002, avait reconnu qu'il connaissait Cindy B... et qu'il avait "fait sa connaissance ( ) à la caserne des pompiers", ajoutant que "de temps à autre Cindy B... est revenue dire bonjour à la caserne plusieurs fois après 18 heures, il n'y avait pour moi que des discussions", niant avoir "tenté d'embrasser de force Cindy" ; qu'il résultait de ces pièces du dossier que M. A... avait mis en cause Laurent Y... et que celui-ci avait rencontré à plusieurs reprises Cindy B... le soir dans l'enceinte de la caserne ; que, dès lors, la lettre du capitaine X... à son supérieur hiérarchique, qui n'imputait à Laurent Y... que la rencontre d'une jeune fille au centre de secours le soir, et nullement la moindre relation sexuelle, laquelle était imputée seulement à deux autres pompiers, ne portait pas sur des faits inexacts, ce qui excluait que soit retenu le délit de dénonciation calomnieuse ;
"alors que, enfin, l'élément intentionnel de la dénonciation calomnieuse réside dans la connaissance par le dénonciateur de la fausseté du fait dénoncé ; qu'en s'abstenant de rechercher si, comme le faisait valoir le capitaine X... dans ses conclusions et ainsi que l'avait retenu le tribunal correctionnel dans son jugement de relaxe, le prévenu avait pris soin, avant d'écrire à son supérieur hiérarchique, d'entendre M. A... qui avait révélé les faits litigieux, Cindy B... et les quatre pompiers mis en cause, toujours en présence d'un témoin le lieutenant Z..., et avait demandé l'avis du commissariat de Béthune sur la gravité des faits, ce dont le major F... avait témoigné, la cour d'appel, qui aurait dû en déduire la bonne foi du capitaine X..., a entaché sa décision d'une insuffisance de motifs, la privant ainsi de base légale" ;
Vu l'article 226-10 du Code pénal ;
Attendu qu'en application de ce texte, la dénonciation calomnieuse n'est caractérisée que si elle est spontanée ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 23 juillet 2001, Jean-François X..., commandant du centre d'incendie et de secours de Béthune, a avisé le directeur chef du corps départemental, de la commission d'actes sexuels sur une mineure, dans l'enceinte du centre de secours ; que ces faits mettaient en cause plusieurs pompiers professionnels, et notamment Laurent Y... ;
Attendu que, pour condamner Jean-François X... à des réparations en faveur de Laurent Y... sur le fondement de l'article 226-10 du Code pénal, l'arrêt infirmatif, statuant sur les seuls intérêts civils, prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en décidant ainsi, alors qu'il ressort des constatations mêmes de l'arrêt que, par la lettre incriminée, Jean- François X... n'a fait qu'informer son supérieur hiérarchique des incidents qu'il avait le devoir de porter à sa connaissance, et que la dénonciation opérée était ainsi dépourvue de tout caractère spontané, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 23 novembre 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;