La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/10/2005 | FRANCE | N°05-81457

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 25 octobre 2005, 05-81457


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-cinq octobre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller POMETAN, les observations de Me BOUTHORS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Eric,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 12ème chambre, en date du 21 février 2005, qui, qui pour recel de violation du secret de l'enquête, l'a condamné à 1500

euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-cinq octobre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller POMETAN, les observations de Me BOUTHORS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Eric,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 12ème chambre, en date du 21 février 2005, qui, qui pour recel de violation du secret de l'enquête, l'a condamné à 1500 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, 7 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 66 de la constitution, 226-13 et 226-14 du Code pénal, 321-1 et suivants du même code, 11, 2, 10, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné le requérant du chef de recel de violation du secret de l'instruction pour avoir détenu une photographie représentant la partie civile à laquelle des dommages et intérêts ont été alloués ;

"aux motifs adoptés des premiers juges que, le samedi 15 avril 2000, le quotidien le Parisien a publié dans son numéro 17297, en page II du cahier central constituant l'édition locale "Seine-et-Marne Matin" exclusivement diffusée dans la moitié nord de ce département, un article écrit par Eric X... intitulé : Champs-sur-Marne : le "rat d'hôtel" avait fait 70 victimes, accompagné d'une photographie d'Eric Y... dont la légende précise qu'il est "soupçonné de vol de véhicule, de chèques, de cartes bancaires, de grivèlerie d'hôtel et enfin de travail clandestin" ;

que le journaliste y relatait sous sa signature les circonstances de l'arrestation d'Eric Y... par la police et résumait les éléments de l'enquête qui avaient conduit à son incarcération décidée par le juge d'instruction saisi des faits en litige ; que la photographie parue s'avère être la reproduction d'une de celles prises avec un appareil numérique durant le temps de la garde à vue par les enquêteurs qui envisageaient de la présenter ensuite, pour identification, aux victimes des divers actes délictueux susceptibles d'avoir été commis par la personne interpellée ; que ce document était remis par Eric X... au rédacteur en chef, ou à celui qui en faisait office le jour du bouclage de l'édition ; que le prévenu refuse de révéler les circonstances dans lesquelles il a obtenu la photographie reproduite dans le journal, en invoquant au soutien de son silence le droit pour tout journaliste de taire ses sources; qu'il indique seulement se l'être procurée auprès de " sources autorisées", en précisant qu'elles sont " proches du dossier", "( ... ) peut-être des gens du commissariat de Noisiel " - dont l'une des unités procéda à l'arrestation d'Eric Y... et pris la photo en litige durant le temps de sa garde à vue, "peut-être d'autres ( ... ) policiers" ; que, s'il tait sa provenance exacte, Eric X... n'en admet pas moins avoir personnellement reçu le cliché imprimé et d'avoir confié à son rédacteur en chef en vue de sa publication, en même temps que l'article que cette image devait illustrer ; qu'il ressort de l'enquête que le document obtenu par le prévenu a été pris par les policiers pour les besoins de l'enquête, que ceux-ci I'ont conservé sur la disquette équipant l'appareil photographique, sans le transférer sur un ordinateur ni le dupliquer et qu'il a fait l'objet d'un tirage restreint en vue d'une diffusion aux seuls enquêteurs ; qu'il s'ensuit que cette vue ne peut avoir d'autre provenance que l'un ou l'autre des enquêteurs, même si ceux-ci s'en défendent, étant observé que le prévenu lui-même n'a jamais évoqué de sources autres que policières parmi les diverses hypothèses qu'il a exposées ; que la photographie en litige, prise dans le cadre de l'exercice de l'action publique est un document protégé par le secret de l'enquête, puis de l'instruction judiciaire qui s'ensuivit, tel qu'énoncé à l'article 11 du code de procédure pénale ; que ces dispositions légales, qui tendent à assurer le nécessaire respect de la présomption d'innocence, notamment consacrée par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ne méconnaissent pas les exigences du droit à la liberté d'expression protégé par l'article 10 de cette même convention ; qu'il est indifférent, d'une part, que les modalités de réalisation du délit dont provient l'objet recélé n'ait pas été parfaitement déterminées dès lors que son existence même est acquise et, d'autre part, qu'Eric X... n'ait pas concouru, au sens de l'alinéa 2 de l'article 11 précité, à la procédure d'où provient la photographie qu'il lui ait reproché d'avoir recélée, dès lors que l'obtention de ce cliché n'a pu avoir lieu qu'en infraction à ces dispositions légales ;

qu'eu égard à la nature de l'image, à l'époque, et aux circonstances de sa remise, à la teneur de l'article que ce document complétait et aux déclarations ultérieures du prévenu, celui-ci ne pouvait ignorer que la photographie provenait d'une enquête judiciaire en cours; que sa vigilance ne pouvait, en outre, qu'être exacerbée en ce temps-là puisque les faits sont concomitants aux débats parlementaires de la loi tendant à renforcer la présomption d'innocence auxquels la presse réservait un large écho ; qu'aucune instruction tendant à la publication de la photographie d'Eric Y... dans la presse n'avait été donnée par les autorités judiciaires dans la perspective d'un appel à témoin ou victimes ; que les policiers entendus excluent toute initiative en ce sens puisqu'ils nient toute remise du document litigieux à des tiers ;

que, du dossier et des débats, il résulte, en définitive, la preuve certaine et suffisante qu'Eric X..., indemne au temps de l'action de toutes circonstances apparentes ou connues le rendant pénalement irresponsable, à bien sciemment recélé une photographie provenant des services de police, entre le 11 avril 2000, jour où fut arrêté Eric Y... et prise la photographie selon ce qu'indique le rapport de l'IGPN, et le 15 avril 2000, date de parution du journal reproduisant ce cliché, ces faits caractérisant en tous ses éléments constitutifs le délit de recel de violation du secret de l'enquête ou de l'instruction ; qu'il convient en conséquence de déclarer le prévenu coupable de cette infraction et de prononcer condamnation à son encontre ; ( ... ) que la publication d'un portrait de l'auteur des malversations décrites par le journaliste dans son article, obtenue au mépris du respect du secret de l'enquête et donc de la présomption d'innocence, ne s'imposait pas, y compris dans les pages locales, dans la mesure où cette photographie n'apparaissait pas devoir constituer un complément indispensable à la compréhension de l'article publié ou répondre à une attente du lecteur, Eric Y... n'ayant pas commis des faits hors du commun, n'étant pas une personnalité notoirement connue et n'étant pas davantage natif de Seine-et-Marne, ni n'y résidant habituellement ;

qu'Eric Y... s'est régulièrement constitué partie civile devant le juge d'instruction et sollicite à l'"audience la condamnation d'Eric X... au paiement de dommages et intérêts avec exécution provisoire ; qu'en l'absence d'une quelconque cause de réduction ou d'exclusion de son droit à indemnisation, il peut être reçu en son action civile et légitimement prétendre à un entier dédommagement des préjudices résultant de la faute pénale commise par le prévenu ;

que, si l'article 11 du Code de procédure pénale et les articles 321-1 et suivants du Code pénal tendent à protéger des valeurs d'intérêt général, ils ne sauraient exclure pour autant l'action indemnitaire devant le juge pénal de celui auquel la violation de ces dispositions porte personnellement atteinte ; que si, à n'en pas douter, la réputation d'Eric Y... était déjà ternie par ses nombreux antécédents judiciaires, il n'en demeure pas moins qu'il pouvait légitimement prétendre à bénéficier du secret légal devait entourer la nouvelle enquête dont il faisait l'objet ; qu'au vu des pièces du dossier, des justifications produites et des explications fournies, le tribunal dispose d'éléments d'appréciation suffisants pour fixer à la somme de 1.000 euros le montant des dommages et intérêts assurant la réparation intégrale du dommage réellement causé par l'infraction, et dont la partie civile a personnellement et directement souffert par l'effet de l'infraction commise par Eric X... ;

"1 ) alors que, d'une part, l'illustration pertinente d"un article de presse par une photographie ne peut en principe être pénalement poursuivie sous l'angle d'un prétendu recel du secret de l'enquête et de l'instruction ; que cette incrimination, retenue en l'espèce contre le journaliste, est incompatible avec les droits garantis par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

"2 ) alors que, d'autre part, le droit strict pour un journaliste de ne pas divulguer ses sources n'est pas effectif s'il est permis d'installer contre lui des poursuites pénales du chef de recel à raison des conditions dans lesquelles il est présumé être entré en possession de l'information litigieuse ;

"3 ) alors que, de troisième part le cliché litigieux ne comportant pas la mention "reproduction interdite", l'atteinte au secret de l'enquête et de l'instruction n'est pas matériellement caractérisée ;

"4 ) alors que, de quatrième part, une simple imprudence ou négligence ne peut être assimilée à l'élément intentionnel du délit de recel du secret de l'enquête ou de l'instruction ; que le cliché litigieux, dénué de la mention "reproduction interdite", excluait derechef tout élément intentionnel reprochable au requérant ;

"5 ) alors enfin, que l'infraction d'intérêt général, en l'espèce abusivement articulée contre un journaliste, ne permettait nullement à la personne représentée par la photographie de se prévaloir d'un préjudice personnel et direct en relation avec un prétendu recel" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'Eric X..., journaliste, est poursuivi du chef de recel de violation du secret de l'enquête pour avoir fait illustrer un article paru dans le Parisien, relatant l'arrestation d'Eric Y... pour divers délits, d'une photographie de l'intéressé qu'il s'était fait remettre par un fonctionnaire de police ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de ce chef, l'arrêt attaqué, par motifs adoptés, énonce qu'Eric X... ne pouvait ignorer que ladite photographie, prise par les policiers au cours de la garde à vue d'Eric Y..., provenait d'une enquête en cours et constituait un document protégé par le secret prévu par l'article 11 du Code de procédure pénale ;

Que, pour écarter l'argumentation du prévenu soutenant que la poursuite était exercée en violation des dispositions de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, les juges retiennent que les dispositions légales qui garantissent le secret de l'enquête et de l'instruction tendent à assurer le respect de la présomption d'innocence consacré par l'article 6 de ladite convention et ne méconnaissent pas les exigences du droit à la liberté d'expression protégé par le texte invoqué dès lors que la publication de la photographie ne répondait à aucune nécessité d'informer le lecteur ;

Attendu qu'en prononçant ainsi la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments tant matériels qu'intentionnel le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable et a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles visées au moyen, lequel, dès lors, ne peut qu'être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme,

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Pometan conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, M. Beyer, Mmes Palisse, Guirimand, M. Beauvais conseillers de la chambre, M. Valat, Mme Ménotti, M. Delbano conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Davenas ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 05-81457
Date de la décision : 25/10/2005
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° RECEL - Infraction originaire - Violation du secret de l'enquête - Eléments constitutifs.

1° PRESSE - Publication - Publication d'une photo provenant de la violation du secret de l'enquête - Recel de violation du secret de l'enquête.

1° Justifie sa décision la cour d'appel qui, pour condamner le prévenu, journaliste, du chef de recel de violation du secret de l'enquête, retient qu'il a fait illustrer un article relatant l'arrestation d'une personne, par une photographie de celle-ci qu'il s'était fait remettre par un fonctionnaire de police, et ajoute qu'il ne pouvait ignorer que, prise par les policiers au cours de la garde à vue, elle provenait d'une enquête en cours et constituait un document protégé par le secret prévu par l'article 11 du Code de procédure pénale.

2° CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 10 - 2 - Liberté d'expression - Presse - Recel de violation du secret de l'enquête - Compatibilité.

2° Si l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnaît, en son premier paragraphe, à toute personne le droit à la liberté d'expression, ce texte prévoit, en son second paragraphe, que, cette liberté comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumise à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent, dans une société démocratique, des mesures nécessaires notamment les droits d'autrui au nombre desquels figure la présomption d'innocence. Est dès lors, justifiée au regard du texte précité, la poursuite engagée contre un journaliste pour avoir publié la photographie d'une personne prise au cours de sa garde à vue, alors que cette publication ne répondait à aucune nécessité d'informer le lecteur.


Références :

1° :
2° :
Code de procédure pénale 11
Code pénal 321-1
Convention européenne des droits de l'homme art. 10

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 21 février 2005

Sur le n° 1 : A rapprocher : Chambre criminelle, 1991-05-13, Bulletin criminel 1991, n° 200, p. 514 (rejet). Sur le n° 2 : Dans le même sens que : Chambre criminelle, 2001-06-19, Bulletin criminel 2001, n° 149, p. 464 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 25 oct. 2005, pourvoi n°05-81457, Bull. crim. criminel 2005 N° 268 p. 933
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2005 N° 268 p. 933

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Davenas.
Rapporteur ?: M. Pometan.
Avocat(s) : Me Bouthors.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2005:05.81457
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award