AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que la Fédération nationale des personnels des sociétés d'études, de conseil et de prévention CGT a notifié le 16 mars 2004 aux sociétés Ever Team, Ever Ezida et E-Gee la désignation de Mme X... en qualité de déléguée syndicale au sein de l'unité économique et sociale constituée par ces sociétés ; que celles-ci ont contesté cette désignation devant les tribunaux d'instance de leurs sièges sociaux respectifs ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il est fait grief au jugement attaqué (tribunal d'instance de Lyon, 10 février 2005) d'avoir constaté l'existence d'une unité économique et sociale entre les sociétés Ever Team, Ever Ezida et E-Gee, de les avoir déboutées de leur demande d'annulation de la désignation de Mme X... en qualité de déléguée syndicale centrale de cette unité économique et sociale, et de les avoir condamnées au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, alors, selon le moyen :
1 ) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que le juge d'instance, devant lequel la procédure est orale, ne peut rouvrir les débats sans convoquer les parties à une nouvelle audience ; qu'en ordonnant une "réouverture des débats" après l'envoi, reçu le 26 janvier 2005, de la procédure suivie devant le tribunal d'instance de Grenoble et l'arrêt de la cour d'appel, sans convoquer les parties à une nouvelle audience, ni même d'ailleurs les aviser de cette réouverture des débats, le tribunal d'instance a violé les articles 16 et 843 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que lorsque, retenant l'existence d'un lien de connexité entre deux affaires portées devant deux juridictions différentes, l'une de ces juridictions renvoie la connaissance d'une affaire à l'autre, cette dernière ne peut statuer qu'après transmission effective du dossier de l'affaire par le greffe de la juridiction qui s'est dessaisie ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement qu'au jour de l'audience, le 7 décembre 2004, le dossier de l'affaire dont s'était dessaisi le tribunal d'instance de Grenoble pour cause de connexité n'avait pas encore été transmis au tribunal d'instance de Lyon ; qu'en statuant cependant, le Tribunal a violé les articles 97 et 104 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le moyen manque en fait dès lors qu'il résulte de la procédure qu'après transmission du dossier par le tribunal d'instance de Grenoble, le tribunal a ordonné la réouverture des débats et convoqué les parties à l'audience du 1er février 2005 ;
Sur le second moyen :
Attendu qu'il est encore fait grief au jugement d'avoir constaté l'existence d'une unité économique et sociale entre les sociétés Ever Team, Ever Ezida et E-Gee, de les avoir déboutées de leur demande d'annulation de la désignation de Mme X... en qualité de déléguée syndicale centrale de cette unité économique et sociale, et de les avoir condamnées au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, alors, selon le moyen :
1 ) que la décision judiciaire qui reconnaît l'existence d'une UES n'a d'effet qu'à compter de la date de la requête introductive d'instance ; qu'est donc nulle, en l'absence de convention reconnaissant l'existence d'une UES, la désignation d'un délégué syndical effectuée au sein d'une prétendue unité économique et sociale avant toute saisine du tribunal devant statuer sur son existence, et ce même si le tribunal reconnaît finalement l'existence de l'UES, sa décision ne rétroagissant pas au jour de la désignation litigieuse ; qu'en l'espèce, les exposantes rappelaient qu'à la date de la désignation effectuée par le syndicat au sein d'une prétendue UES regroupant les sociétés E-gee, Ever Team et Ever Ezida, l'existence de cette UES n'avait pas été reconnue par voie de convention ou de décision judiciaire, et qu'aucun Tribunal n'avait été saisi en vue de cette reconnaissance ; qu'en se fondant sur la reconnaissance de l'existence d'une UES entre les sociétés E-gee, Ever Team et Ever Ezida à la date de la requête introductive d'instance pour valider la désignation de Mme X..., effectuée antérieurement, le Tribunal a violé les articles L. 412-11 et L. 431-1 du Code du travail ;
2 ) que l'existence d'une unité économique entre plusieurs entités juridiquement distinctes, dont la preuve incombe à celui qui s'en prévaut, suppose notamment la constatation de l'identité ou la complémentarité des activités de ces entités ; que deux activités différentes ne peuvent être considérées comme complémentaires que si elles sont déployées au cours d'un même processus de fabrication d'un produit ou de réalisation d'une prestation de service et donc au profit de clients communs ; qu'en l'espèce, les exposantes soulignaient que si leurs activités respectives, toutes différentes, relevaient certes du domaine de l'édition informatique, elles n'étaient pas pour autant complémentaires dès lors qu'elles intervenaient pour des clientèles distinctes ; qu'elles expliquaient en effet que la société Ever Team, qui élaborait et mettait en oeuvre des portails d'entreprises, avait donc une clientèle d'entreprise, tandis que la société Ever Ezida, proposant des solutions de gestion de bibliothèques, archives et centres de documentation, avait pour clients l'administration et des collectivités territoriales, et la société E-gee, proposant des solutions de gestion multi-clientèles (gestion de la facturation des abonnés) dans le domaine des fluides, avait pour clientèle des entreprises du secteur de l'énergie et des fluides (type eau) qui avaient des besoins spécifiques ; qu'en entérinant cependant l'allégation du syndicat revendiquant l'existence de l'UES et débiteur de la preuve, selon laquelle les trois sociétés étaient "amenées à intervenir auprès des mêmes clients", sans préciser d'où il tirait cette affirmation, le Tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 412-11 du Code du travail et 1315 du Code civil ;
3 ) que l'existence d'une unité économique entre plusieurs personnes juridiquement distinctes nécessite notamment que les éléments qui la composent soient soumis à un pouvoir de direction unique ; que lorsqu'un directeur général est nommé au sein d'une société anonyme, c'est lui, et non le président du conseil d'administration, qui assume la direction générale de la société ; qu'en outre, le directeur général délégué, lorsqu'il en existe un, dispose à l'égard des tiers des mêmes pouvoirs que le directeur général ; qu'en l'espèce, les exposantes faisaient valoir que si elles avaient certes le même président du conseil d'administration (M. Y...), leurs directions effectives étaient bien distinctes puisque la société Ever Ezida disposait d'un directeur général propre (M. Z...) et les deux autres sociétés disposaient de directeurs généraux délégués propres (Mme A... et M. B... pour la société Ever Team, M. C... pour la société E-gee) ; qu'elles ajoutaient que les sociétés disposaient également de directions opérationnelles propres ;
qu'en se bornant à relever, pour retenir l'existence d'un pouvoir de direction unique, que les sociétés Ever Ezida et e-GEE étaient deux filiales à 100 % de la société Ever Team, que les trois sociétés avaient le même président du conseil d'administration et le même directeur administratif et financier, et que dans un procès-verbal de réunion de la délégation unique du personnel, la direction avait indiqué que les directeurs provenaient tous de la même "société souche", sans s'expliquer sur l'existence de directeurs généraux et directeurs généraux délégués propres, ainsi que de directions opérationnelles distinctes, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 412-11 du Code du travail, L. 225-51-1 et L. 225-56 du Code de commerce ;
4 ) que les exposantes soulignaient que contrairement à ce qu'alléguait le syndicat, M. D... n'était pas le directeur des ressources humaines des trois sociétés mais seulement celui de la société Ever Team, et que ce dernier n'intervenait pas dans la gestion des ressources humaines au sein des deux autres sociétés ; qu'en entérinant cependant l'allégation du syndicat revendiquant l'existence de l'UES et débiteur de la preuve, selon laquelle que les trois sociétés avaient le même directeur des ressources humaines, sans préciser d'où il tirait cette information, le tribunal d'instance a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 412- 11 Code du travail et 1315 du Code civil ;
5 ) que l'existence d'une unité sociale entre plusieurs entités juridiquement distinctes suppose l'existence d'une communauté de travailleurs résultant de leur statut social et de conditions de travail similaires pouvant se traduire en pratique par une certaine permutabilité des salariés ; qu'en l'espèce, les exposantes soulignaient que l'existence d'avantages sociaux communs aux trois sociétés résultait principalement de l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2 du Code du travail -les deux filiales s'étant vues transférées une entité économique autonome par la société mère-, et marginalement d'une volonté de la société Ever Team de sécuriser ses anciens salariés ; que, cependant, les effectifs des trois sociétés étaient gérés de façon autonomes, trois politiques sociales étant désormais en place, tant au niveau de la détermination des salaires que du recrutement ; que, pour retenir l'existence d'une unité sociale, le Tribunal s'est borné à relever que les trois sociétés appliquaient la même convention collective des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseils et de sociétés de conseils et les mêmes règles en matière de durée du travail, que leurs salariés bénéficiaient de la même mutuelle et étaient soumis au même régime de gestion de leurs notes de frais et au même régime social, sans rechercher si cela ne s'expliquait pas essentiellement par l'application de l'article L. 122-12, alinéa 2 du Code du travail, et sans relever l'existence de conditions de travail similaires, pas plus que celle d'une politique sociale et de gestion du personnel commune ; qu'il a donc privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 412-11 du Code du travail ;
6 ) que les exposantes faisaient valoir que le syndicat ne pouvait se fonder sur le procès-verbal de la réunion de la délégation unique du personnel de la société Ever Ezida du 13 octobre 2004, la direction de la société ayant refusé de l'approuver car il ne constituait pas une reproduction fidèle de ses propos ; qu'en fondant sa décision sur les propos attribués à la direction par ce procès-verbal, sans s'expliquer sur ce point, le tribunal d'instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 412-11 du Code du travail ;
Mais attendu que le tribunal a constaté l'existence d'une unité économique et sociale entre les sociétés à la date de la désignation contestée par la requête introductive d'instance ;
Et attendu que le moyen ne tend en ses autres branches, sous couvert du grief de défaut de base légale, qu'à remettre en cause l'appréciation qu'a fait le juge du fond des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne les sociétés e-GEE SAZ, Ever Team SA et Ever Ezida à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille cinq.