AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze octobre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Bernard,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 11 janvier 2005, qui, pour outrage à magistrat, l'a condamné à 1 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 434-24 du Code pénal, 23 et 41 de la loi du 29 juillet 1881, 459 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Me X... coupable d'outrage à magistrat ;
"aux motifs que "les premiers juges ont, à juste titre, retenu que les écrits litigieux étaient des écrits non rendus publics, au sens du Code pénal ; qu'en effet, ses conclusions dans lesquelles la partie civile était personnellement visée, ont été adressées aux magistrats composant la chambre civile ayant à traiter du litige, présidée par la partie civile ; que celle-ci en a pris connaissance la première, comme juge de la mise en état ; que les autres personnes qui ont pu prendre connaissance de ces écrits, sont les personnes parties à la procédure et leurs conseils, outre le greffier et l'huissier significateur, c'est-à -dire un cercle restreint de personnes, lié au dossier ; qu'il n'est pas invoqué, encore moins démontré, que ces écrits aient été rendus publics ; que l'article 434-4 du Code pénal est donc applicable, contrairement à ce que prétend la défense, au cas d'espèce ; que les passages litigieux constituent, comme les premiers juges l'ont relevé, une critique d'actes de la fonction de juger, s'exprimant en des termes outranciers impliquant mépris ou injure à l'égard de celle qui est l'auteur de ces actes ;
qu'en effet, ils désignent nommément Régine Y... et l'accusent de faire preuve de partialité au bénéfice des compagnies d'assurances, d'hostilité envers les victimes d'accident de circulation, en particulier celles de nationalité suisse, confinant à un déni de justice à raison de l'allocation de dommages-intérêts infimes en réparation du préjudice subi et de l'absence de prononcer de l'exécution provisoire privant ainsi la victime de son droit d'exercer un recours, de prendre ses décisions pour des motifs étrangers au litige, (créer artificiellement des dossiers pour faire du chiffre), (juger en fonction de l'appartenance à des réseaux) ou saugrenus (humeurs du temps) ; que l'élément matériel du délit d'outrage reproché à Bernard X... est donc caractérisé ; que la défense soutient qu'en tout état de cause, les passages incriminés étant contenus dans un écrit produit devant un tribunal, l'immunité judiciaire prévue par le troisième alinéa de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée doit s'appliquer ; mais que si les écrits produits devant un tribunal bénéficient de l'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée, même dans le cadre de poursuites engagées sur le fondement de l'article 434-24 du Code pénal, encore faut-il que les propos incriminés ne soient pas étrangers à la cause et ne dépassent pas les limites admissibles des droits de la défense ; qu'en l'espèce, s'il peut apparaître que partie de ces propos ne sont pas sans lien avec la cause, s'agissant de réflexions, certes générales sur la façon de juger de la partie civile, mais en relation avec les données du litige pendant (indemnisation à la suite d'un accident de la circulation), force est de constater que le passage insinuant que Régine Y... est partiale du fait de son appartenance à une alliance secrète entre personnes de mêmes idées, de mêmes intérêts, s'entraidant afin d'obtenir des avantages, bref d'un réseau occulte et qui est une accusation d'une gravité extrême car totalement contraire à la déontologie professionnelle d'un magistrat, est étranger à la cause et excède largement les limites des droits de la défense ; qu'en outre, l'alinéa 5 de l'article 41 précité n'est pas applicable, la partie civile n'étant pas partie à l'action publique ayant été mise en mouvement par le ministère public" ;
"alors 1 ) que la Cour, qui a formellement reconnu que les écritures incriminées avaient été effectivement adressées aux magistrats composant la chambre civile chargée du litige et présidée par la partie civile, et qui a ajouté que les parties à la procédure et leurs conseils avaient -comme le greffier et l'huissier significateur- pu en prendre connaissance, ce qui impliquait que lesdits écrits avaient été rendus publics, ne pouvait déclarer applicable en la cause l'article 434-24 du Code pénal, quand ce texte ne concerne que les outrages non publics ;
"alors 2 ) que le fait pour un avocat chargé de défendre les intérêts de sa cliente, victime d'un accident de la circulation, de critiquer, fût-ce avec véhémence, une ordonnance de radiation rendue à tort par un magistrat, ne peut être considéré comme contenant des imputations étrangères à la cause sous prétexte de l'extrême gravité des accusations de partialité portées contre ce magistrat, en sorte qu'en retenant le contraire pour refuser au prévenu le bénéfice de l'immunité prévue par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, la Cour a violé ce texte, lequel est destiné à garantir le libre exercice du droit de se défendre en justice ;
"alors 3 ) que c'est au tribunal devant lequel les propos ont été tenus ou les écrits produits qu'il appartient de déclarer que les faits invoqués par le prévenu étaient étrangers à la cause et de réserver l'action publique ou l'action civile des parties, l'omission de telles réserves interdisant toute répression, en application de l'article 41, alinéa 5, de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'en l'espèce, dès lors que le prévenu soutenait, dans ses conclusions, que l'action n'avait pas été réservée par les juges saisis de la cause, les juges du fond, qui se devaient de tenir compte de cette circonstance interdisant toute poursuite pour outrage à magistrat, ne pouvaient, comme ils l'ont fait, omettre de se prononcer sur le moyen qui leur avait de ce chef été soumis" ;
Vu l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que l'immunité instituée par ce texte, destinée à garantir le libre exercice du droit d'agir ou de se défendre en justice, est applicable aux écrits produits et aux propos tenus devant toute juridiction ; que cette règle ne reçoit exception que dans les cas où les écrits outrageants sont étrangers à la cause ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à l'occasion d'un litige relatif à un accident de la circulation opposant sa cliente à la compagnie d'assurances Axa, Bernard X..., avocat, mécontent de l'ordonnance de radiation du rôle rendue par le magistrat qui présidait la juridiction saisie de l'affaire, a déposé des conclusions contenant des propos virulents le mettant personnellement en cause ;
Que le procureur de la République a requis l'ouverture d'une information du chef d'outrage à magistrat et qu'à l'issue de celle-ci le prévenu a été renvoyé devant le tribunal correctionnel ;
Attendu qu'après avoir qualifié d'outrages certains passages des conclusions déposées par Bernard X..., les juges du second degré, pour confirmer la déclaration de culpabilité et écarter l'application de l'immunité invoquée par le prévenu, retiennent que, s'il peut apparaître que partie de ces propos ne sont pas sans lien avec la cause, force est de constater que le passage qui insinue que le magistrat concerné est partial du fait de son appartenance à une alliance secrète entre personnes de mêmes idées, de mêmes intérêts, s'entraidant afin d'obtenir des avantages, grâce à un réseau occulte, constitue une accusation d'une gravité extrême totalement contraire à la déontologie du magistrat ; que les juges en concluent que ces allégations excèdent largement les limites des droits de la défense et sont étrangères à la cause ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi alors qu'ayant été adressés au président de la juridiction qui était saisi d'une procédure relative à un accident de la circulation par le prévenu, avocat d'une des parties, les propos incriminés, qui figuraient dans les conclusions écrites soumises à cette juridiction, n'étaient pas étrangers à la cause, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 11 janvier 2005 ;
Vu l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;
DIT que lesdits propos ne peuvent donner lieu à aucune action à l'encontre de Bernard X... ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Chanet conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mmes Palisse, Guirimand, M. Beauvais conseillers de la chambre, Mme Ménotti, M. Delbano conseillers référendaires ;
Avocat général : Mme Commaret ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;