AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que dans son numéro du 6 juillet 2000, le Figaro littéraire a fait paraître sous le titre "le roman vrai du docteur X..., un article de Mme Y... intitulé "ce que voulait Marie", premier épisode d'un feuilleton consacré à un fait divers qui s'était passé en septembre 1999, soit la disparition du docteur X..., de son épouse (Marie) et de leurs enfants ; qu'estimant que la parution de cet article portait atteinte au droit au respect de leur vie privée, M. Z..., ex-époux de Mme X..., agissant en qualité de représentant légal de ses deux enfants issus de son mariage avec Mme X..., Fanny et Léo, ainsi que les parents, frères et soeurs de Mme X... (les consorts A...) ont engagé deux procédures en référé et au fond contre la société Le Figaro, éditrice du journal éponyme et Mme Y... ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt, d'avoir refusé d'octroyer aux consorts Z... une réparation complémentaire en sus des indemnités et réparations qui leur ont été allouées au titre de l'atteinte à la vie privée alors que dans leurs conclusions d'appel ils se prévalaient expressément non seulement de l'atteinte à la vie privée mais de la violation du droit à l'image dans la mesure où l'écrit incriminé était assorti de photographies de la famille X... sans que les défendeurs puissent justifier d'une autorisation de la part des proches et en omettant de se prononcer sur le point de savoir si cette atteinte au droit à l'image ne justifiait pas l'octroi d'une réparation pécuniaire en sus de celles qui ont été allouées, les juges du fond ont entaché leur décision d'un défaut de réponse à conclusions ;
Mais attendu que seules les personnes représentées sur la photographie peuvent demander réparation de l'atteinte portée à leur image ; que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses trois branches :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que les abus de la liberté d'expression envers les personnes ne peuvent être poursuivis sur le fondement de ce texte ;
Attendu que pour condamner solidairement la société le Figaro et Mme Y... à payer des dommages-intérêts aux consorts A..., l'arrêt retient que l'auteur d'une oeuvre de fiction et celui qui assure, sous une forme quelconque, la diffusion de cette oeuvre sont, même en l'absence de diffamation ou d'atteinte à la vie privée, tenus dans les termes du droit commun de l'article 1382 du Code civil à réparer le préjudice que, par leur faute, cette oeuvre a causé à des tiers ; qu'en détaillant de manière romancée l'existence et la personnalité de Marie-France A... de telle sorte que le lecteur ne pouvait séparer la réalité de la fiction en donnant en la même forme sur sa fille Camille des précisions particulièrement insupportables eu égard à la récente et macabre découverte la concernant, l'auteur et l'éditeur ont gravement blessé la sensibilité des consorts A... et ont commis une imprudence fautive qui a généré un préjudice moral dont ils doivent réparation ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé par fausse application ;
Et attendu qu'en application de l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, la Cour de cassation peut casser sans renvoi en appliquant la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les seconds moyens des pourvois :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné solidairement Le Figaro et Mme Y... à payer des dommages-intérêts aux consorts A..., l'arrêt rendu le 6 mars 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Et statuant à nouveau, déboute les consorts A... de leurs demandes ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept septembre deux mille cinq.