AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un septembre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de la société civile professionnelle BORE et SALVE de BRUNETON, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- L'ADMINISTRATION DES DOUANES, partie poursuivante,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, en date du 8 septembre 2004, qui, dans la procédure suivie contre Maurice X..., Francesco Y..., Alain Z... et Nacer A... du chef d'importations sans déclaration de marchandises prohibées, a prononcé la nullité de la citation délivrée au premier et, après relaxe des trois autres, l'a déboutée de ses demandes ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'une enquête douanière effectuée en 1992 a établi que des articles textiles en provenance de Thaïlande et circulant sous le régime du transit communautaire à destination de l'Algérie ont été mis à la consommation sur le territoire français sans que le régime de transit ait été apuré ;
Attendu que Maurice X..., identifié par la police comme étant le concepteur de la fraude, Alain Z... et Francesco Y..., dirigeants de sociétés commissionnaires en douane, et Nacer A..., transporteur d'une partie des marchandises, ont été poursuivis pour importations sans déclaration de marchandises prohibées ;
En cet état :
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 392, 414, 417, 418, 420, 421, 422 du Code des douanes, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a relaxé Nacer A... des fins de la poursuite ;
"aux motifs que Nacer A... a reconnu avoir participé aux faits délictueux ; qu'il effectuait en qualité de convoyeur des transports de marchandises pour le compte de ses clients ; que la modicité de sa rémunération correspondant à sa prestation exclut qu'il ait pu avoir conscience de participer à un trafic dès lors qu'il ne se rendait pas sur la zone de fret et que ce sont ses clients qui effectuaient les formalités douanières et ôtaient les plombs douaniers au départ de la zone de fret ; qu'il est le seul transporteur à avoir fait l'objet de poursuites alors que proportionnellement il n'a participé qu'au 1/5 des transports litigieux ;
"alors que le détenteur d'une marchandise de fraude est réputé responsable de la fraude, sauf cas de force majeure ; qu'en relaxant le transporteur des marchandises sans relever l'existence d'un cas de force majeure, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu que, pour relaxer Nacer A..., l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations procédant de son appréciation souveraine, qui établissent la bonne foi du prévenu, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 336, 338, 343 du Code des douanes, 551, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a annulé la citation délivrée à Maurice X... ;
"aux motifs que si la juridiction peut et doit restituer aux faits leur qualification exacte, elle ne peut substituer aux faits visés par la poursuite d'autres faits, même si ceux-ci ont fait l'objet d'un procès-verbal en cours de procédure ; que c'est à bon droit que le tribunal a annulé la citation intervenue tardivement en faisant état de faits sur lesquels Maurice X... n'a pu débattre, ce qui a porté atteinte à ses droits ;
"1 ) alors qu'en matière douanière, c'est par le procès-verbal que sont fixés l'objet de l'inculpation et l'étendue des poursuites ; qu'aux termes du procès-verbal du 20 janvier 1993, Maurice X... s'est vu notifier une infraction résultant de la "soustraction en cours de transport de marchandises prohibées et fortement taxées expédiées sous régime suspensif" ; qu'il résulte dudit procès-verbal que les agents des douanes avaient saisi des "documents et titres de transit" relatifs aux marchandises frauduleuses, découvertes dans les locaux de Maurice X... et commercialisées par ce dernier ; qu'en outre ces marchandises avaient été transportées dans des camions appartenant à Maurice X... sous le couvert de la société Guila Rose ; que, par ailleurs, des termes de la citation dont l'arrêt confirmatif attaqué fait état, il résulte que Maurice X... avait été poursuivi pour avoir " sur le territoire national, courant 1991 et 1992, soustrait en cours de transport des marchandises transitant sous un régime suspensif, inobservé sans motif légitime des itinéraires fixés, altéré les moyens de scellement, de sûreté ou d'identification " ; qu'en s'abstenant d'expliquer en quoi les faits visés dans la citation seraient nouveaux et étrangers à ceux visés dans le procès-verbal de douane, la cour d'appel qui était tenue, au besoin, de requalifier l'infraction, a violé les articles susvisés ;
"2 ) alors que sont intéressés à la fraude tous ceux qui y ont coopéré d'une manière quelconque ou qui ont acheté ou détenu des marchandises provenant d'un délit de contrebande ; que, tant la citation que le procès-verbal de douane reprochaient au prévenu d'avoir soustrait des marchandises soumises à un régime suspensif en empêchant notamment leur identification ; d'où il suit qu'en annulant la citation, motifs pris de ce qu'elle serait entachée d'imprécision, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"3 ) alors que ne sont admises contre les procès-verbaux de douane que les causes de nullité limitativement prévues par la loi ; que les procès-verbaux de douane font foi jusqu'à inscription de faux des constatations des agents des douanes et jusqu'à preuve contraire des déclarations qu'ils relatent ;
qu'en écartant tant la citation que le procès-verbal de douane, motifs pris de ce que la Douane n'aurait pas donné suite aux réclamations de Maurice X... tendant à être entendu sur des éléments ayant servi de base aux infractions retenues à son encontre, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Vu l'article 551, alinéa 2, du Code de procédure pénale ;
Attendu que, selon ce texte, la citation est régulière lorsqu'elle énonce le fait poursuivi et vise le texte de loi qui le réprime ;
Attendu que Maurice X... a été cité devant le tribunal correctionnel pour "avoir, courant 1991-1992, soustrait en cours de transport des marchandises transitant sous un régime suspensif, inobservé sans motif légitime les itinéraires fixés et altéré les moyens de scellement, de sûreté ou d'identification" ;
Attendu que, pour annuler cette citation, l'arrêt relève que Maurice X... a été placé en garde à vue trois ans après sa première audition et n'a été cité devant le tribunal correctionnel que sept ans plus tard, sans avoir été jamais entendu par les services de police ou de douane sur les actes matériels qui lui sont imputés ; que les juges en déduisent que la citation n'est pas suffisamment précise, tant dans l'énoncé des faits que des textes de prévention et de répression et qu'ainsi elle ne permet pas au prévenu de faire valoir utilement ses arguments de défense ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la citation indique précisément les faits reprochés à Maurice X... et vise les dispositions du Code des douanes sur lesquelles les poursuites sont fondées, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Et sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 336, 395, 396 du Code des douanes, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a prononcé la relaxe des commissionnaires en douane, André Z... et Francesco Y... ;
"aux motifs que si les commissionnaires en douane engagent leur responsabilité pour le paiement des droits à l'importation et sur la régularité des documents qu'ils présentent aux autorités douanières, encore faut-il qu'ils aient commis une faute personnelle pour que leur responsabilité pénale soit engagée bien qu'ils n'aient pas eu connaissance du caractère frauduleux de l'opération effectuée et qu'ils n'y ont pas sciemment participé ; que, si le manque de vigilance constaté à l'encontre de leurs sociétés respectives est susceptible d'engager la responsabilité de celles-ci, aucune faute personnelle n'est relevée à l'encontre des dirigeants dont il n'est ni établi ni même soupçonné qu'ils aient eu un quelconque intérêt dans le trafic découvert ; que les manquements qui leur sont imputés a posteriori ne peuvent fonder une condamnation pénale dès lors que les bureaux des douanes n'étaient pas en mesure à l'époque d'adopter une position claire et qu'ils ont eux-mêmes failli à leurs obligations en ne faisant pas parvenir dans le délai de 11 mois l'information de non apurement ;
"1 ) alors que les commissionnaires en douane sont pénalement responsables des opérations en douane effectuées par leurs soins, sauf cas de force majeure ; qu'ils sont pénalement responsables des fautes commises par les sociétés qu'ils dirigent, sauf cas de force majeure ; que la preuve d'une faute personnelle de leur part n'est exigée qu'en vue du prononcé d'une peine d'emprisonnement à leur encontre ; qu'en relaxant les commissionnaires en douane de leur responsabilité motifs pris de ce qu'ils n'auraient commis aucune faute personnelle, qu'ils n'avaient pas participé au trafic dans lequel ils n'avaient aucun intérêt, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"2 ) alors que dans ses conclusions d'appel, la demanderesse avait dûment fait valoir que les commissionnaires en douane, André Z... et Francesco Y... avaient été particulièrement négligents et imprudents en acceptant de servir de prête-noms et de " louer " leur habilitation administrative à déclarer en douane à des personnes non-agréées, sans aucune vérification des marchandises, des documents, des clients et autres ; qu'en déclarant qu'aucune faute personnelle n'était reprochée aux commissionnaires en douane agréés, la cour d'appel a dénaturé ces conclusions et entaché sa décision d'une contradiction de motifs ;
"3 ) alors que les procès-verbaux de douane font foi jusqu'à preuve contraire des aveux qu'ils relatent ; qu'en l'espèce, ainsi que la demanderesse l'avait rappelé dans ses conclusions d'appel, André Z... avait reconnu n'avoir jamais effectué une quelconque vérification, n'avoir jamais remarqué les noms d'expéditeurs ou de destinataires fantaisistes, pas plus que l'extrême faiblesse du rapport poids/valeur ; qu'elle ajoutait que Francesco Y... avait avoué ne jamais contrôler l'identité du destinataire, la cohérence des factures, le numéro d'immatriculation porté sur le T1, ne pas avoir fait instaurer de caution au bénéfice direct de sa société et être au courant que la caution était payable " en espèces " ; qu'en prétendant, dès lors, que les commissionnaires en douane n'avaient pas commis de faute, en dépit de leurs aveux constatés par des procès-verbaux de douane et sans relever aucune preuve contraire, la cour d'appel a violé l'article 336 du Code des douanes ;
"4 ) alors que ni la faute, ni l'erreur, ni la complaisance du service ne constituent des circonstances de nature à exonérer un contrevenant, surtout s'agissant d'un professionnel, de sa responsabilité pénale et douanière ; qu'en relaxant les prévenus, commissionnaires en douane, motifs pris de ce que les agents des douanes n'étaient pas en mesure d'adopter une position claire et qu'ils n'ont pas fait parvenir dans le délai de onze mois l'information de non-apurement, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 336, alinéa 2, et 396 du Code des douanes ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour relaxer Francesco Y... et Alain Z..., l'arrêt relève que, selon l'interprétation qui était donnée par les bureaux de douane concernés à l'époque des faits, la production d'un récépissé pouvait témoigner de ce que les marchandises avaient été présentées au bureau de destination ; que les juges ajoutent qu'aucune information de non-apurement n'a été donnée aux prévenus dans le délai de onze mois, contrairement aux exigences posées par l'article 11 bis du règlement 1062/87/CEE de la Commission, du 27 mars 1987 et qu'il n'est pas établi qu'ils auraient omis d'accomplir les obligations qui leur incombaient en l'état des textes applicables et des usages en cours à l'époque des faits ; que la Cour relève, enfin, que, si le manque de vigilance constaté à l'encontre des sociétés dirigées respectivement par Francesco Y... et Alain Z... est susceptible d'engager la responsabilité de celles-ci, aucune faute personnelle n'est relevée à l'encontre des prévenus, dont il n'est ni établi ni même soupçonné qu'ils aient eu un quelconque intérêt dans le trafic découvert ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs en partie contradictoires et sans mieux s'expliquer sur les négligences attestées par les déclarations recueillies dans les procès-verbaux du 24 mars et du 1er avril 1993, la cour d'appel, qui n'a pas établi la bonne foi des prévenus, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen proposé,
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 8 septembre 2004, mais en ses seules dispositions concernant Maurice X..., Francesco Y... et Alain Z..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcées,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Soulard conseiller rapporteur, MM. Challe, Roger, Dulin, Mme Thin, MM. Rognon, Chanut, Mme Nocquet, M. Beauvais conseillers de la chambre, Mme Labrousse, M. Delbano conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Mouton ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;