AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt septembre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire DEGORCE, les observations de Me BLONDEL, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Nicolas,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PAPEETE, chambre correctionnelle, en date du 7 octobre 2004, qui, pour blessures involontaires, l'a condamné à 3 mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, lors d'une étape de la course de pirogues Tahiti-Nui va'a, Edwin Y... a été grièvement blessé par l'hélice de l'un des deux bateaux à moteur qui accompagnaient les compétiteurs ; que l'accident s'est produit au moment de la relève des rameurs d'une pirogue par six nouveaux équipiers, qui s'étaient jetés à l'eau depuis le bateau accompagnateur, Edwin Y... ayant sauté en cinquième position ;
que Nicolas X..., propriétaire et capitaine de ce navire, qui avait reçu 120 000 francs CFP pour assurer le transport des compétiteurs, a été déclaré coupable de blessures involontaires ; qu'Edwin Y..., partie civile, a demandé la réparation de ses préjudices ;
En cet état,
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, 37 et 42 de la loi du 18 juin 1966, 58 de la loi du 3 janvier 1967, 2 et 4 de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, 1382 et 1383 du Code civil ;
"en ce que la constitution de partie civile d'Edwin Y... a été déclarée recevable et le prévenu condamné à lui payer diverses sommes en réparation de ses préjudices ;
"aux motifs que le prévenu a soulevé l'irrecevabilité de la partie civile à demander réparation de son préjudice devant le tribunal au motif que les juridictions répressives sont incompétentes en matière de transport maritime de passagers ; qu'il invoque la loi du 18 juin 1966, la loi du 3 janvier 1967 et la Convention de Londres de 1976, lesquelles prévoient un système de limitation de responsabilité ; que ces textes concernent le transport maritime de passagers à titre onéreux ; que le transport des membres de l'équipe Rautere est bien intervenu à titre onéreux, puisqu'une somme de 120 000 fcp a été versée par l'AS Rautere au capitaine du bonitier ;
qu'en revanche, Edwin Y... n'était plus passager du navire au moment où il a été blessé, dans la mesure où il était à l'eau pour prendre la relève de l'équipage de la pirogue ; que le contrat de transport prend fin ou est interrompu, lorsque le passager a quitté volontairement le navire ; que dans ces conditions, les dispositions spécifiques, ci-dessus visées, concernant le transport maritime des passagers n'ont pas vocation à s'appliquer ;
"alors que, d'une part, selon les dispositions de l'article 42 de la loi du 18 juin 1966, l'action spéciale en réparation ouverte contre le transporteur maritime est exclusive de toute autre action en responsabilité à quelque titre que ce soit ; que, selon l'article 37 de cette même loi, l'accident corporel survenu en cours de voyage ou pendant les opérations d'embarquement ou de débarquement soit aux ports de départ ou de destination, soit aux ports d'escales donnent lieu à réparation de la part du transporteur ; que l'accident dont Edwin Y... fut victime ne s'étant pas produit à l'occasion d'opérations de débarquement à un port de destination, mais alors que celui-ci, passager du navire, avait quitté le bord pour plonger et rejoindre par ses moyens une équipe de piroguiers participant à une compétition, la Cour en statuant comme elle l'a fait se fonde sur des considérations inopérantes et viole les textes visés au moyen ;
"alors que, d'autre part, le propriétaire d'un navire peut, même envers l'Etat, limiter sa responsabilité envers des contractants ou des tiers si les dommages se sont produits à bord du navire ou s'ils sont en relation directe avec la navigation ou l'utilisation du navire ; qu'ayant constaté que l'accident dont Edwin Y... fut victime s'était produit lors de l'exploitation du navire manoeuvré par Nicolas X..., la Cour statue à l'aide de considérations inopérantes et viole l'article 58 de la loi du 3 janvier 1967 ;
"alors que, de dernière part, quel que soit le fondement de la responsabilité, sont soumises à la limitation de la responsabilité, en vertu de l'article 2 de la Convention de Londres du 19 novembre 1976, les créances pour mort, pour lésions corporelles, pour pertes et pour dommages à tous biens survenus à bord du navire ou en relation directe avec l'exploitation de celui-ci ou avec des opérations d'assistance ou de sauvetage, ainsi que pour tout autre préjudice en résultant ; qu'ayant constaté que l'accident dont Edwin Y... fut victime s'était produit lors de l'exploitation du navire manoeuvré par Nicolas X..., la Cour statue à l'aide de considérations inopérantes et viole la Convention susvisée" ;
Sur le moyen pris en sa première branche :
Attendu que, pour écarter l'exception d'irrecevabilité de l'action civile soulevée par le prévenu et retenir sa compétence pour statuer sur la demande de réparation de la partie civile, la cour d'appel énonce que les dispositions des articles 37 et 42 de la loi du 18 juin 1966 sur les contrats d'affrètement et de transport maritimes invoquées ne s'appliquent pas à la cause, le contrat de transport ayant pris fin au moment où Edwin Y... a quitté volontairement le navire ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'il n'a pas été soutenu que l'accident ait eu lieu pendant une opération de débarquement, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Qu'en effet, l'action que la victime peut exercer contre le transporteur maritime, à l'exclusion de toute autre action, en application de l'article 37 de la loi du 18 juin 1966, a pour objet la réparation des conséquences dommageables d'accidents corporels survenus en cours de voyage ou pendant les opérations d'embarquement ou de débarquement ;
D'où il suit que le grief allégué n'est pas encouru ;
Mais sur le moyen pris en ses deuxième et troisième branches :
Vu l'article 58 de la loi du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer et les dispositions de la Convention du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que le propriétaire ou le capitaine d'un navire peut limiter sa responsabilité envers des cocontractants ou des tiers si les dommages se sont produits à bord du navire ou s'ils sont en relation directe avec la navigation ou l'utilisation du navire ;
Attendu que, pour rejeter la demande de limitation de responsabilité formée par le prévenu sur le fondement de l'article 58 de la loi du 3 janvier 1967 et de la Convention de Londres du 19 novembre 1976, l'arrêt énonce que ces textes, qui concernent le transport maritime de passagers, ne sont pas applicables au cas d'Edwin Y..., qui, ayant interrompu l'exécution du contrat de transport en quittant le navire, avait perdu la qualité de passager au moment de l'accident ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, les juges ont méconnu le sens et la portée des textes susvisés, qui ne soumettent pas la possibilité d'une limitation de la responsabilité du propriétaire ou du capitaine du navire à la condition de l'existence d'un contrat de transport ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Papeete, en date du 7 octobre 2004, en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Papeete et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Degorce conseiller rapporteur, MM. Blondet, Palisse, Le Corroller, Castagnède, Beauvais conseillers de la chambre, Mmes Gailly, Guihal, MM. Chaumont, Delbano conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Davenas ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;