AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt septembre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire GAILLY, les observations de Me RICARD, de la société civile professionnelle BACHELLIER, de POTIER de la VARDE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Claire, épouse Y..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 10 septembre 2004, qui, dans la procédure suivie contre Stéphan des Z... de A... du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 229-10 du Code pénal, 459, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, défaut de réponse à conclusions et défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué refusant de prendre en compte le préjudice né de la perte d'emploi et de la perte de chance de promotion dans sa carrière professionnelle invoquées par la partie civile, n'a que très partiellement réparé les conséquences dommageables extrêmement graves subies du fait de l'accident dont l'entière responsabilité incombait au prévenu ;
"aux motifs qu'en l'état des documents joints ou produits, la partie civile ne saurait sérieusement prétendre à une perte de carrière et de chance, par elle arbitrairement fixée à la somme de 400 000 euros dont elle ne justifie pas autrement qu'en substituant à la fiche de poste, qui a dû être établie par M. B..., le curriculum vitae par elle dressé tandis qu'en première instance, elle n'avait invoqué, dans ses conclusion écrites, "qu'un préjudice professionnel" qui, inclus dans sa demande relative à l'incapacité permanente partielle, - "ne prenait pas en compte un espoir d'augmentation et de promotion" et était, par elle chiffrée à la somme de 80 000 euros ; qu'au surplus, elle a perçu, à compter du 7 février 2003, une pension d'invalidité de première catégorie de sorte que la demande doit être rejetée ;
"alors que l'élément de préjudice, constitué par la perte d'emploi et par la perte d'une chance de promotion dans la carrière si celle-ci n'avait pas été interrompue du fait de l'accident, doit être indemnisé ; qu'en refusant de prendre en compte la perte d'emploi et la perte de chance de promotion et d'avancement dans la carrière professionnelle de la partie civile, âgée de 29 ans lors des faits et licenciée de son emploi le 1er juin 2004 en raison de son inaptitude médicalement constatée, soit postérieurement à la décision des premiers juges prononcée le 5 mai 2003, au motif que le préjudice professionnel avait été précédemment chiffré à la somme de 80 000 euros et inclus dans la demande de réparation relative à l'incapacité permanente partielle et qu'une rente d'invalidité mensuelle de 440 euros lui était versée, les juges d'appel n'ont pas répondu aux conclusions de la partie civile faisant état de ces éléments nouveaux et constitutifs d'une aggravation du préjudice subi du fait de l'accident imputable entièrement au prévenu, en sorte que leur décision n'est pas légalement justifiée" ;
Vu les articles 1382 du Code civil et 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties, que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'appelée à statuer sur les conséquences dommageables d'un accident de ski, dont Claire Y... a été victime à l'âge de 29 ans, et dont Stephan des Z... de A..., reconnu coupable de blessures involontaires, a été déclaré entièrement responsable, la juridiction du second degré était saisie de conclusions de la partie civile tendant à la condamnation de ce dernier à lui verser 400 000 euros en réparation des préjudices résultant de la perte de son emploi ainsi que de toute chance de réinsertion et de promotions professionnelles ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, l'arrêt énonce que la partie civile, qui n'avait invoqué devant les premiers juges qu'un préjudice professionnel évalué à 80 000 euros sans faire état de la perte d'une chance d'augmentation de salaire et de promotion professionnelle, percevait depuis le 7 février 2003 une pension d'invalidité de première catégorie et ne justifiait pas de ses demandes ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que la partie civile faisait valoir qu'elle avait été licenciée de son emploi le 1er mai 2004, postérieurement au jugement, en raison d'un handicap dû à l'aggravation des conséquences de ses blessures et qu'elle était privée de son emploi et de tout espoir de promotion, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 10 septembre 2004, en ses seules dispositions ayant rejeté la demande d'indemnisation du préjudice professionnel et d'une perte de chance de promotion et de réinsertion professionnelles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Chambéry, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel deGrenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de Claire X..., épouse Y..., de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Gailly conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;