AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le six septembre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CASTAGNEDE, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Philippe,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 20ème chambre, en date du 2 décembre 2004, qui, pour homicide involontaire, l'a condamné à 5 mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 509, 513, 515, 591 du Code de procédure pénale et l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"en ce que l'arrêt attaqué, confirmant sur le seul appel du prévenu et du ministère public le jugement ayant condamné le prévenu, a entendu les parties civiles et leur avocat dans l'ordre prévu par l'article 460 du Code de procédure pénale ;
"alors que la victime, partie civile, non appelante du jugement de condamnation n'est plus partie à l'audience d'appel et ne peut être entendue en sa qualité et que sa participation aux débats en qualité de partie civile, a préjudicié aux droits de la défense" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le prévenu a relevé appel des dispositions pénales et civiles du jugement entrepris ; que par suite, en donnant la parole aux parties civiles intimées par cet appel, les juges du second degré ont fait l'exacte application de la loi ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 221-6 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé la condamnation du demandeur à une peine de 5 mois d'emprisonnement avec sursis, avec dispense de mention au bulletin numéro 2 de son casier judiciaire ;
"aux motifs qu'il doit être rappelé qu'au rang des obligations essentielles incombant aux instituteurs figure celle d'assurer la surveillance et la sécurité des élèves leur étant confiés ;
que s'il ne peut, à l'évidence, être exigé d'eux qu'ils soient présents à tous les instants auprès de chaque enfant, encore est-il nécessaire qu'ils exercent une surveillance effective et vigilante pendant la totalité du temps scolaire et s'assurent de façon permanente que toutes les conditions de sécurité sont réunies ; que la circulaire n° 91-124 du 6 juin 1991 rappelle ainsi en son article 5 que la surveillance des élèves doit être continue et leur sécurité constamment assurée "en tenant compte de l'état et de la distribution des locaux et de la nature des activités proposées ; que Philippe X... connaissait la dangerosité de la situation résultant de l'ouverture des fenêtres et savait que les enfants étaient susceptibles de s'asseoir sur le rebord ; que la probabilité en était d'autant plus grande le 20 décembre 1996 que les occupations des enfants étaient empreintes d'une liberté accrue alors que lui-même, préparant le départ en classe de neige, ne pouvait s'acquitter de son devoir de surveillance avec une vigilance équivalente à celle qui était habituellement la sienne ; que dans ces conditions, la décision prise par Sarah Y... d'aller s'asseoir sur le rebord de la fenêtre ne saurait être mise sur le compte d'une désobéissance de sa part, ainsi que paraît le soutenir la défense du prévenu, mais bien sur la liberté de mouvement que ce dernier avait consenti à ses élèves ; que Philippe X... avait pris soin de n'ouvrir ou de ne faire ouvrir le châssis bas de la fenêtre qu'au moment où les enfants allaient en récréation, conscient que la sécurité de ces derniers, quittant alors la salle de classe, ne pouvait être compromise ; que dans un tel contexte, et dans la mesure où Philippe X... avait la possibilité d'aérer sans difficulté la salle de classe en procédant, à l'aide d'une manivelle, à l'ouverture du châssis central de la fenêtre, il lui appartenait impérativement d'en fermer ou d'en faire fermer le châssis bas au retour des enfants en sorte que ceux-ci retrouvent les conditions de sécurité existant avant leur activité de récréation ; qu'en omettant de procéder ainsi au retour des élèves dans la salle de classe et en ne rétablissant pas les conditions de sécurité qu'il leur avait jusque-là garanties, générant dans ces conditions un risque majeur dont il avait conscience, Philippe X... a commis une faute caractérisée répondant aux exigences de l'article 121- 3, alinéa 4, du Code pénal ;
"alors, d'abord, qu'aux termes de l'alinéa 4 de l'article 121-3 du Code pénal, la responsabilité pénale de l'auteur indirect du dommage peut être engagée s'il est établi qu'il a, en toute connaissance de cause, exposé autrui à un risque d'une particulière gravité ; que cette imprudence doit être suffisamment grave pour constituer une faute caractérisée, c'est-à- dire d'une particulière évidence et d'une particulière intensité ; qu'en jugeant que revêtait ce caractère, le fait de la part de l'instituteur de n'avoir pas refermé le châssis bas de la fenêtre de la classe, sans avoir relevé un manquement fautif de sa part à son devoir de surveillance des élèves, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions susvisées ;
"alors, ensuite, que selon l'alinéa 4 de l'article 121-3 du Code pénal, la personne qui a causé indirectement un dommage n'engage sa responsabilité pénale que si elle a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, ou commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer ; que cette dernière faute implique que l'auteur du dommage ait eu connaissance de l'existence d'une situation de danger ; qu'en déduisant la conscience du risque de la simple mise en garde par le demandeur adressée à ses élèves au cours d'un exercice scolaire antérieur contre le danger occasionné par la chute d'une fenêtre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
"alors, enfin, qu'il résulte de la combinaison des alinéas 3 et 4 de l'article 121-3 du Code pénal que la faute caractérisée doit être appréciée au regard de la réalisation des diligences normales par l'auteur des faits compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ; qu'en se bornant à énoncer les obligations incombant aux instituteurs de façon générale, sans s'interroger sur les circonstances de l'espèce, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de procédure qu'à l'issue de la récréation, Sarah Y..., âgée de dix ans, qui, avec les autres élèves du cours moyen, venait de regagner la salle de classe située au deuxième étage de l'école, est tombée à la renverse du rebord de l'une des fenêtres demeurée ouverte, où elle s'était assise quelques instants à l'insu de son instituteur, Philippe X..., absorbé par la préparation d'un départ en classe de neige ; qu'elle est décédée des suites de ses blessures ;
Attendu que, pour déclarer Philippe X... coupable d'homicide involontaire, l'arrêt relève que, connaissant la dangerosité de la situation résultant de l'ouverture des fenêtres pour les enfants, il n'a pas pris à leur arrivée dans la classe les mesures de fermeture permettant d'éviter le dommage et a ainsi commis une faute caractérisée exposant les élèves à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations procédant de son appréciation souveraine, d'où il résulte que le prévenu n'a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient, compte tenu de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Castagnède conseiller rapporteur, MM. Blondet, Palisse, Le Corroller conseillers de la chambre, Mmes Gailly, Guihal, M. Chaumont, Mme Degorce conseillers référendaires ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;