AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-neuf juin deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CHALLE, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... René,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, en date du 17 novembre 2004, qui, pour prise illégale d'intérêts, l'a condamné à 10.000 euros d'amende ;
Vu le mémoire produit en demande ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 485, 486, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que la minute de l'arrêt attaqué indique qu'il a été prononcé par M. Naget, conseiller, et qu'il a été signé par M. Lacan, président, lequel n'était pas présent lors du prononcé ;
"alors que, le texte porté sur la minute doit être conforme à celui qui a été lu en audience publique ; que, pour garantir cette conformité, la minute doit être signé par le juge qui a donné lecture de l'arrêt ou à tout le moins par un magistrat qui a assisté à son prononcé ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué est signé par un magistrat qui n'était pas présent lors du prononcé" ;
Attendu que l'arrêt mentionne qu'il a été signé par M. Lacan, président et lu par M. Naget, conseiller ; que ces mentions établissent la régularité de la décision, la signature de la minute de l'arrêt par le conseiller qui en donne lecture n'étant prévue par l'article 486, alinéa 3, du Code de procédure pénale, qu'en cas d'empêchement, non allégué en l'espèce, du président ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 432-12 et 432-17 du Code pénal et des articles 7, 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a refusé de constater la prescription de l'action publique relativement aux faits poursuivis sous la qualification de prise illégale d'intérêts ;
"aux motifs que, le délit de prise illégale d'intérêts se prescrit à compter du dernier acte administratif accompli par l'agent public par lequel il prend ou reçoit directement ou indirectement un intérêt dans une opération dont il a l'administration ou la surveillance ; qu'aux termes de la prévention, il est reproché à René X... non seulement d'avoir attribué le contrat de maîtrise d'oeuvre à son beau-frère mais d'en avoir assuré lui-même le paiement pour le compte de la commune ; que le dernier acte de paiement est du 5 juin 1998, date de la facture d'honoraires définitive intitulée acompte n° 5 et d'un montant de 23 000 francs hors taxes correspondant au solde restant dû sur le montant global du marché ; que la prescription n'a commencé à courir qu'à compter de cette date ; que le réquisitoire introductif du procureur de la République, en date du 23 janvier 2001, a interrompu la prescription ; que, dès lors, l'action publique relative aux faits de prise illégale d'intérêts n'est pas atteinte par la prescription ;
"alors que, la prise illégale d'intérêts étant un délit instantané, les faits poursuivis sous cette qualification sont prescrits après trois ans révolus à compter du jour où le dernier acte constitutif de l'infraction a été commis ; que le paiement au terme convenu des échéances d'un contrat dont le prix a déjà été fixé n'est pas un élément constitutif de la prise illégale d'intérêts mais un acte d'exécution insusceptible d'interrompre le délai de prescription de l'action publique ; qu'il ressort des énonciations de l'arrêt que, le 25 août 1997, René X... a conclu avec son beau-frère M. Y... un marché de gré à gré ayant pour objet la maîtrise d'oeuvre du projet de rénovation du cercle Saint-Paulois moyennant un prix de 70 000 francs payable en cinq échéances ; qu'en énonçant que les paiements effectués par René X... ont interrompu le délai de prescription de l'action publique qui avait commencé à courir le 25 août 1997, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, le 25 août 1997, René X..., maire de Saint-Paul de Vence, a attribué à son beau-frère, architecte, le marché de maîtrise d'oeuvre pour l'extension et la rénovation d'un bâtiment communal, le "cercle Saint-Paulois", puis a effectué le règlement des honoraires au nom de la commune, soit une somme totale de 70.000 francs, en cinq versements, le dernier en date du 5 juin 1998 ;
Attendu que, pour déclarer non prescrite l'action engagée contre René X... du chef de prise illégale d'intérêts, l'arrêt retient que le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à compter de la date du dernier acte de paiement de la somme de 23.000 francs correspondant au solde restant dû sur le montant global du marché et ajoute que le réquisitoire introductif, en date du 23 janvier 2001, a interrompu la prescription ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour dappel a fait l'exacte application des textes visés au moyen, lequel ne peut, dés lors, être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 432-12 et 432-17 du Code pénal et des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré René X... coupable de prise illégale d'intérêts ;
"aux motifs que, la matérialité des faits n'est contestée par aucun des prévenus ; que René X... fait valoir que, la commune de Saint-Paul comptant moins de 3 500 habitants, le maire peut traiter directement avec la commune dont il est l'élu, par application des alinéas 2 et suivants de l'article 432-12 du Code pénal qui organisent un régime dérogatoire pour les petites communes en matière de prise illégale d'intérêts ; mais que l'alinéa 5 du texte susvisé prévoit un système particulier de représentation de la commune mettant à l'écart de la décision le maire ou l'élu intéressé lors de la délibération relative aux actes susceptibles de générer une prise illégale d'intérêts ; qu'une telle procédure n'a pas été mise en oeuvre en l'espèce, le maire ayant décidé seul du contrat de maîtrise d'oeuvre et ayant assuré lui-même les ordres de paiement ; que le délit de prise illégale d'intérêts est constitué à l'encontre de René X... ;
"alors que la loi pénale est d'interprétation stricte ;
qu'aux termes de l'article 432-12, alinéa 5, du Code pénal, dans les communes comptant 3 500 habitants au plus et pour les contrats dont le montant annuel ne dépasse pas 16 000 euros, le délit de prise illégale d'intérêts consiste dans le fait pour un élu de participer aux délibérations du conseil municipal relatives à la conclusion ou à l'approbation d'un contrat auquel il est partie ; qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que René X... est maire d'une commune de 2 800 habitants et que le marché de gré à gré conclu le 14 août 1997 avec M. Y... s'élevait à 70 000 francs soit 10 687 euros ; qu'en reprochant à René X... d'avoir décidé seul de la conclusion de ce contrat auquel il n'était pas partie et d'avoir assuré lui-même les ordres de paiement y afférents, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu que, pour déclarer René X... coupable de prise illégale d'intérêts après avoir écarté l'argumentation du prévenu qui invoquait les dispositions de l'article 432-12, alinéas 2 et suivants, du Code pénal, applicables aux communes comptant 3.500 habitants au plus, et permettant au maire de traiter avec la commune dont il est l'élu pour la fourniture de services dans la limite d'un montant annuel de 16.000 euros, l'arrêt relève que la procédure prévue par l'alinéa 5 du texte précité, qui prévoit un système particulier de représentation de la commune, n'a pas été mise en oeuvre, le maire ayant décidé seul de la conclusion du contrat de maîtrise d'oeuvre et ayant exécuté lui-même les ordres de paiement ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, et dés lors que les dispositions dérogatoires précitées ne peuvent être invoquées par un maire qui conclut lui-même avec un tiers, au nom de la commune, un contrat dans lequel il prend un intérêt, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Challe conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;