AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quinze juin deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de Me BLANC et de la société civile professionnelle BORE et SALVE de BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- LE X... Jean,
- LA SOCIETE TOUT BEURRE PETIT BERGER,
- L'ADMINISTRATION DES DOUANES, partie poursuivante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9ème chambre, en date du 25 mai 2004, qui, pour obtention frauduleuse d'un avantage alloué par LE FONDS EUROPEEN D'ORIENTATION ET DE GARANTIE AGRICOLE, a condamné le premier à une amende douanière de 34 000 euros ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'entre le 18 mars et le 2 juin 1997, la société Tout beurre petit berger, dirigée par Jean Le X..., a sollicité des aides prévues par la politique agricole commune au profit du beurre destiné à être incorporé dans des produits finis ; que le beurre visé dans ces demandes avait été vendu par elle aux sociétés Les Moulins de Saint Prieul et Les Moulins de Saint Armel, qui devaient l'utiliser pour la fabrication de pâtisseries ; que, s'étant révélé impropre à la consommation, le beurre a été cédé à un éleveur de porcs ; que Jean Le X... a été poursuivi pour avoir, entre le 5 février et le 19 mars 1997, frauduleusement obtenu un avantage alloué par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole ; que la société Tout beurre petit berger a été citée en qualité de solidairement responsable ;
En cet état :
I - Sur le pourvoi de Jean Le X... et de la société Tout beurre petit berger :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 65 A bis-7 , 414, 432 bis, 437, 438 du Code des douanes, 388, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Jean Le X... coupable de fraude afin d'obtenir des avantages du fonds européen agricole lors d'opérations sur l'espace douanier ;
"aux motifs que les services vétérinaires avaient transmis les résultats des analyses à la société Tout Beurre le 24 avril 1997 ; que les laboratoires avaient communiqué leurs résultats le 17 avril 1997 ; que, cependant, le prévenu avait présenté ses demandes de subventions européennes le 18 mars 1997, postérieurement au refus de la marchandise par ses clients et avait poursuivi par cinq demandes jusqu'au 2 juin 1997 ; qu'il ne pouvait ignorer le caractère impropre à la consommation du produit et sa non-conformité aux critères permettant l'obtention de subventions ;
"alors, d'une part, que la juridiction correctionnelle ne peut légalement statuer que sur les faits visés par la citation ; qu'en ayant statué sur des faits commis jusqu'au 2 Juin 1997, quand la citation visait uniquement des faits survenus du 5 février au 19 mars 1997, sur lesquels seuls le tribunal avait statué, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine ;
"alors, d'autre part, que seuls sont réprimés les actes frauduleux ayant pour objet d'obtenir un avantage du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole ; qu'en ayant déclaré frauduleuse la demande de subvention présentée le 18 mars 1997, après avoir constaté que les laboratoires n'avaient communiqué leurs résultats que le 17 avril 1997 et les services vétérinaires le 24 avril 1997, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, enfin, qu'en n'ayant pas répondu au chef péremptoire des conclusions d'appel du prévenu qui invoquait l'absence de conformité des analyses effectuées au règlement n° 454/95 de la Commission du 28 février 1995 portant modalités d'application des interventions sur le marché du beurre et de la crème de lait, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs" ;
Attendu que, pour déclarer Jean Le X... coupable des faits reprochés, l'arrêt relève, notamment, que ses clients ont constaté, respectivement le 17 février et le 3 mars 1997, que le beurre qu'il leur avait livré était impropre à la consommation et qu'ils en ont informé le prévenu ; que les constatations des clients ont été confirmées ultérieurement par des analyses des services vétérinaires ; que, dans ces conditions, Jean Le X... ne pouvait ignorer, lorsqu'il a présenté, à partir du 18 mars 1997, ses demandes de subventions européennes, que le beurre ne remplissait pas les critères permettant son incorporation dans des produits finaux ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs et dès lors, d'une part, que la demande de subvention, en date du 18 mars 1997, était comprise dans la saisine de la cour d'appel, d'autre part, qu'il résulte de l'article 22 du règlement 570/88/CEE de la Commission, du 16 février 1988, applicable au moment des faits, que le versement des aides à la transformation de beurre était subordonné à la condition que leur bénéficiaire prouve que le beurre avait été incorporé dans des produits finaux et, enfin, que les conclusions d'appel tirées de l'application des articles 2 et 11 du règlement 454/95/CE de la Commission du 28 février 1995 étaient inopérantes, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;
II - Sur le pourvoi de l'administration des douanes :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 65 A bis, 406, 407, 414, 432, 437, alinéa 1, 438 du Code des douanes, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a omis de condamner la société Tout Beurre solidairement avec le prévenu au paiement du montant de l'amende douanière ;
"1 ) alors que, dans ses conclusions d'appel dirigées tant contre Jean Le X... que contre la société dont il était le dirigeant, à savoir la société Tout Beurre, l'administration des Douanes avait notamment soutenu que cette société avait sollicité et obtenu le versement des aides indues, outre la libération de la caution de transformation du produit, après avoir été informée du caractère frauduleux de la marchandise (p.6, alinéa 2 et 8) ; qu'en conséquence, l'Administration appelante avait conclu à la condamnation " de Jean Le X... solidairement avec la société Tout Beurre Petit Berger à payer à l'administration des Douanes une amende de 101 688 euros " ; qu'en omettant dans le dispositif de son arrêt de statuer sur le chef des conclusions de l'administration des Douanes visant la société intimée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"2 ) alors que les condamnations contre plusieurs personnes pour un même fait de fraude sont solidaires tant pour les pénalités pécuniaires tenant lieu de confiscation que pour l'amende ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que le bénéfice des aides indues avait été frauduleusement réclamé et obtenu par le prévenu et la société Tout Beurre personnellement avertie du caractère impropre de la marchandise (p.6, alinéa 5) ;
qu'en s'abstenant d'entrer en voie de condamnation contre cette société dont l'intérêt à la fraude était ainsi établi, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que les juridictions correctionnelles doivent statuer sur l'ensemble des demandes dont elles sont saisies ;
Attendu qu'après avoir déclaré Jean Le X... coupable des faits reprochés, l'arrêt l'a condamné à une amende douanière de 34 000 euros ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans statuer sur la demande de l'administration des Douanes tendant à ce que la société Tout beurre petit berger soit condamnée, solidairement avec Jean Le X..., au paiement de l'amende, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
I - Sur le pourvoi de Jean Le X... et de la société Tout beurre petit berger :
LE REJETTE ;
II - Sur le pourvoi de l'administration des Douanes :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 25 mai 2004, mais uniquement en ce qu'il a omis de statuer sur la demande de l'administration des Douanes visant la société Tout beurre petit berger, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Soulard conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;