AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre mai deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller POMETAN, les observations de Me BALAT, de la société civile professionnelle LAUGIER et CASTON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SOCIETE TECHNICOLOR, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, en date du 5 mai 2004, qui, dans la procédure suivie contre Jean X... des chefs de vols, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 311-1 et 311-3 du Code pénal, 2, 3, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Jean X... du chef de vol et, en conséquence, a débouté la société Technicolor, partie civile, de ses demandes ;
"aux motifs qu'en janvier 1999, Jean X... a été embauché par la société Technicolor, dont l'activité est la distribution de peintures et produits chimiques, en qualité de chef des ventes ; que son rôle portait à la fois sur l'encadrement des commerciaux et sur la prospection de la clientèle ; qu'au demeurant, il effectuait également des ventes lui-même ; que le 23 juillet 2001, Robert Y..., gérant de la société, s'est présenté au commissariat de police d'Antibes et a déposé plainte contre son salarié, en expliquant que le coloriste aurait constaté des disparitions de marchandises, imputables à Jean X... ; qu'il affirmait avoir constaté à plusieurs reprises que ce dernier sortait des produits du magasin sans établir de bons de livraison, et que ces anomalies lui avaient été confirmées par le personnel du secrétariat ; que, dès lors, il soupçonnait Jean X... de se livrer à des vols de ces marchandises, et de les vendre pour son propre compte ; qu'il l'avait fait surveiller par un détective, et suivre par des huissiers, dans le but de démontrer qu'il visitait des personnes ne faisant pas partie de la clientèle habituelle de la société, ce que viendrait confirmer l'examen des relevés détaillés des communications téléphoniques passées à l'aide de son appareil de service ; qu'à partir de ces renseignements, les services de police ont procédé à l'audition de clients, non répertoriés dans les fichiers de l'entreprise, dont quelques-uns ont affirmé avoir effectué auprès de Jean X... des achats payés en espèces, voire sans facture ; qu'un seul d'entre eux prétend avoir bénéficié d'une réduction de 50 % ; que d'autres témoins faisant partie du personnel de l'entreprise, le coloriste, le magasinier (frère du gérant de la société) et l'assistante commerciale ont confirmé que des retraits de marchandises avaient été effectués sans bon de livraison, et quelquefois sur des notes manuscrites émanant du prévenu ; qu'entendu le 25 juillet 2001, Jean X... a refusé de s'expliquer de façon satisfaisante sur un certain nombre de faits précis, quoique ponctuels, mettant en évidence les anomalies dénoncées par son employeur ; que, selon lui, tous les produits sortis du magasin n'étaient pas forcément destinés à la vente, étant donné qu'il effectuait des démonstrations, voire des remises gratuites, à titre commercial ; que c'est à juste titre, que le tribunal a estimé ne pas trouver, dans les éléments ci-dessus relatés, la preuve suffisante des vols reprochés à Jean X..., alors surtout que la société Technicolor allègue un dommage dépassant 48 000 euros, en deux ans et six mois de présence de l'intéressé dans l'entreprise ; que des détournements de cette importance ne peuvent s'être prolongés sans avoir été décelables dans la comptabilité des stocks et des résultats de l'entreprise ;
qu'aucun élément comptable n'a été présenté, pour faire ressortir que la société aurait acquis plus de marchandise ou de produits de base qu'elle n'en aurait vendus ; que les procès-verbaux de constats d'huissier versés aux débats s'avèrent inutilisables, de même que les rapports de surveillance, quant à fournir la preuve des vols allégués ; que ce n'est pas davantage sur la base d'un unique témoignage de client prétendant avoir acheté dix litres de peinture, sans facture, et avec un rabais de 50 %, que l'on peut admettre l'existence de l'infraction, qu'il s'agisse des dix litres en question ou des vols habituels dont la société Technicolor se prétend victime ;
qu'enfin, le fait que l'intéressé se soit affranchi, à diverses occasions, de l'obligation d'établir ou de faire éditer des bons de livraison ne suffit pas à démontrer la soustraction frauduleuse des produits, et encore moins leur vente, par le prévenu, pour son propre compte ; que les premiers juges ont donc légitimement accordé à Jean X... le bénéfice du doute et que leur jugement doit donc être confirmé en toutes ses dispositions pénales et civiles ;
"alors, d'une part, qu'en se bornant à énoncer, par une formule lapidaire, que les constats d'huissier versés aux débats s'avéraient inutilisables quant à fournir la preuve des vols allégués, sans répondre au chef péremptoire des conclusions d'appel de la partie civile, qui faisait notamment valoir que ces constats démontraient qu'à plusieurs reprises, Jean X... s'était, pendant ses heures de travail, rendu, d'une part, dans des locaux occupés par M. Z..., d'autre part, dans des locaux occupés par M. A..., qui l'un comme l'autre, bien que ne figurant pas au nombre des clients de la société, ont admis avoir acheté certaines quantités de peintures au prévenu, sans facture ni bon de livraison, ce qui établissait la réalité d'une soustraction frauduleuse, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;
"alors, d'autre part, que toute appropriation de la chose d'autrui, contre le gré de son propriétaire ou légitime détenteur, caractérise la soustraction frauduleuse constitutive de vol, quels que soient le mobile qui a inspiré son auteur et l'utilisation du bien appréhendé ; que dès lors, en relaxant Jean X... du chef de vol, tout en énonçant que l'intéressé, à diverses occasions, s'était affranchi de l'obligation d'établir ou de faire éditer des bons de livraison de produits, ce dont il résultait nécessairement que certains produits avaient ainsi été appréhendés sans droit et à l'insu de l'employeur par le prévenu, peu important l'usage auquel ce dernier les destinait, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et violé ce faisant l'article 311-1 du Code pénal" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve des infractions reprochées n'était pas rapportée à la charge du prévenu, en l'état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant la partie civile de ses prétentions ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de la société Dexia Banque privée France, de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Pometan conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;