AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf mai deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller DULIN, les observations de la société civile professionnelle BACHELLIER-POTIER de la VARDE, de Me RICARD, avocats en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Emeric,
contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 25 juin 2004, qui, pour abus de confiance, l'a condamné à 4 mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 122-4, 314-1 et suivants du Code pénal, L. 133-8 et L. 135-2 du Code du travail, 7 de la Convention collective nationale de travail des imprimeries de labeur et des industries graphiques, du III de l'annexe IV de cette convention, des articles 8, 10, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif a déclaré Emeric X... coupable des faits qui lui étaient reprochés, l'a condamné à la peine de quatre mois d'emprisonnement assortie du sursis, l'a déclaré entièrement responsable du préjudice subi par la société Imprimerie Mosar ;
"aux motifs que 1) concernant les augmentations de salaire, Emeric X... déclarait qu'elles correspondaient à la prime de 13ème mois prévue par la convention collective des imprimeries labeur ; que l'intéressé n'avait jamais perçu de 13ème mois durant 19 ans alors que les autres salariés en bénéficiaient ; qu'il s'était octroyé cette prime à partir de juin 1999, alors qu'il était devenu directeur de Mosar Imprimeries ; que Corinne Y..., secrétaire de direction, déclarait qu'il n'y avait jamais eu d'accord entre Maximilien Z... et Emeric X... pour le versement d'une prime de 13ème mois, ce que Maximilien Z... confirmait formellement ; qu'il précisait qu' Emeric X... s'octroyait des avances, et ensuite pour régulariser, il augmentait son salaire, et qu'il n'avait jamais été question de lui verser un 13ème mois ; qu'en l'absence de preuve de l'accord de la direction, les détournements sont établis ; que 2) concernant l'encaissement du produit de la vente de plaques d'aluminium à la société Est Argent, Emeric X... déclarait que les fonds versés en espèces servaient à alimenter une caisse noire destinée à financer les repas de fin d'année de l'entreprise ou encore à rémunérer les personnes qui rendaient des services à la société ; que ces déclarations étaient là encore contestées par les salariés de Mosar qui déclaraient unanimement qu'il n'y avait eu aucun repas de fin d'année organisé depuis une dizaine d'années ;
que Jean-Louis A..., technico-commercial de Mosar, relatait avoir assisté à une transaction entre Est Argent et Emeric X... ; que ce dernier aurait mis directement une liasse de billets dans sa poche ; qu'en outre, les pochettes de fabrication où étaient mentionnés tous les détails, n'étaient pas établies correctement et ne pouvaient de ce fait servir à une facturation ; qu' Emeric X... reconnaissait indirectement avoir encaissé les fonds versés par la société Est Argent lors de la vente de plaques d'aluminium, affirmant que c'était là un avantage du directeur et que Maximilien Z... était informé de cette situation, ce que ce dernier démentait formellement, l'argent de la vente de plaques alu à Est Argent devant rentrer en comptabilité ; que les détournements visés à la prévention sont donc constitués ; que 3) concernant les travaux d'impression réalisés à titre gracieux ; qu' Emeric X... expliquait qu'il s'agissait là de gestes commerciaux pour des clients de passage ; qu' Emeric X... ajoutait qu'il s'agissait de travaux minimes dont il n'avait tiré aucun profit ; que Corinne Y... relatait que le gérant de la société Peintures et Crépis d'Alsace était en réalité une bonne connaissance d' Emeric X... et avait fourni à ce dernier de la peinture pour la maison en construction d'Emeric X... et avait mis à sa disposition un ouvrier ; que Maximilien Z... indiquait qu' Emeric X... avait évidemment le droit de faire des gestes commerciaux mais non d'effectuer des travaux d'impression sans facture pour des entreprises ayant travaillé dans son domicile privé ; qu'en faisant réaliser divers travaux d'imprimerie sans établir de factures correspondantes au profit des sociétés Ortica, Burr et Peintures et Crépis d'Alsace, et en détournant les sommes en espèces versées par celle-ci, Emeric X... a bien commis le délit d'abus de confiance qui lui est reproché ; que 4) concernant la souscription le 11 février 1998 d'un contrat d'assurance retraite complémentaire au nom de la société, portant sur une prime bimensuelle de 8 800 francs, Emeric X... arguait à nouveau de l'accord de Maximilien Z... qui déclarait formellement n'avoir jamais autorisé Emeric X... à signer un tel contrat au nom de la société ;
que ce n'est qu'à l'occasion d'un contrôle URSSAF que la souscription de ce contrat avait été porté à sa connaissance ; que Corinne Y... indiquait qu'elle n'était même pas en mesure de produire le double du contrat, celui-ci n'étant pas à la société ; qu'elle avait dû solliciter la compagnie d'assurance afin de répondre à l'organisme ; qu'elle précisait que personne n'était au courant dans la société, et qu'elle n'avait jamais osé parler à Maximilien Z... qui accordait son entière confiance à Emeric X... et que ce n'est qu'au mois de juillet 2000 qu'elle avait réussi à lui parler ; que le délit d'abus de confiance est caractérisé, et les faits ne sont pas couverts par la prescription, le point de départ du délai de prescription étant la date à laquelle ils ont été portés à la connaissance du gérant de la société Mosar, soit au mois de juillet 2000 ; que 5) concernant l'achat d'un ordinateur d'une valeur de 8 809,90 francs avec les fonds de la société à des fins personnelles, Emeric X... prétendait avoir travaillé chez lui sur cet ordinateur pour le compte de l'imprimerie, notamment en réalisant la programmation du système Mercure destiné à être installé sur plusieurs ordinateurs connectés en réseau ; que selon Maximilien Z..., l'achat d'un nouvel ordinateur n'était pas utile et il ne l'avait pas autorisé ; que Jean-Louis A..., Mme B... et Corinne Y... déclaraient que l'ordinateur ne s'était jamais trouvé dans les locaux de la société Mosar et qu'après la restitution de l'appareil par Emeric X... suite à son licenciement, le nom de l'utilisateur apparaissant sur l'écran était " X... Elisabeth ", fille d'Emeric X... ; que les dénégations du prévenu ne sont donc pas crédibles ; que 6) concernant l'achat de la débroussailleuse avec les fonds de la société Mosar, Emeric X... déclarait en avoir fait l'acquisition à défaut de débroussailleuse dans les locaux de l'entreprise, et l'avoir utilisée pour débroussailler le terrain adjacent à l'imprimerie ; qu'il concédait s'en être servi à des fins personnelles, notamment pour débroussailler le terrain sur lequel il construisait sa maison d'habitation ; que Bernard M..., employé de la société Mosar, avait été sollicité par Maximilien Z... afin de récupérer la débroussailleuse chez Emeric X... ; que selon Maximilien Z... cet achat n'avait pas du tout été fait pour les besoins de l'imprimerie ; qu'enfin concernant le chèque de 1 500 francs tiré au nom de la société et établi à l'ordre de sa fille, Emeric X... expliquait qu'il avait établi ce chèque avec l'accord de Maximilien Z... qui savait pertinemment qu'il était destiné à financer le voyage d'études de sa fille, ce que ce dernier contestait formellement ;
"1) alors qu'en matière d'abus de confiance, il appartient aux juridictions du fond de rechercher à quelle époque les faits dénoncés sont apparus ou ont pu être constatés et de fixer ainsi le point de départ de la prescription ; qu'en se bornant, pour décider que la prescription n'était pas acquise en ce qui concerne la souscription le 11 février 1998 d'un contrat d'assurance retraite complémentaire au nom de la société, à constater que ce fait n'avait été porté à la connaissance du gérant de la société Mosar qu'au mois de juillet 2000, sans avoir constaté une quelconque dissimulation relative tant à la souscription de ce contrat qu'au versement des primes annuelles en résultant, la cour d'appel n'a pas donné à sa décision des motifs suffisants et l'a ainsi privée de base légale ;
"2) alors que n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ; que lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord collectif de travail, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclu avec lui, sauf dispositions plus favorables ; qu'en laissant sans réponse le moyen de défense péremptoire d' Emeric X... qui, pour justifier les augmentations de salaires dont il s'était fait bénéficier, faisait valoir que celles-ci correspondaient à la prime annuelle dite de treizième mois prévue par la convention collective des imprimeries de labeur applicable aux salariés de la société Imprimerie Mosar, et invoquait ainsi une obligation de l'employeur dont pouvait résulter un fait justificatif de nature à faire obstacle à toute poursuite pénale du chef des augmentations de salaires pratiquées quand bien même cette obligation n'aurait pas été respectée pendant plusieurs années au détriment du salarié, la cour d'appel, qui s'est bornée à relever l'absence de preuve de l'accord de la direction, a privé sa décision de motifs ;
"3) alors que, pour être constitué, le délit d'abus de confiance nécessite que soit rapportée la preuve d'un détournement de l'objet remis à son auteur ; qu'en se bornant à constater qu' Emeric X... avait mis dans sa poche des espèces servant de paiement à une transaction passée avec la société Est Argent, circonstance impropre à elle seule à caractériser le détournement des fonds ainsi perçus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
"4) alors que, la contradiction entre les motifs équivaut à leur absence ; que la cour d'appel ne pouvait tout à la fois sans se contredire et ainsi priver sa décision de toute base légale constater le caractère gracieux des travaux réalisés pour le compte de sociétés clientes de la partie civile et considérer que le prévenu avait détourné les sommes correspondantes cependant qu'aucun témoignage n'a permis d'établir un tel paiement ;
"5) alors que, le seul usage de la chose confiée ne saurait constituer le délit d'abus de confiance ; qu'en se bornant à constater qu' Emeric X... avait fait un usage personnel de la débroussailleuse acquise pour le compte de la société sans davantage caractériser la volonté de ce dernier de se comporter en propriétaire de l'appareil, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
"6) alors que le seul défaut de restitution ou le retard de celle-ci n'implique pas le détournement ou la dissipation, élément essentiel du délit d'abus de confiance, dès lors que ce détournement n'est pas constaté ou ne résulte pas nécessairement des circonstances ; qu'en se bornant, pour juger que l'acquisition d'un ordinateur par Emeric X... pour le compte de la société était constitutive d'un abus de confiance, à constater que l'ordinateur ne se trouvait pas dans les locaux de la société et que le nom de la fille du prévenu apparaissait à titre d'utilisateur, ce qui ne suffit pas à caractériser le détournement imputé à Emeric X..., qui, contraint de quitter l'entreprise très peu de temps après l'achat de l'appareil, a rendu celui-ci après son départ, la cour d'appel, par ces motifs insuffisants, a encore privé sa décision de toute base légale ;
"7) et alors qu'en matière d'abus de confiance, la prescription court du jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique et qu'il appartient aux juges du fond de rechercher à quelle date ont pu être constatés les faits caractérisant le délit ; qu'en se bornant à constater que la fille d' Emeric X... avait perçu un chèque de la société Mosar sans énoncer à tout le moins la date d'émission de celui-ci, point de départ de la prescription de l'action publique, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale" ;
Sur le moyen pris en sa première branche :
Attendu que, pour écarter la prescription de l'abus de confiance concernant la souscription d'un contrat de retraite, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations qui caractérisent la dissimulation, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié le point de départ de la prescription, a justifié sa décision ;
Sur le moyen pris en sa septième branche :
Attendu que la Cour de cassation ne trouve pas dans les constatations des juges du fond les éléments lui permettant d'apprécier la valeur de l'exception de prescription de l'abus de confiance portant sur un chèque, soulevée pour la première fois devant elle ;
Sur le moyen pris en ses autres branches :
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit d'abus de confiance, dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen, nouveau et comme tel irrecevable en sa septième branche, ne peut qu'être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 8, 10, 388 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, violation de la loi ;
"en ce que l'arrêt confirmatif a déclaré Emeric X... responsable du préjudice subi par la société Imprimerie Mosar et l'a condamné à lui payer la somme de 25 655,83 euros en réparation de ses différents chefs de préjudice ;
"aux motifs propres et adoptés que les premiers juges ont fait une exacte appréciation des documents de la cause en évaluant comme ils l'ont fait le préjudice causé à la partie civile par les faits énoncés à la prévention ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à la partie civile la somme de 25 655,83 euros à titre de dommages-intérêts ; que la SARL Imprimerie Mosar s'est constituée partie civile selon conclusions de Me Odenheimer déposées à l'audience ;
que sa demande tend à la condamnation d' Emeric X... au paiement de la somme de 25 655,83 euros à titre de dommages-intérêts ; qu'une somme de 3 000 euros est demandée au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ; qu'il convient de déclarer Emeric X... entièrement responsable du préjudice subi par la SARL Imprimerie Mosar ; qu'en l'état des justifications produites aux débats, le tribunal dispose d'éléments d'appréciation suffisants pour fixer à 25 655,83 euros la somme à allouer ;
"1) alors que l'action civile ne peut plus être engagée devant la juridiction répressive après l'expiration du délai de prescription de l'action publique ; qu'en réparant en son entier, sans distinction, le préjudice invoqué par la partie civile cependant que l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel avait constaté la prescription de certains des faits reprochés à Emeric X... ; et que les demandes en réparation concernaient précisément, entre autres, le préjudice résultant de ces faits, ce dont il résulte que l'action civile ne pouvait plus être exercée pour la totalité du préjudice invoqué mais seulement pour une partie de celui-ci, la cour d'appel a violé les textes ci-dessus visés ;
"2) alors que, tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier sa décision ;
que tant l'arrêt confirmatif que le jugement entrepris ne contiennent aucun motif se rapportant à la condamnation prononcée à l'encontre d' Emeric X... d'avoir à verser à la SARL Imprimerie Mosar, la somme forfaitaire de 3 000 euros en réparation d'un chef de préjudice non qualifié par la partie civile ; qu'en confirmant la condamnation prononcée de ce chef par le tribunal correctionnel, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale" ;
Attendu qu'en évaluant, comme elle l'a fait, la réparation du préjudice résultant pour la partie civile des abus de confiance dont le prévenu a été déclaré coupable, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement l'indemnité propre à réparer le dommage en résultant ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
CONDAMNE Emeric X... à payer à la société Imprimerie Mosar la somme de 2 500 euros au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Dulin conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;