AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf mai deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire SALMERON, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU, de Me LE PRADO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Gérard,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BESANCON, chambre correctionnelle, en date du 23 mars 2004, qui, pour banqueroute, abus de biens sociaux et escroquerie, l'a condamné à 1 an d'emprisonnement avec sursis, 7 500 euros d'amende, 10 ans de faillite personnelle, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article préliminaire du Code de procédure pénale, des articles 388, 591 et 593 du Code de procédure pénale, L. 626-1 et suivants du Code de commerce, 6.1 et 6.3 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut, insuffisance et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a requalifié en banqueroute par détournement d'actif les faits poursuivis sous la qualification d'abus des biens de la SA Eesa France et relatifs au rachat des parts de la SARL Auberge du Doubs, déclaré Gérard X... coupable en ce qui concerne les faits requalifiés, et l'a en conséquence condamné à une peine de un an d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 7 500 euros, a prononcé sa faillite personnelle pour une durée de 10 ans, et l'a enfin condamné à payer la somme de 190 000 euros à titre de dommages-intérêts au Crédit Industriel d'Alsace et de Lorraine, et la somme de 330 000 euros à Me Y... ès qualités ;
"aux motifs qu'il était établi que la SA Eesa France avait racheté à Gérard X... les parts sociales qu'il détenait, alors que la situation nette de ladite SARL était négative et lesdites parts sans aucune valeur ; mais que ladite cession était intervenue le 2 juin 1997 alors que la SA Eesa France était en état de cessation des paiements ; qu'en conséquence, les faits devaient recevoir la qualification de banqueroute par détournement d'actif ;
"alors que le respect des droits de la défense et les exigences du procès équitable commandent que le prévenu puisse connaître et discuter utilement non seulement les faits qui lui sont reprochés, mais également la qualification pénale qui leur sera finalement appliquée par la juridiction de jugement ;
que le juge répressif ne peut donc requalifier les faits dont il est saisi qu'à la condition que le prévenu ait été invité à s'expliquer sur la nouvelle qualification appliquée aux faits considérés, ce qui doit ressortir de la décision retenant la nouvelle qualification ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait donc requalifier en banqueroute les faits relatifs au rachat des parts de la SARL Auberge du Doubs, qualifiés d'abus de biens sociaux tant dans l'ordonnance de renvoi que dans le jugement entrepris, sans justifier avoir invité Gérard X... à présenter ses observations sur la nouvelle qualification appliquée aux faits litigieux pour entrer en voie de condamnation" ;
Vu l'article 388 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du Code de procédure pénale ;
Attendu que, s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ;
Attendu que Gérard X..., renvoyé devant le tribunal correctionnel pour abus de biens sociaux concernant le rachat de ses parts sociales dans la SARL Auberge du Doubs par la société SA EESA France, a été déclaré par la cour d'appel coupable de banqueroute ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni des mentions de l'arrêt ni des pièces de procédure que Gérard X... ait été invité à se défendre sur cette nouvelle qualification ;
Que, dès lors, en prononçant comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens proposés,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Besançon, en date du 23 mars 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Colmar, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Besançon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Salmeron conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;