AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le treize avril deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller PELLETIER, les observations de la société civile professionnelle BOULLEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Patrick,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de RIOM, en date du 25 janvier 2005, qui l'a renvoyé devant la cour d'assises du PUY-DE-DOME, sous l'accusation de complicité de faux en écritures publiques aggravé ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 59 et 60 de l'ancien Code pénal, 112-1, 121-6, 121- 7, 441-4 et 441-10 du Code pénal, 203, 214, 231, 574, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, qui a constaté l'extinction de l'action publique à l'égard d'Alain Y..., a ordonné la mise en accusation, devant la cour d'assises du Puy-de-Dôme, de Patrick X... du chef de complicité des crimes de faux en écriture publique commis par Alain Y..., personne dépositaire de l'autorité publique, dans l'exercice de ses fonctions ;
"aux motifs que les extraits de délibérations d'un conseil municipal sont un acte par lequel le maire, sous la foi de sa signature, atteste que tel jour, le conseil municipal s'est réuni et a pris telle décision engageant la commune ; qu'en l'espèce, les trois extraits de délibérations litigieux indiquaient que, lors de séances antérieures, le conseil municipal avait décidé d'apporter la garantie ou la caution de la commune pour des emprunts souscrits par la société d'économie mixte du Val d'Allier pour des projets immobiliers pour lesquels la commune l'avait mandatée ou désignée comme concessionnaire ; que cependant, l'information a montré que s'agissant de l'extrait signé le 17 juillet 1991 d'une délibération prise dans la séance du 7 mars 1989, le conseil, lors de cette séance, s'il avait décidé d'accorder la garantie totale à la SEMVA, avait mandaté celle-ci pour effectuer toutes les opérations préalables et soumettre à son approbation un budget prévisionnel pour l'opération de construction d'un ensemble immobilier de 27 logements locatifs ; qu'il en résultait que si, lorsque ce budget lui aurait été présenté, le conseil avait estimé que le projet était trop onéreux pour les finances publiques, il pouvait décider de ne pas le réaliser et que la décision d'accorder la garantie de la commune était donc conditionnée à l'accord sur le budget provisionnel devant lui être soumis ; que cette volonté réelle du conseil était encore corroborée par le fait que le même jour, il a accordé la garantie de la commune à la SEMVA à un prêt souscrit par celle-ci auprès de la Mutuelle du Personnel de la RATP pour les études préparatoires et les constitutions de dossiers concernant les opérations immobilières ; que l'extrait signé le 17 juillet 1991 par le maire Alain Y... pour copie conforme à une délibération prise le 9 mars 1989 et indiquant qu'à cette dernière date, le conseil avait décidé d'apporter sa garantie à la SEMVA pour un prêt de 9 922 000 francs consenti par la Caisse des Dépôts et Consignations et destiné à la construction d'un ensemble immobilier comportant 31 logements locatifs sociaux constituait donc une déformation grossière de la volonté du conseil réellement exprimé le 9 mars 1989 ; que s'agissant de l'extrait signé le 3 avril 1991, d'une délibération prise dans la séance du 14 avril 1989, la non-conformité de la décision prétendument prise par le conseil à celle réellement exprimée était encore plus évidente puisqu'il était affirmé que lors de la séance de ce conseil, il avait décidé d'approuver la garantie de la commune à un emprunt de 13 920 000 francs souscrit par la SEMVA auprès du Crédit Foncier de France, pour la construction de la MAPAD sans autre précision sur les caractéristiques de ce prêt, alors que ni dans la séance du 14 avril 1989 ni dans les séances antérieures des 27 septembre 1988 et 9 mars 1989, au cours desquelles le projet d'une telle construction avait été envisagé, il n'y avait eu de débats et de vote sur la garantie de la commune susceptible d'être accordée à la SEMVA ;
qu'au surplus, les délibérations par ailleurs prises lors de la séance du 9 mars 1989 par le conseil accordant la garantie à un prêt de 2 300 000 francs souscrit par la SEMVA auprès de la Mutuelle du Personnel de la RATP dont une partie était affectée à l'étude du projet de MAPAD montre bien que lorsque le conseil entendait donner la garantie, il prenait une délibération précise indiquant l'organisme prêteur, le montant du prêt et toutes les modalités de remboursement ; que s'agissant de l'extrait daté du 25 juillet 1991, d'une délibération prise dans la séance du 7 mars 1989, le conseil, lors de cette séance, avait délibéré sur les projets d'aménagement de la ZAC des Graveyroux et de construction d'un ensemble immobilier de 27 logements locatifs sociaux et accepté de donner la garantie de la commune pour un prêt de 2 300 000 francs dont 500 000 francs destinés à l'étude et à la constitution des dossiers de création et de réalisation de la ZAC des Graveyroux et pour un prêt de 3 100 000 francs destiné à l'achat des terrains de la ZAC et leur aménagement et ainsi qu'il a été analysé ci-dessus, décidé d'accorder la garantie à la SEMVA après approbation d'un budget prévisionnel mais que, lors de cette séance, il n'avait ni débattu ni voté sur la caution devant être donnée à la SEMVA redevable de sommes à la Finter Bank France à hauteur de 1 066 750 francs pour la ZAC des Graveyroux et de 445 000 francs pour la résidence locative Vercingétorix, ces sommes correspondant aux soldes restant dus de deux emprunts souscrits par la SEMVA sans la garantie de la commune ; que c'est donc faussement que l'extrait daté du 25 juillet 1991, alors qu'il avait été en fait établi en 1994, affirmait que lors de la séance du 9 mars 1989, le conseil s'était engagé à cautionner la SEMVA pour ces deux engagements à l'égard de la Finter Bank ; que le système dit des actes rattachés, que les mis en examen ont invoqué pour se disculper, ne saurait légaliser la situation dans laquelle le maire empiétant sur les pouvoirs du conseil municipal prend une décision engageant financièrement la commune en se référant simplement à une séance précédente du conseil où une telle décision n'avait pas été débattue ni votée ou n'avait été qu'évoquée et décidée que dans son principe, l'accord définitif étant soumis à des conditions et notamment à l'approbation d'un budget prévisionnel devant lui être soumis ; que l'article L. 2122-22 du Code général des collectivités territoriales relatif aux pouvoirs pouvant être délégués par le conseil municipal au maire ne saurait pas plus légitimer une telle pratique ; que les extraits de délibérations constituent, à l'évidence, et sans qu'il soit nécessaire de s'interroger sur leur qualification administrative d'acte confirmatif ou d'acte réglementaire, des écritures publiques dont la falsification tombe sous le coup de l'article 441-4 du Code pénal ;
que le fait que la falsification de ces extraits soit si grossière qu'ils en deviennent, ainsi que le soutient le conseil de Patrick X..., d'une illégalité telle qu'ils en seraient inexistants selon la jurisprudence administrative ne saurait soustraire leurs auteurs à l'action publique résultant de cette falsification et ne saurait, selon les dispositions de la procédure pénale, obliger les victimes d'un tel fait à engager, préalablement à leur plainte, une procédure administrative de retrait de ces actes ; que l'information ayant établi que les décisions mentionnées dans les extraits n'étaient pas celles prises lors des séances du conseil municipal, c'est en vain que les mis en examen peuvent soutenir qu'en réalité, le conseil municipal avait été tenu informé de l'évolution des projets et que sa volonté aurait été de prendre les décisions mentionnées fallacieusement dans les extraits ; qu'en effet, Alain Y..., s'il a affirmé sans d'ailleurs justifications, qu'il avait tenu informée sa majorité de l'évolution des projets et des coûts de réalisation de ceux-ci, a oublié qu'en démocratie, une décision d'un conseil municipal doit être prise après inscription à l'ordre du jour d'une séance, permettant ainsi à chacun de s'informer avant la discussion et après un débat au cours duquel les opposants au projet peuvent produire des arguments susceptibles de faire évoluer l'opinion de ceux qui s'y étaient montrés préalablement favorables et que tant que le processus légal n'a pas été respecté, il est vain d'invoquer une prétendue volonté de l'assemblée délibérante engageant financièrement la commune pour des durées allant en l'espèce sur plus de trente ans ;
que la pratique utilisée par Alain Y... et consistant, en rattachant artificiellement un extrait à une délibération du conseil municipal, à indiquer faussement dans l'extrait que le conseil, lors de cette séance, a pris une décision qui n'y a pas été prise, ne saurait non plus être assimilé à la pratique de la "délibération sans vote" par laquelle, même sans vote réellement exprimé, la volonté du conseil résulte sans ambiguïté des prises de position de chacun au cours d'un débat ; qu'enfin, la parfaite connaissance d'Alain Y... de ce que les décisions mentionnées dans les extraits n'étaient pas conformes à celles votées lors des séances résulte du visa lui-même de telle précédente séance du conseil dans les extraits puisque, à chaque fois, il avait dû s'assurer que le projet pour lequel l'extrait était établi avait été débattu lors de la séance visée et qu'il n'avait pas pu ne pas constater à la lecture du procès-verbal des délibérations de cette séance que la décision indiquée dans l'extrait n'y figurait pas ; que les trois extraits litigieux ont été établis pour permettre à la SEMVA d'obtenir des prêts dont la commune du Cendre s'est ainsi retrouvée caution pour des sommes d'un total de plus de 20 millions de francs, les faits créant ainsi à celle-ci un préjudice très important ;
qu'Alain Y... était, lors des faits, maire de la commune du Cendre, personne dépositaire de l'autorité publique et qu'il a signé les extraits dans l'exercice de ses fonctions de maire ; que Patrick X..., secrétaire général de la mairie du Cendre de 1988 au 30 avril 1996, a assisté à toutes les séances du conseil municipal pour lesquels les extraits de délibérations litigieux ont été établis et a procédé à l'essentiel de la rédaction des procès-verbaux de ces séances ensuite transcrits dans le registre par un agent administratif ; que parallèlement, il était employé à temps partiel par la SEMVA, en accord avec Alain Y..., maire du Cendre et président de la SEMVA ;
qu'il a personnellement rédigé, à l'aide d'un modèle, des renseignements fournis par la société Consultant, et du procès-verbal de la séance du conseil municipal du 9 mars 1989, l'extrait signé le 17 juillet 1991 par le maire ; qu'il a, grâce à des documents identiques, participé à la rédaction avec le maire Alain Y... de l'extrait daté du 3 avril 1991, notamment en apportant des corrections au modèle faxé par la société Consultant ; qu'il a, après dactylographie de ces extraits et signature par le maire, personnellement assuré la mise à exécution des deux extraits en s'assurant de l'envoi en Préfecture pour le contrôle de légalité, une mention manuscrite ayant été portée par lui sur la chemise contenant le second extrait ; que Patrick X..., pour rédiger ces extraits, n'a pas manqué de consulter les procès-verbaux des séances du conseil municipal et qu'il n'a pas pu ne pas remarquer que les mentions portées dans les extraits ne correspondaient pas aux décisions prises lors des séances ; qu'il a admis que pour l'un des extraits notamment, il avait même conseillé au maire de faire prendre une nouvelle délibération dans la mesure où la garantie de la commune ne résultait pas des délibérations réellement prises ; qu'il ne saurait en conséquence invoquer sa bonne foi ou l'ignorance de ce qu'il participait activement à la rédaction d'un faux en rédigeant, faisant dactylographier les deux extraits des 3 avril et 17 juillet 1991 et en assurant leur exécution en veillant à leur envoi en Préfecture, d'autant qu'il était mieux informé et plus expérimenté en droit et en gestion administrative municipale que son propre maire ; que s'il devait effectivement obéissance à son supérieur hiérarchique que pouvait constituer le maire, ce devoir s'arrêtait à partir du moment où il lui était demandé de participer comme complice à la commission d'un délit de faux dont il savait qu'il s'agissait d'un acte manifestement illégal et auquel, en application de l'article 122-4 du Code pénal, il devait s'opposer ; qu'il résulte en conséquence de l'information des charges suffisantes contre Patrick X... de s'être sciemment par aide ou assistance et en facilitant la préparation ou la consommation, rendu complice des crimes de faux en écritures publiques commis par Alain Y..., personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions ; que bien que non dépositaire lui-même de l'autorité publique, Patrick X..., complice, encourt les mêmes peines criminelles que l'auteur principal et qu'il sera en conséquence, mis en accusation devant la cour d'assises de ces chefs (arrêt, pages 15 à 19) ;
"alors qu'aux termes de l'article 121-6 du Code pénal, applicable aux infractions commises avant le 1er mars 1994 par application de l'article 112-1 du même Code, le complice est puni comme auteur de l'infraction ; qu'ainsi, la personne qui, sans être dépositaire de l'autorité publique ni chargée d'une mission de service public, se rend complice d'un faux en écriture publique commis par une personne investie d'une telle autorité, n'encourt pas la peine criminelle prévue par l'article 441-4, alinéa 3, du Code pénal, mais uniquement les peines, correctionnelles, prévues par l'article 441-4, alinéa 1er, de sorte que la poursuite de cette infraction échappe à la compétence de la cour d'assises ; que, dès lors, en estimant que bien que n'étant pas dépositaire lui-même de l'autorité publique, Patrick X..., poursuivi comme complice des crimes de faux en écritures publiques commis par Alain Y..., personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions, encourt les mêmes peines criminelles que l'auteur principal et doit, en conséquence, être mis en accusation devant la cour d'assises de ce chef de prévention, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés" ;
Attendu que, pour renvoyer Patrick X... devant la cour d'assises sous l'accusation de complicité de faux en écritures publiques aggravé, l'arrêt attaqué énonce notamment que ce faux aurait été commis par Alain Y..., maire d'une commune, et que Patrick X..., secrétaire de mairie, se serait rendu complice dudit faux en participant à sa rédaction ; que les juges relèvent que l'accusé, bien que non dépositaire de l'autorité publique, encourt, en tant que complice, les mêmes peines criminelles que l'auteur principal ;
Attendu qu'en cet état, la chambre de l'instruction, qui a répondu comme elle le devait aux articulations essentielles du mémoire dont était saisie, a caractérisé, au regard des articles 121-6 et 441-4 du Code pénal, les circonstances dans lesquelles Patrick X... se serait rendu coupable du crime de complicité de faux en écritures publiques aggravé ;
Qu'en effet, les juridictions d'instruction apprécient souverainement si les faits retenus à la charge de la personne mise en examen sont constitutifs d'une infraction, la Cour de cassation n'ayant d'autre pouvoir que de vérifier si, à supposer ces faits établis, la qualification justifie la saisine de la juridiction de jugement ;
Que, dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que la procédure est régulière et que les faits, objet de l'accusation, sont qualifiés crime par la loi ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Pelletier conseiller rapporteur, M. Le Gall conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;