AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente mars deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de Me CARBONNIER, de la société civile professionnelle VUITTON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAUNAY ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Thierry,
contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 29 juin 2004, qui, pour diffamation publique envers particulier, l'a condamné à une amende de 750 euros, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, 31, 32, 50, 53 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la citation soulevée "in limine litis" ;
"aux motifs que le plaignant a visé pour un même fait d'abord la diffamation contre une personne protégée par l'article 31 de la loi de 1881, subsidiairement la diffamation envers les particuliers et plus subsidiairement l'injure ; que le cumul allégué consiste dans la définition de la diffamation et de l'injure et aux pénalités éventuellement applicables en cas d'injures commises à l'égard d'un citoyen chargé d'un mandat public de sorte qu'il est évident que dans son libellé des faits, cette citation n'a créé aucune incertitude dans l'esprit du prévenu quant à l'objet de la poursuite ;
"alors qu'un fait unique ne peut recevoir une qualification cumulative ou alternative sans que soit créée une incertitude dans l'esprit du prévenu quant à l'objet de la poursuite ;
qu'est nulle la citation retenant pour une même imputation la double qualification d'injure et de diffamation ; qu'en déclarant régulière la citation notifiée à l'initiative de Pierre Y..., quand les qualifications de diffamation et d'injure alternativement visées avaient nécessairement entaché la citation de nullité et créé une incertitude dans l'esprit du prévenu, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'en matière de presse, la citation doit, à peine de nullité de la poursuite, qualifier le fait et énoncer l'article de loi applicable ; qu'est nulle une citation visant, pour un fait unique, des qualifications cumulatives ou alternatives de nature à créer, dans l'esprit du prévenu, une incertitude quant à l'objet de la poursuite ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme sur la culpabilité et des pièces de procédure que, dans son numéro des mois de juillet et août 2003, le journal "Tonic" a publié un article ainsi libellé : "Le charcutier rackette les petits commerçants pour mieux donner aux grandes entreprises ...le restaurateur a régularisé la situation avec la mairie en payant une rançon de 27 500 francs" ;
Attendu qu'à la suite de la parution de ce texte, Pierre Y..., maire de la commune de Wissembourg, a fait assigner devant la juridiction correctionnelle Thierry X..., journaliste auteur du texte en cause et directeur de publication du journal précité, en exposant que les propos dénoncés, relatifs aux conditions irrégulières d'attribution d'un permis de construire, le visaient en tant que maire, puisqu'il était identifiable du fait de l'homonymie existant entre sa propre identité et celle d'un fabricant de produits de charcuterie renommé, et qu'ils caractérisaient le délit de diffamation envers "personne dépositaire de l'autorité publique" au sens des articles 29 et 31 de la loi du 29 juillet 1881, subsidiairement, à défaut d'application de ces textes, le délit de diffamation envers particulier prévu par l'article 32 de ladite loi, et plus subsidiairement encore, en cas d'absence de rattachement à un fait précis, l'injure définie par l'article 33 de la même loi ;
Attendu qu'avant toute défense au fond, Thierry X... a invoqué la nullité de la citation introductive d'instance en application des dispositions de l'article 53, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, au motif que cet acte comportait des qualifications inconciliables entre elles ;
Attendu que l'arrêt attaqué, pour confirmer la décision des premiers juges qui avaient écarté cette exception, énonce que le cumul allégué concerne la définition de la diffamation et de l'injure ainsi que les pénalités éventuellement applicables aux injures commises à l'égard d'un citoyen chargé d'un mandat public, de sorte qu'il apparaît que, dans son libellé des faits, la citation n'a créé aucune incertitude dans l'esprit du prévenu quant à l'objet de la poursuite ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que les qualifications alternatives employées en l'espèce pour un fait unique étaient nécessairement de nature à créer une telle incertitude, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; que n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué au fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs,
Et sans qu'il soit besoin d'examiner le second moyen de cassation proposé,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar en date du 29 juin 2004,
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;