AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 18 mars 2003), que M. X..., dont la société qu'il dirigeait a construit, en 1966-1967, un immeuble en copropriété, s'est fait consentir, par délibération de l'assemblée générale des copropriétaires du 5 juin 1968, la jouissance à titre personnel de la totalité du toit-terrasse, partie commune, sur lequel un logement a été édifié sans l'autorisation de la copropriété ni permis de construire ; que Mme Y..., copropriétaire, a assigné, le 16 mars 1998, les héritiers de M. X... pour les faire condamner solidairement à remettre le toit-terrasse dans son état antérieur en faisant démolir la construction édifiée ;
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt d'accueillir la demande, alors, selon le moyen :
1 / que le droit de jouissance exclusive concédé à un copropriétaire sur une partie commune étant constitutif d'un droit réel perpétuel légitimant une appropriation, entendue comme la soustraction d'un bien à usage collectif au profit d'une dévolution individuelle exclusive de toute intervention extérieure, l'action en suppression d'ouvrages surbâtis sur une partie commune concédée en jouissance privative est personnelle et se prescrit par dix ans comme ne tendant pas à discuter d'une question de titularité du droit de propriété ou d'appropriation de fait par annexion, empiétement ou emprise ; que, par son action, Mme Y... ne tendait qu'à obtenir la destruction d'un ouvrage surbâti sur la terrasse sans nullement contester le droit réel et perpétuel de jouissance des consorts X... sur cette partie de l'immeuble ; qu'en soumettant néanmoins cette action à la prescription trentenaire au motif qu'elle tend à faire cesser une appropriation de la terrasse et à faire respecter le droit réel de l'ensemble des copropriétaires sur une partie commune, le juge du fond a violé les articles 15 et 42, alinéa 1er, de la loi du 10 juillet 1965 ;
2 / que le juge du fond ne peut soulever d'office un moyen sans inviter les parties à formuler leurs observations ; que Mme Y... n'a jamais fait état de l'absence d'indication du nom de X... dans la liste des copropriétaires présents, représentés ou absents jointe au procès-verbal de l'assemblée générale du 27 avril 1976 ; qu'elle n'a pas d'avantage invoqué le fait que seule la société La Flèche savoyarde est indiquée par l'assemblée générale du 17 décembre 1996 en tant qu'initiateur de l'édification des locaux du 7ème étage et en tant qu'interlocuteur du syndic ; que, d'une façon générale, Mme Y... n'a pas produit de moyen relatif aux conditions d'application de l'article 42, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965 tenant à l'identité des parties à l'action personnelle ; qu'en soulevant d'office ce moyen, sans inviter les consorts X... à présenter leurs observations, le juge a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / qu'en tout état de cause, le délai décennal de l'article 42, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965 est applicable à toute action personnelle née de l'application de cette loi entre des copropriétaires et intentée par ou contre un copropriétaire ; que M. X..., auteur des exposants, était directeur et propriétaire de la société La Flèche savoyarde, laquelle, tout en demeurant copropriétaire, lui a ensuite attribué des lots au sein de l'immeuble ; qu'il en ressort que l'action intentée par Mme Y..., copropriétaire, est née de l'application de la loi précitée entre les copropriétaires et n'est pas dirigée contre un tiers à la copropriété ; qu'en ignorant ce rapport de droit d'ordre patrimonial entre la société La Flèche savoyarde et M. X... et, en tout état de cause, en ajoutant à la loi, le juge d'appel a violé l'article 42, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965 ;
4 / qu'un copropriétaire seul est sans qualité pour demander en justice la démolition d'une construction irrégulièrement élevée par un autre copropriétaire sur une terrasse, partie commune, s'il ne subit pas, de ce fait, un préjudice personnel spécifique et avéré ; qu'en outre, une action en sauvegarde des parties communes ne tend pas nécessairement, par cela seul, à faire respecter le règlement de copropriété ; que, cherchant à sauvegarder la vocation commune de la terrasse, Mme Y... ne s'est jamais appuyée sur les dispositions du règlement intérieur tenant notamment à la destination de l'immeuble et des parties communes ; que le juge d'appel a admis son intérêt à agir au seul motif de son droit sur une portion des parties communes, constitutive de son lot ; qu'en statuant de la sorte, le juge d'appel, qui a assimilé l'action de Mme Y... à une action fondée sur une violation du règlement intérieur sans justifier cette analyse extensive, a violé les articles 31 du nouveau Code de procédure civile et 15 de la loi du 10 juillet 1965 ;
5 / qu'en tout état de cause, la demande d'un copropriétaire isolé tendant à obtenir la destruction du surbâti sur une partie commune concédée en jouissance exclusive ne peut être examinée par le juge sans considération du désir du syndicat de copropriété, appelé en la cause, de régulariser la situation et demandant, en conséquence, expressément de débouter le copropriétaire demandeur principal ; qu'il en va d'autant plus ainsi que la démolition peut causer un préjudice personnel aux autres copropriétaires ; qu'appelé en la cause, le syndicat des copropriétaires a demandé que Mme Y... soit déboutée et a, de ce fait, incontestablement attesté de sa volonté d'éviter la destruction du 7ème étage comme préjudiciable à l'ensemble de l'immeuble ; qu'en ignorant totalement cette position dissidente émanant pourtant de la totalité des copropriétaires, le juge d'appel a violé les articles 4, 5 et 31 du nouveau Code de procédure civile, 2, 3, 15 et 42 de la loi du 10 juillet 1965 ;
6 / qu'il appartient au demandeur de prouver les faits utiles au succès de ses prétentions ainsi que les faits combattant la vraisemblance ; qu'entendant nier l'antériorité de la construction du 7ème étage à l'octroi du droit de jouissance exclusive, Mme Y..., demandeur, devait prouver une chronologie différente ; qu'en reprochant aux consorts X... de ne pas démontrer cette antériorité et en constatant que celle-ci est contestée par Mme Y..., laquelle "affirme" la postériorité, le juge d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 du Code civil et l'article 9 du nouveau Code de procédure civile ;
7 / que l'autorisation de construire sur une partie commune concédée en jouissance exclusive peut être matérialisée par la décision de l'assemblée générale des copropriétaires de régulariser la situation a posteriori peu important l'existence de différends sur les modalités de calcul des tantièmes attribués à cette construction et des quantièmes des charges dues au titre de celle-ci ; que cette autorisation est, en tout état de cause, matérialisée de façon incontestable par l'opposition du syndicat à la demande en démolition, dans le cadre même de l'instance en cours ;
que le juge d'appel a refusé d'analyser la décision de régularisation pourtant unanime des copropriétaires en une acceptation a posteriori au seul constat des différends sur les seules modalités pratiques de constitution du lot terrasse plus logement du 7ème étage ; qu'il n'a pas davantage pris acte de la demande de débouté de Mme Y... émanant du syndicat des copropriétaires appelé en la cause ; qu'en statuant de la sorte, le juge d'appel a méconnu la volonté de régularisation et violé les articles 1134 du Code civil, 2, 3 et 5 de la loi du 10 juillet 1965 ;
8 / que constitutif d'un droit réel et perpétuel sui generis proche du droit de superficie, le droit de jouissance exclusive d'une terrasse doit être dissocié du droit de propriété portant sur la construction édifiée sur celle-ci, avec ou sans autorisation ; que, de surcroît, obtenant autorisation de construire, le bénéficiaire devient propriétaire à titre privatif de la construction ainsi édifiée ; que la construction du 7ème étage -matériaux et main-d'oeuvre- a été financée par la société La Flèche savoyarde, propriété de M. Georges X... ; qu'il en résulte qu'elle appartenait, dès sa construction, à ce dernier puis à ses ayants-cause et constituait une partie privative par dérogation aux règles de l'accession ;
qu'en tout état de cause, l'autorisation a posteriori par régularisation a fait naître rétroactivement cette propriété privative ; qu'au total, les consorts X... sont propriétaires à titre privatif d'une construction édifiée sur une terrasse commune dont ils ont la jouissance exclusive ; qu'en ignorant cette titularité du droit de propriété, pour raisonner en termes d'appropriation de partie commune, le juge d'appel a violé l'article 544 du Code civil et les articles 2 et 3 de la loi du 10 juillet 1965.
Mais attendu qu'ayant retenu que l'action d'un copropriétaire en vue du respect du règlement de copropriété est recevable sans qu'il soit astreint à démontrer qu'il subit un préjudice personnel et que l'action tendant à faire cesser une appropriation de la terrasse par un copropriétaire bénéficiant d'un simple droit de jouissance est une action réelle soumise à la prescription trentenaire, la cour d'appel, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, en a souverainement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que la délibération de l'assemblée ne constituait pas pour M. X..., copropriétaire, un titre susceptible de lui conférer la propriété de la construction ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne les consorts X... à payer à Mme Z... la somme de 2 000 euros ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande des consorts X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille cinq.