AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que, par arrêt du 19 septembre 1997, la cour d'appel de Rennes, statuant sur renvoi de cassation (Civ. I, 18 juin 1996, pourvoi n° G 97-21.003) a ordonné une expertise sur le fondement de l'article 1843-4 du Code civil aux fins de déterminer la valeur des parts de M. X..., associé de la SCP Y..., Z..., A..., X..., B..., titulaire d'un office notarial à Quimperlé (la SCP) au 28 juin 1990, date du retrait de l'intéressé de cette société ; qu'elle a également condamné M. X... à restituer les sommes reçues par lui au titre du paiement de la valeur de ses parts, soit 1 277 176,73 francs, compte tenu d'une restitution déjà intervenue de la somme de 845 808,99 francs ; que l'expert désigné a déposé son rapport le 21 juillet 1999, fixant la valeur des parts sociales à la somme de 1 200 000 francs, en l'absence de coopération active du cédant après la cession ; que l'arrêt attaqué a jugé que l'évaluation de l'expert était entachée d'une erreur grossière en ce que sa détermination de la valeur des parts procédait de considérations subjectives et, de surcroît, postérieures à la date à laquelle il convenait qu'il se place aux termes de sa mission, soit le 28 juin 1990 ; qu'en conséquence, il a fixé à 1 700 000 francs le prix des parts sociales de M. X... ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que les demandeurs au pourvoi font grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leurs demandes tendant à ce que soit rejetée la demande de paiement d'intérêts moratoires formée par M. X... alors, selon le moyen, que les intérêts moratoires, qui sont dus en cas de retard dans le paiement d'une dette de somme d'argent à compter du jour de la sommation, ne peuvent courir avant que cette dette soit devenue exigible et ne sont donc pas dus sur une somme dont le montant est encore, au jour de l'assignation valant mise en demeure, indéterminée ; qu'en jugeant au contraire qu'il importait peu, pour faire courir les intérêts moratoires à compter de l'assignation, que le montant de la créance tenant à la valeur des droits sociaux devant être déterminée par expertise n'ait été déterminée qu'ultérieurement, la cour d'appel a violé l'article 1153 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a jugé à bon droit, que, s'agissant de sommes dues en vertu d'un contrat et dont le montant n'a pu être déterminé qu'après expertise, les intérêts devaient courir de la date de l'assignation valant mise en demeure ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que les demandeurs au pourvoi reprochent encore à l'arrêt de les avoir déboutés de leurs demandes tendant à voir imputer les sommes qu'ils avaient déjà versées sur le paiement du prix des parts et, à défaut, de juger que la décision du juge de l'exécution du 23 décembre 1997 n'avait pas autorité de la chose jugée sur l'imputation des paiements déjà perçus par M. X... en exécution du jugement du 30 juin 1992 et de l'arrêt du 29 mars 1994, alors, selon le moyen :
1 / d'une part, que les motifs d'un jugement seraient-ils le soutien nécessaire du dispositif, n'ont pas l'autorité de chose jugée ; que, dès lors que la décision du juge de l'exécution, devenue définitive, n'avait pas tranché dans son dispositif, qui seul avait l'autorité de la chose jugée, la question de l'affectation de la somme de 1 277 171,73 francs détenue par M. X... à la rémunération de ses parts, la cour d'appel ne pouvait décider que l'affectation de cette somme bénéficiait de l'autorité de chose jugée en énonçant qu'une telle autorité s'attache également aux motifs qui constituent le soutien nécessaire de la décision ; qu'en se déterminant par ce motif inopérant, la cour d'appel a violé l'article 480 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 1351 du Code civil ;
2 / d'autre part, qu'il n'y a autorité de la chose jugée que lorsque la même question litigieuse oppose les mêmes parties prises en la même qualité et procède de la même cause que la précédente ; que la demande formée devant le juge de l'exécution par la SCP Alain A..., Jean-Charles Z..., Dominique B..., et les notaires la constituant, tendant à l'annulation des saisies attribution pratiquées par M. X... pour avoir paiement de la rémunération de ses parts, et celle par laquelle M. X... réclamait à ces parties et aux consorts Y..., le paiement de la valeur de ses parts à la suite de son retrait de la société n'ayant ni le même objet, ni la même cause et ne concernant pas au surplus l'ensemble des mêmes parties, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil en décidant que la chose jugée par le juge de l'exécution en ce qui concerne l'affectation de la somme de 1 277 171,73 francs à la rémunération des parts de M. X..., avait autorité à son égard ;
3 / de troisième part, que la règle de l'article 1253 du Code civil, selon laquelle le débiteur de plusieurs dettes a le droit de déclarer, lorsqu'il paye, quelle dette il entend acquitter, est générale et doit trouver à s'appliquer dès que la dette, en règlement de laquelle un versement est effectué, est certaine en son principe même si elle n'est pas encore fixée dans son montant et que le paiement a été accepté par le créancier ;
qu'en subordonnant l'exercice de ce choix par le débiteur à la liquidité des dettes en cause, la cour d'appel a violé le texte susvisé en ajoutant une condition qu'il ne comporte pas ;
4 / enfin, que si le débiteur tenu d'une dette échue et d'une dette non échue doit imputer son paiement sur la première, la cour d'appel ne pouvait en l'espèce dénier tout choix de l'imputation qu'en constatant expressément que la dette relative à la rémunération des parts était déjà liquide et échue à la différence de celle relative au paiement de la valeur des parts ; qu'en l'absence de toute précision sur ce point, la cour d'appel a entaché sa décision d'une défaut de base légale au regard de l'article 1253 du Code civil, ensemble de l'article 1256 du même Code ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a constaté qu'il résultait de la décision du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Quimper du 23 décembre 1997, devenue définitive, que la somme de 1 277 176,73 francs détenue par M. X... devait être affectée à la rémunération de ses parts ; qu'il importe peu que cette considération n'ait pas été reprise dans le dispositif de l'arrêt attaqué dès lors que l'annulation par le jugement précité des saisies-attributions, pratiquées par M. X... pour avoir paiement de la rémunération de ses parts sociales avait pour conséquence nécessaire l'imputation de tous les paiements litigieux à la rémunération desdites parts et non au paiement de leur valeur ; qu'enfin, cette décision était revêtue de l'autorité de chose jugée dès lors qu'elle concernait la SCP et ses trois associés condamnés par l'arrêt frappé de pourvoi, M. Y... ne l'ayant pas été et que, dans les deux cas, le litige portait sur l'imputation des paiements ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel, qui n'avait pas à préciser que la créance de rémunération des parts était liquide et exigible, dès lors qu'il n'existait aucune contestation entre les parties sur ce point, a jugé à bon droit que la somme de 300 000 francs payée en février 1998 ne pouvait s'imputer sur le prix de la valeur des parts, dès lors que cette dette n'était pas liquide, l'évaluation définitive desdites parts n'étant pas encore intervenue ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1843-4 du Code civil ;
Attendu que, pour retenir l'erreur grossière de l'expert dans sa détermination de la valeur des parts, l'arrêt attaqué énonce que celui-ci s'est fondé sur des considérations subjectives et, de surcroît, postérieures à la date à laquelle il convenait qu'il se place, ainsi que le précisait sa mission ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, faisant application des usages de la profession de notaire conformément à la mission qui lui était impartie, l'expert a estimé, après avoir relevé que M. X... ne se retirait pas de la vie professionnelle, qu'il convenait, sur la somme de 1 700 000 francs représentant la valeur théorique des parts au 28 juin 1990, y compris la contribution que représente l'aide du cédant pour la mémoire et la liquidation des dossiers en cours ainsi que le confort de la clientèle, de retrancher un montant de 500 000 francs en l'absence de coopération active du cédant, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'erreur grossière qu'elle a retenue et a violé le texte susvisé ;
Et sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 1843-4 du Code civil ;
Attendu qu'après avoir retenu l'erreur grossière de l'expert dans la détermination de la valeur des parts, la cour d'appel a procédé à cette évaluation ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartenait au seul expert désigné en application de l'article susvisé de déterminer la valeur des parts, la cour d'appel a violé ce texte ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé à 1 200 000 francs la valeur des parts de M. X..., l'arrêt rendu le 16 février 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. X... à payer aux demandeurs la somme totale de 2 000 euros ; rejette la demande de M. X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille cinq.