La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/12/2004 | FRANCE | N°02-80522;04-81412

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 décembre 2004, 02-80522 et suivant


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quinze décembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller CHALLE, les observations de la société civile professionnelle TIFFREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FINIELZ ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Jules Paul,

1) contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de BASTIA, en date du 28 novembre 2001, qui, dans l'informa

tion suivie contre lui des chefs de prise illégale d'intérêts et d'atteinte à la liber...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quinze décembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller CHALLE, les observations de la société civile professionnelle TIFFREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FINIELZ ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Jules Paul,

1) contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de BASTIA, en date du 28 novembre 2001, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de prise illégale d'intérêts et d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction rejetant sa demande d'actes complémentaires d'instruction ;

2) contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 14 janvier 2004, qui, pour prise illégale d'intérêts, l'a condamné à 7 500 euros d'amende ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit ;

I - Sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la chambre de l'instruction:

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, 432- 12 du Code pénal, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

"en ce que la chambre de l'instruction confirme l'ordonnance du 24 juillet 2001 du juge d'instruction ayant rejeté la demande d'actes complémentaires déposée le 13 juillet 2001 par Jules Paul X... ;

"aux motifs que, 1) relativement à l'opération de location de véhicules Locanord, le conseil de Jules Paul X... sollicite l'audition des commissaires aux comptes de la société et de la CCI, pour faire préciser par ces témoins les conditions d'accomplissement de leurs obligations de révélation des faits délictueux ; il demande en outre la communication des rapports établis par ces commissaires aux comptes et une confrontation avec ces derniers et Nicolas Y... "afin de savoir si Jules Paul X... a sciemment autorisé la prise illégale d'intérêt" ; ces investigations supplémentaires relatives au rôle des commissaires aux comptes ne sont pas nécessaires pour l'instruction des faits reprochés à Jules Paul X... dès lors qu'en sa qualité de président de la CCI, ce dernier connaissait, ne serait-ce que par les dispositions du règlement intérieur, l'obligation à lui faite de ne pas conclure de marchés avec des sociétés qu'il dirigeait ; par ailleurs, les parties et témoins utiles à l'instruction se sont expliqués complètement sur les documents saisis de sorte que les actes demandés ne viendraient que retarder l'issue de la procédure - 2) relativement à l'opération d'achats de véhicules auprès de la société Doria, le conseil de Jules Paul X... sollicite l'audition de Nicolas Y... et du commissaire aux comptes de la CCI et la production des actes d'ordonnancement de ces achats de véhicules ; les auditions demandées ne sont pas de nature à apporter des éléments nouveaux sur l'analyse de la procédure de passation du marché litigieux, les parties et les témoins utiles à l'instruction s'étant déjà expliqués complètement sur les documents saisis ;

quant à la production des actes de paiement, elle n'est pas utile à l'information, l'examen de la régularité de la procédure de passation du marché étant seule en cause et la lettre de commande du 31 janvier 1995 figurant déjà dans le dossier ;

"alors qu'en statuant ainsi, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés, dès lors que les actes complémentaires demandés étaient de nature à établir que, durant la période couverte par la prévention, le mis en examen, qui soutenait au surplus n'avoir jamais été alerté par un rapport des commissaires aux comptes, avait ignoré l'existence de contrats de location entre la chambre de commerce et d'industrie et la société Locanord, conclus par le Directeur général de la chambre de commerce et d'industrie qui en avait pris seul l'initiative sans en avertir le prévenu, les bordereaux d'ordonnancement des dépenses correspondantes signés par ce dernier étant également nécessaires à la manifestation de la vérité, dès lors que celles-ci étaient incluses dans un bordereau général mensuel comportant 600 à 700 opérations que le prévenu n'avait pas la possibilité d'individualiser, ce qui, en toute hypothèse, était susceptible d'influer sur l'appréciation de la sanction en cas d'éventuelle condamnation par la juridiction de jugement ;

"alors que 2), en rejetant la demande d'acte complémentaire ayant pour objet le versement au dossier de l'instruction des rapports des commissaires aux comptes de la chambre de commerce et d'industrie, au motif que le mis en examen "connaissait, ne serait-ce que par les dispositions du règlement intérieur, l'obligation à lui faite de ne pas conclure de marchés avec des sociétés qu'il dirigeait", et en rejetant la demande d'acte complémentaire ayant pour objet le versement au dossier de l'instruction des bordereaux généraux mensuels d'ordonnancement des dépenses de la chambre de commerce et d'industrie, au motif que "la production des actes de paiement (...) n'est pas utile à l'information, l'examen de la régularité de la procédure de passation du marché étant seul en cause et la lettre de commande du 31 janvier 1995 figurant déjà dans le dossier", la chambre de l'instruction a porté une appréciation sur la valeur des charges pouvant justifier le renvoi devant le tribunal correctionnel et, par suite, a excédé sa compétence" ;

Attendu que l'opportunité d'ordonner un supplément d'information est une question de pur fait qui échappe au contrôle de la Cour de cassation ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

II - Sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel :

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des article 121-1, 121-3, 432-12 du Code pénal, des articles préliminaire, 49, 485, 510, 567, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

"en ce que la chambre des appels correctionnels déclare Jules Paul X... coupable du chef du délit de prise illégale d'intérêt et le condamne à une peine d'amende de 7 500 euros ;

"aux motifs que selon les termes de l'article 432-12 du Code pénal au demeurant dans les règlements intérieurs successifs (article 1-9), la chambre de commerce et d'industrie a rappelé le principe de cette interdiction (...) à l'époque des faits poursuivis, Jules Paul X... était, d'une part, président de la chambre de commerce et d'industrie de Haute-Corse et, d'autre part, président-directeur général de la société Locanord (enseigne Europcar) ; en tant que président de la chambre de commerce et d'industrie de Haute-Corse, établissement public administratif, il était chargé d'une mission de service public au sens de ce texte ;

l'existence de contrats conclus entre la société Locanord et la chambre de commerce et d'industrie de la Haute-Corse n'est pas contestée ; par ailleurs, les véhicules loués étant essentiellement affectés aux déplacements du président et au transport des membres du service de sécurité de ce dernier, selon, notamment, les déclarations du directeur général de la chambre, les contrats étaient bien conclus dans le cadre de la mission de service public de cet établissement ; enfin, en matière de prise illégale d'intérêt, l'intention coupable est caractérisée par le seul fait que le prévenu a accompli sciemment l'acte constituant l'élément matériel du délit reproché ; tel est le cas de Jules X..., qui a délibérément signé les actes d'ordonnancement comportant, ce qu'il ne conteste pas, les ordres de paiement des factures émises par la société Locanord dont il savait évidemment en même temps être le président-directeur général ; Jules X... a bien en conséquence commis le délit de prise illégale d'intérêt, peu important qu'il ait ou n'ait pas lui-même participé au choix initial de l'entreprise de location de véhicules ;

"alors que 1), ne peut faire partie de la composition d'une chambre des appels correctionnels de la cour d'appel un magistrat qui, dans l'affaire soumise à cette juridiction, a participé à un arrêt de la chambre d'instruction dans lequel a été examinée la valeur des charges pouvant justifier le renvoi devant le tribunal correctionnel ou lorsque la chambre de l'instruction a statué sur une demande d'actes complémentaires par des motifs exprimant une appréciation de la suffisance des charges au regard de l'infraction poursuivie ; que tel est le cas en l'espèce, dès lors que M. le conseiller Weber, ayant participé au délibéré à l'issue duquel a été prononcé l'arrêt attaqué, avait participé au délibéré à l'issue duquel avait été rendu dans la même affaire l'arrêt du 28 novembre 2001, par lequel la chambre de l'instruction de la même Cour avait, d'une part, rejeté la demande d'acte complémentaire ayant pour objet le versement au dossier de l'instruction des rapports des commissaires aux comptes de la chambre de commerce et d'industrie, au motif que le mis en examen "connaissait, ne serait-ce que par les dispositions du règlement intérieur, l'obligation à lui faite de ne pas conclure de marchés avec des sociétés qu'il dirigeait" et, d'autre part, rejeté la demande d'acte complémentaire ayant pour objet le versement au dossier de l'instruction des bordereaux généraux mensuels d'ordonnancement des dépenses de la chambre de commerce et d'industrie, au motif que "la production des actes de paiement ( ... ) n'est pas utile à l'information, l'examen de la régularité de la procédure de passation du marché étant seul en cause et la lettre de commande du 31 janvier 1995 figurant déjà dans le dossier" ;

qu'en effet, ces motifs exprimaient une appréciation de la suffisance des charges au regard de l'infraction poursuivie ; que l'arrêt attaqué a donc été rendu dans une composition irrégulière, en violation des textes susvisés et, notamment, des garanties du procès équitable ;

"alors que 2), au surplus, la cassation de l'arrêt rendu le 28 novembre 2001 par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bastia entraînera, par voie de conséquence, celle du présent arrêt, dès lors qu'il ne sera pas établi que, s'il avait été fait droit à la demande d'actes complémentaires présentée par Jules X..., le mis en examen aurait été renvoyé devant la juridiction de jugement ou que celle-ci aurait déclaré sa culpabilité du chef du délit de prise illégale d'intérêts sur la base de documents d'ordonnancement de dépenses signés en qualité de président de la chambre de commerce et d'industrie et dont le versement au dossier de l'instruction lui avait été refusé, alors qu'ils étaient de nature à établir l'impossibilité matérielle d'individualiser les dépenses de location parmi les 600 à 700 documents visés par les bordereaux généraux mensuels d'ordonnancement de l'ensemble des dépenses de la chambre de commerce et d'industrie ;

"alors que 3), en toute hypothèse, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la chambre des appels correctionnels a refusé de trancher le point de savoir si le prévenu avait personnellement "participé au choix initial de l'entreprise de location de véhicules" (p. 5) et n'a pas davantage constaté que le prévenu avait eu connaissance de la décision prise à cet égard par le directeur général des services de la chambre de commerce et d'industrie, ce qu'il contestait ; que dès lors, en fondant la déclaration de culpabilité sur la base des seuls documents d'ordonnancement de dépenses signés en qualité de président de la chambre de commerce et d'industrie, dont la chambre de l'instruction avait refusé le versement au dossier et qui ne figuraient donc pas dans la procédure, au surplus sans répondre aux conclusions invoquant l'impossibilité matérielle d'individualiser les dépenses de location parmi les 600 à 700 documents visés par les bordereaux généraux mensuels d'ordonnancement de l'ensemble des dépenses de la chambre de commerce et d'industrie, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Sur le moyen pris en sa première branche ;

Vu les articles préliminaire du Code de procédure pénale et 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que ne peut faire partie de la chambre des appels correctionnels le magistrat ayant participé, dans l'affaire soumise à cette juridiction, à un arrêt de la chambre de l'instruction qui, pour rejeter une demande d'actes complémentaires, a porté une appréciation sur la valeur des charges pesant sur le prévenu ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Jules Paul X... est poursuivi pour avoir, courant 1995 à 1998, en qualité de président de la chambre de commerce et d'industrie de Haute-Corse (CCI), pris un intérêt dans une opération dont il avait, au moment de l'acte, la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, en l'espèce, en signant des ordres de paiement de factures de location de véhicules à la CCI émises par la société Locanord dont il était le président ;

Attendu qu'il résulte des pièces de procédure que l'un des magistrats ayant siégé à la chambre des appels correctionnels avait préalablement participé à l'arrêt de la chambre de l'instruction, en date du 28 novembre 2001, qui, a rejeté une demande tendant à l'audition des commissaires aux comptes et à la communication de leurs rapports, au motif, notamment, "qu'en sa qualité de président de la CCI ce dernier connaissait, ne serait-ce que par les dispositions du règlement intérieur, l'obligation à lui faite de ne pas conclure de marchés avec les sociétés qu'il dirigeait" ;

Mais attendu qu'en l'état d'une telle motivation et, alors que le même magistrat ne pouvait, sans méconnaître l'exigence d'impartialité, siéger au sein de la chambre correctionnelle appelée à se prononcer sur la culpabilité de Jules Paul X... après avoir participé à l'arrêt de la chambre de l'instruction ayant porté une appréciation sur la valeur des charges pesant sur l'intéressé, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

I - Sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la chambre de l'instruction :

Le REJETTE ;

II - Sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bastia, en date du 14 janvier 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bastia, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Challe conseiller rapporteur, MM. Pibouleau, Roger, Dulin, Mmes Thin, Desgrange, MM. Rognon, Chanut, Mme Nocquet conseillers de la chambre, Mme de la Lance, M. Soulard, Mmes Salmeron, Degorce conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Finielz ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 02-80522;04-81412
Date de la décision : 15/12/2004
Sens de l'arrêt : Rejet et cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Composition - Incompatibilités - Cour d'appel - Magistrat ayant participé à un arrêt de la chambre de l'instruction qui a porté une appréciation sur la valeur des charges pesant sur le prévenu.

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6.1. - Tribunal - Impartialité - Juridictions correctionnelles - Composition - Cour d'appel - Magistrat ayant participé à un arrêt de la chambre de l'instruction qui a porté une appréciation sur la valeur des charges pesant sur le prévenu

Ne peut faire partie de la chambre des appels correctionnels le magistrat ayant participé, dans l'affaire soumise à cette juridiction, à un arrêt de la chambre de l'instruction qui, pour rejeter une demande d'actes complémentaires, a porté une appréciation sur la valeur des charges pesant sur le prévenu.


Références :

Code de procédure pénale art. préliminaire
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales art. 6.1

Décision attaquée : Cour d'appel de Bastia (chambre de l'instruction), 2001-11-28 et Cour d'appel de Bastia, 2004-01-14

A rapprocher : Chambre criminelle, 1998-02-19, Bulletin criminel, n° 74 (3), p. 196 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 15 déc. 2004, pourvoi n°02-80522;04-81412, Bull. crim. criminel 2004 N° 324 p. 1222
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2004 N° 324 p. 1222

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Finielz.
Rapporteur ?: M. Challe.
Avocat(s) : la SCP Tiffreau.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:02.80522
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award