AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept décembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire VALAT, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, la société civile professionnelle BORE et SALVE de BRUNETON, avocats en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Luc,
- X... Marie-Caroline,
- LA SOCIETE CORSE DE PRESSE ET D'EDITION, ( SOCOPREDIT SARL- LE JOURNAL DE LA CORSE),
civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BASTIA, chambre correctionnelle, en date du 7 janvier 2004, qui, pour diffamation publique envers un particulier et complicité, a condamné les deux premiers à 5 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 5 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, 6 du décret du 16 août 1901 portant règlement d'administration publique pour l'exécution de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, 53 de la loi du 29 juillet 1881, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception d'irrecevabilité de la constitution de partie civile de l'ASACC ;
"aux motifs que les prévenus soutiennent qu'ils ont été cités au nom de l'Association sportive de l'Automobile Club de la Corse et du tour de Corse alors qu'il leur était produit un extrait du Journal officiel du 30 mars 1955 portant déclaration de la constitution de l'association sportive de l'Automobile Club de la Corse ; qu'ils considèrent qu'un tel changement d'identité ne leur est pas opposable, du fait que le récépissé de changement de nom prévu par les dispositions des articles 5 et 6 de la loi du 5 juillet 1901 et le décret du 16 août 1901 n'est pas produit aux débats ; que si les modifications non déclarées sont inopposables aux tiers, la preuve de cette déclaration résulte du fait que le changement de nom de l'association a été publié au Journal officiel du 13 mai 1979, publication qui ne peut intervenir, aux termes de l'article 5 de la loi du 5 juillet 1901, que sur production du récépissé ; que la déclaration est en outre confirmée par une attestation délivrée par la préfecture de Corse du Sud ; qu'enfin, l'éventuelle nullité de l'acte n'est pas de celles qui, selon les critères de l'article 802 du Code de procédure pénale, peuvent faire grief à la partie concernée ; qu'en effet, les consorts X... ont été parfaitement en mesure d'identifier leurs adversaires auxquels ils ont d'ailleurs signifié dans les délais une offre de preuve des faits diffamatoires ;
"alors, d'une part, que si l'article 5, alinéa 4, de loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association prévoit que "l'association n'est rendue publique que par une insertion au journal officiel, sur production de ce récépissé", les modifications statutaires ne sont quant à elle opposables aux tiers que par leur déclaration en préfecture contre récépissé et leur inscription dans un registre spécial ; qu'ainsi, aucune disposition de la loi ne prévoit que les modifications peuvent être publiées au journal officiel contre récépissé ; que seule une copie de ce récépissé ou la présentation du registre spécial sont éventuellement de nature à faire la preuve des modifications du nom ou du statut d'une association ; que dès lors, en considérant que la preuve de la déclaration résultait de la publication de la modification au Journal officiel, conformément à l'article 5 de la loi de 1901 et d'une attestation de la préfecture, la cour d'appel a violé les articles précités ;
"alors, d'autre part, que, dès lors que la nouvelle identité de l'ASACC n'était pas opposable aux tiers, il en résultait qu'une citation délivrée au nom de cette association ne pouvait valablement saisir le juge répressif de faits délictueux la concernant, sans qu'il ait été nécessaire de rechercher si cette nouvelle appellation avait été de nature à créer un doute dans l'esprit des personnes poursuivies sur l'identité de la partie, contrairement à ce qu'a estimé la cour d'appel" ;
Attendu que, pour écarter l'argumentation des prévenus qui faisaient valoir que la juridiction correctionnelle n'était pas valablement saisie, le changement de nom de l'association ayant fait délivrer la citation n'ayant pas été déclaré en préfecture, la cour d'appel retient notamment que la preuve de la déclaration de changement de nom résulte de sa publication au Journal officiel laquelle n'a pu être réalisée que sur présentation d'un récépissé de déclaration en préfecture ; que les juges ajoutent que cette déclaration est confirmée par une attestation délivrée par la préfecture de Corse du sud et que l'éventuelle nullité de l'acte n'est pas de nature à faire grief aux défendeurs qui ont été en mesure d'identifier leurs adversaires à qui ils ont fait signifier une offre de preuve ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs et dès lors que le changement de dénomination de l'association a été connu des tiers et leur est devenu opposable, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 29 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt a déclaré Jean-Luc X... coupable de diffamation et Marie-Caroline X... coupable de complicité de diffamation et les a condamnés pénalement et civilement, la Socopredit étant déclaré civilement responsable ;
"aux motifs, notamment, que sur le premier article, le titre qui emploie le mot de croquants évoque l'idée de "croquer" c'est à dire de dilapider, dissiper, gaspiller (Le petit Robert 1991) ;
que, quant au contenu il affirme que les retombées économiques sont appropriées par "l'organisation" et ceux dont le but est de "tirer les marrons du feu ; que l'ensemble suggère ainsi que certains utilisent le Tour de Corse pour en détourner les profits à des fins privées ayant abandonné les idéaux sportifs ; que ceci constitue une atteinte à l'honneur et à la considération de l'ASACC et Jean Y... dont il ressort de l'ensemble des autres articles - même s'ils ne sont pas nommés dans celui-ci - qu'ils sont au coeur de l'organisation de cette manifestation ; que, s'agissant du deuxième et du troisième articles, ils imputent à l'ASACC et à ses dirigeants des gabegies et des présentations de bilans inexacts et des dissimulations ; que, s'agissant du quatrième article, le passage incriminé impute à l'ASACC des manoeuvres pour présenter des comptes déficitaires, ce qui lui donne anormalement accès à des subventions ; que, sur le cinquième article le titre "main basse sur le Tour" précède des développements où sont à nouveau mis en cause l'ASACC et Jean Y... ; que la formule évoque, en sorte de conclusion eu égard à son emplacement en bas à droite de la deuxième page consacrée au "dossier", une appropriation de type mafieux d'une opération d'intérêt collectif ; que, quant à la phrase "les pouvoirs publics autres cieux" elle impute sous l'expression transparente de "montages financiers sophistiqués" l'habitude de manoeuvres financières telles qu'on peut les pratiquer dans les paradis fiscaux ;
"alors, d'une part, que les dirigeants d'une association pouvant être rémunérés par celle-ci, l'affirmation que des dirigeants de l'ASACC recherchaient des profits financiers n'était pas de nature à porter atteinte à leur honneur ou à leur considération ; qu'en estimant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi de 1881 ;
"alors, d'autre part, que le premier article en constatant que le tour "générait des retombées financières conséquentes dans les poches de l'association", ne pouvait être interprété, comme portant atteinte à l'honneur et à la considération, dès lors que si une association ne peut avoir de but lucratif, elle peut faire des bénéfices, et qu'il s'agissait d'une simple constatation de faits ;
"alors, enfin, qu'en considérant que les propos incriminés dans le cinquième article impliquaient l'affirmation de manoeuvres frauduleuses comparables à celles des paradis fiscaux, la cour d'appel les a dénaturés dès lors qu'ils ne faisaient que dénoncer une organisation opaque conduisant à l'obtention de subventions importantes sans véritable possibilité de contrôle comme les autres passages litigieux le faisaient apparaître" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt a condamné Jean-Luc X... pour diffamation et Marie-Caroline X... pour complicité de diffamation et les a condamnés pénalement et civilement, et a déclaré la Socopredit civilement responsable ;
"aux motifs que les prévenus peuvent bénéficier de l'excuse de bonne foi, quand leur propos correspondent à un intérêt légitime, qu'ils sont dépourvus d'animosité personnelle, qu'ils s'appuient sur une enquête sérieuse et qu'ils sont formulés sans excès ; qu'au cas d'espèce, il ne peut être fait grief au Journal de la Corse de traiter d'un sujet d'intérêt général tel que le Tour de Corse et son financement qui repose sur des subventions publiques dont il est légitime que l'opinion soit informée ; que par contre, il ressort des débats qu'il existait un conflit commercial important entre l'ASACC et le Journal de la Corse qui avaient été précédemment partenaires ; que dès lors, les vives critiques publiées dans le journal relèvent d'un mélange de genre où les griefs personnels ont une large part ; que l'enquête apparaît comme dépourvue de tout sérieux ; qu'aucun des documents fournis dans l'offre de preuve n'apporte d'éléments probants sur les abus ou les détournements prétendus ; que les allégations sont du reste inexactes ainsi qu'il résulte d'un courrier du commissaire aux comptes du 26 juillet 2002 déposé aux débats qui justifie précisément des sommes citées dans l'article titré les responsables du Tour ne vivent-ils pas au dessus de leurs moyens ? que les propos manquent également de prudence notamment quand il est imputé aux parties civiles de "croquer" le tour de Corse, de mordre dans la Corse comme on croque dans un fruit juteux pour obtenir un profit maximum du Tour de Corse ; de considérer celui-ci comme un énorme gâteau que l'on se partage entre amis, de "faire main basse sur le Tour" ; que ces expressions dont il convient de rapprocher les intertitres qui ont déjà été cités révèlent une volonté péjorative certaine ;
"alors, d'une part, que le sérieux des informations fournies ne peut être remis en cause, dès lors que celles-ci étaient déduites du rapport du commissaire aux comptes concernant l'activité de l'ASACC, ou étaient présentées dans une forme interrogative quant à leur raison d'être ; qu'ainsi, en considérant que les prévenus n'apportent pas d'éléments probants de leurs affirmations, la cour d'appel confondant la preuve de la vérité des faits diffamatoires avec celle du sérieux dans la recherche de l'information, a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
"alors, d'autre part, que la liberté d'expression peut justifier l'utilisation d'un ton polémique et d'une certaine exagération s'agissant d'un sujet d'intérêt général ; qu'en l'espèce, s'agissant des imputations concernant l'ASACC, les 15 articles en cause visaient à mettre en évidence le fait que l'organisation du tour de Corse générait d'importants revenus, provenant pour pratiquement la moitié de subventions publiques, alors qu'elle s'avérait déficitaire, si bien que l'on pouvait légitimement s'interroger sur les raisons de cette situation ; qu'en particulier, ces articles visaient à mettre en évidence le fait que les dépenses de l'ASACC en frais de réception et de restaurant s'avéraient particulièrement importantes, ce qui pouvait expliquer le déficit de l'activité ; que par ailleurs, la mise en cause des sociétés intervenant auprès de l'ASACC apparaissait encore comme une provocation destinée à s'interroger sur leur utilité dans le tour ; qu'ainsi, faute d'avoir constaté que l'exagération était justifiée compte tenu du sujet en cause, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"alors, enfin, que les propos concernant Jean Y... mettant en cause la recherche par lui d'un intérêt personnel et un montage sophistiqué de sociétés liées à l'ASACC, à les supposer diffamatoires, n'avaient pas dépassé la dose d'exagération permise, compte tenu de la volonté de dénoncer la gestion d'une activité générant de fortes recettes, comprenant des subventions publiques, et pourtant déficitaire ; qu'ainsi, faute d'avoir pris en compte le fait que les propos concernant Jean Y... ne le visaient que dans son activité pour l'ASACC et ne dépassaient pas les limites de la critique admissible, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et l'examen des pièces de procédure mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a exactement apprécié le sens et la portée des propos incriminés et a, à bon droit, refusé aux prévenus le bénéfice de la bonne foi, après avoir retenu que ces propos caractérisent des faits de diffamation ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 1 200 euros la somme que Jean-Luc X... et Marie-Caroline X... devront chacun payer à l'association sportive de l'automobile club de la Corse et du tour de Corse automobile et à Jean Y... au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Valat conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;