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07/12/2004 | FRANCE | N°04-80088

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 07 décembre 2004, 04-80088


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept décembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Anne-Marie,

- LA SOCIETE HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES,

civilement responsable,

contre l'arrêt

de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 18 décembre 2003, qui, dans la procédure suivie con...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept décembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Anne-Marie,

- LA SOCIETE HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES,

civilement responsable,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 18 décembre 2003, qui, dans la procédure suivie contre la première, du chef de diffusion de l'image d'une personne faisant apparaître qu'elle est placée en détention provisoire, a constaté l'extinction de l'action publique par l'amnistie, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 35 ter-1 de la loi du 29 juillet 1881, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 3, 4 et 37 de la Constitution, 111-3 et 111-4 du Code pénal, 6, 7 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 2 et 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a dit qu'Anne-Marie X... avait commis une faute, en publiant dans Paris-Match une photographie montrant Didier Y... dans une cour de la maison d'arrêt de la Santé, ouvrant droit à réparation au bénéfice de ce dernier, déclaré la société Hachette Filipacchi civilement responsable, et condamné Anne-Marie X... à payer à Didier Y... la somme de 1 euro à titre de dommage-intérêts ;

"aux motifs que l'alinéa 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme considère comme légitime que soient posées des restrictions légales à la liberté d'expression comprenant la liberté de communiquer et de recevoir des informations, telles que celles qui constituent, notamment, des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de la réputation d'autrui ou de ses droits ; que la loi du 15 juin 2000 a pour objet de garantir une plus grande protection de la présomption d'innocence inscrite dans l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que l'interdiction, édictée par l'article 35 ter-1 de la loi du 29 juillet 1881, de diffuser la photographie d'une personne mise en cause dans une procédure pénale mais non encore condamnée, placée en détention provisoire, vise à éviter que cette photographie ne conduise le lecteur à croire à la culpabilité de l'intéressé ; que cette restriction à la liberté d'informer est limitée et justifiée par l'objectif légitime de la protection de la réputation d'autrui et de la présomption d'innocence ; qu'il s'ensuit que l'article 35 ter-1 de la loi du 29 juillet 1881 n'est pas contraire aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme ; que la photographie litigieuse représente, Didier Y... aux côtés d'Alfred Z..., tous deux détenus, à la prison de la Santé ; que la partie civile est parfaitement identifiable, que le fait que Didier Y... a consenti à voir publier son image dans le magazine "Le Monde" ne saurait conduire à estimer qu'il a accepté la publication parue dans l'hebdomadaire Paris-Match ;

que, si l'information relative à la connivence des deux hommes sur leur lieu de détention constituait un fait d'actualité, celle-ci pouvait être livrée au public au moyen de propos écrits, en l'absence de toute photographie représentant la partie civile en détention provisoire ; que la partie civile a subi un préjudice du fait de l'atteinte à sa présomption d'innocence ;

"alors, d'une part, que l'article 35 ter-1 de la loi du 29 juillet 1881, interdisant la diffusion, sans l'accord de l'intéressé, de l'image d'une personne mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale mais n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation, faisant apparaître que cette personne est soit entravée, soit placée en détention provisoire, instaure, par l'interdiction générale et absolue de publier l'image d'une personne mise en examen entravée ou détenue qu'il édicte, une restriction à la liberté d'expression qui empêche tout contrôle de proportionnalité et qui n'est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés par l'article 10-2 de la Convention européenne des droits de l'homme, notamment du droit à la présomption d'innocence ; que, dès lors, ce texte, incompatible avec l'article 10 de la Convention européenne, ne saurait servir à une condamnation pénale ou civile ;

que la cour d'appel, en estimant le contraire, a violé les textes susvisés ;

"alors, d'autre part, que toute personne a droit à un procès équitable ; que, par ailleurs, toute infraction doit être définie en des termes clairs et précis pour exclure l'arbitraire et permettre au prévenu de connaître exactement la nature et la cause des poursuites exercées contre lui ; que l'incrimination prévue par l'article 35 ter-1 de la loi du 29 juillet 1881, portant interdiction générale et absolue de diffuser, sans l'accord de l'intéressé, toute image d'une personne mise en examen entravée ou détenue, quel que soit le contexte et quelle que soit la légitimité de l'information, et l'intérêt public de sa communication, n'est pas clairement définie, n'offre pas de garanties réelles quant à la prévisibilité des poursuites, et présente un caractère d'arbitraire, contrairement aux exigences des articles 6, 7 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en estimant que l'article 35 ter-1 satisfait aux exigences des dispositions de cette Convention, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"alors, de troisième part et en tout état de cause, qu'en se bornant à énoncer que la photographie représentait Didier Y... détenu à la prison de la Santé et que la partie civile était parfaitement identifiable, ne serait-ce que grâce aux commentaires informant le lecteur de la situation pénale du mis en examen, c'est-à-dire à se déterminer au seul regard du droit interne, sans rechercher si, en l'espèce, la restriction apportée à la liberté d'expression était, compte tenu de ce que les commentaires ne faisaient pas la moindre allusion à une éventuelle culpabilité de l'intéressé, et de ce que la photographie ne portait nullement atteinte à sa dignité, nécessaire dans une société démocratique à la protection de la réputation d'autrui et de la présomption d'innocence, au point de primer l'intérêt public s'attachant au principe fondamental de la liberté d'expression, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10-2 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

"alors, de quatrième part, que le principe de proportionnalité de l'article 10-2 de la Convention européenne des droits de l'homme prime, non seulement l'article 9-1 du Code civil, ou les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, mais également l'article 35 ter-1 de cette loi ; que ce principe nécessite que les exigences de la protection de la réputation d'autrui et de la présomption d'innocence soient mises en balance avec celles de la liberté d'expression et d'information, y compris par l'image ; qu'en se bornant à énoncer que la publication de la photographie litigieuse portait atteinte à la présomption d'innocence de la partie civile, sans rechercher si, en l'espèce, compte tenu de ce qu'elle constate que Didier Y... avait, auparavant, consenti à voir publier une photographie le représentant en détention provisoire dans le magazine "Le Monde", la restriction imposée à l'exercice de la liberté d'expression et d'information était proportionnée au but poursuivi de protection de la présomption d'innocence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10-2 de la Convention susvisée ;

"alors, de cinquième part, que compte tenu de ce que la photographie représentant Didier Y... en compagnie d'Alfred Z... dans une cour de promenade de la maison d'arrêt de la Santé avait pour but d'illustrer et de démontrer, en faisant apparaître la possibilité de libre communication entre les deux hommes, la connivence entretenue entre les deux prévenus soupçonnés d'avoir commis des infractions en utilisant les mêmes réseaux de relations, la cour d'appel ne pouvait se borner à affirmer que l'information pouvait être livrée au moyen de propos écrits, en l'absence de toute photographie représentant la partie civile en détention provisoire, mais devait s'interroger sur le point de savoir si la publication d'une photographie n'était pas nécessaire pour rendre crédible l'information, c'est-à-dire si, en l'espèce, le droit fondamental à la liberté d'expression et d'information, y compris par l'image, ne devait pas primer le droit de la partie civile à la protection absolue de sa présomption d'innocence ; que la cour d'appel a donc privé sa décision de base légale au regard de l'article 10-2 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

"alors, de surcroît, que le droit à la liberté d'information comprend nécessairement le droit de choisir le vecteur d'information, et notamment celui de choisir l'image plutôt que l'écrit ; que, selon la cour d'appel, "si l'information relative à la connivence des deux hommes sur leur lieu de détention, que l'hebdomadaire souhaitait communiquer au public, constituait un fait d'actualité, celle-ci pouvait cependant lui être livrée au moyen de propos écrits, en l'absence de toute photographie ; qu'en admettant ainsi expressément que l'information communiquée constituait un fait d'actualité qu'il était légitime de livrer au public, tout en sanctionnant la publication de l'information au motif qu'elle avait été communiquée par, l'image et non par l'écrit, la cour d'appel a opéré une discrimination entre deux vecteurs d'information équivalents, et porté, atteinte à la liberté d'expression, en violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

"alors, enfin, et en toute hypothèse, que le droit à réparation nécessite, non seulement l'existence d'une faute, mais encore la réalité d'un préjudice ;

que le fait constaté par la cour d'appel, que Didier Y... ait consenti à voir publier, par le magazine "Le Monde", une photographie le représentant dans la prison de la Santé en compagnie d'Alfred Z... empêche qu'il puisse invoquer une prétendue atteinte à sa présomption d'innocence résultant d'une nouvelle publication, par Paris-Match, d'une photographie similaire, fût-ce sans autorisation expresse ; que la cour d'appel, en condamnant Anne-Marie X... à indemniser un préjudice subi par Didier Y... "du fait de l'atteinte à sa présomption d'innocence", a violé, les textes susvisés" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure, qu'à la suite de la publication, dans l'édition du 21 février 2002 de l'hebdomadaire Paris-Match, d'une photographie le représentant à l'intérieur de la maison d'arrêt de la santé, où il se trouvait provisoirement détenu, Didier Y... a fait citer devant le tribunal correctionnel Anne-Marie X..., directrice de publication du journal, et la société Hachette Filipacchi, civilement responsable, pour y répondre du délit prévu par l'article 35 ter de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que, pour confirmer le jugement ayant constaté l'extinction de l'action publique par l'amnistie, dire réunis les éléments constitutifs de l'infraction dénoncée et faire droit à la demande de dommages-intérêts de la partie civile, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la Cour a justifié sa décision ;

Que, d'une part, la diffusion de l'image d'une personne identifiée ou identifiable, sans autorisation de celle-ci, faisant apparaître qu'elle est placée en détention provisoire est prohibée par l'article 35 ter de la loi du 29 juillet 1881, peu important Ies commentaires qui accompagnent la publication de la photographie, et la circonstance qu'un autre journal ait publié une photographie identique avec le consentement de la personne concernée ;

Que, d'autre part, l'article 35 ter de ladite loi ne contrevient à aucune des dispositions conventionnelles invoquées, dès lors qu'il constitue une restriction nécessaire, dans une société démocratique, pour la protection des droits d'autrui, et satisfait aux exigences de prévisibilité, en soumettant son application à des conditions précises ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Ménotti conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Lambert ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 04-80088
Date de la décision : 07/12/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 11ème chambre, 18 décembre 2003


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 07 déc. 2004, pourvoi n°04-80088


Composition du Tribunal
Président : Président : M. COTTE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:04.80088
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