AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le premier décembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CHALLE, les observations de Me FOUSSARD, et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA VILLE DE PARIS, partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 3ème section, en date du 5 décembre 2003, qui, dans l'information suivie, notamment, contre Raymond-Max X..., Daniel Y... et Michel Z..., des chefs détournement de fonds publics et recel, a constaté la prescription de l'action publique ;
Vu l'article 575, alinéa 2, 3 , du Code de procédure pénale ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 321-1 et 432-15 et suivants du Code pénal, ensemble les articles 7, 8, 203, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a constaté la prescription des faits de détournement de fonds publics imputés à Daniel Y... et Michel Z... et de recel de ce délit imputé à Raymond-Max X... ;
"aux motifs qu' "ainsi que le relève le juge d'instruction, en matière de détournements de fonds et de recel de ce délit, le point de départ de la prescription se situe au jour où les détournements sont apparus et ont pu être constatés dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ; qu'en l'espèce, à les supposer établis, les détournements ont été dissimulés par leurs auteurs en recourant à des procédures administratives et comptables régulières en la forme ; qu'entendu en qualité de témoin le 20 mai 2003 par le magistrat instructeur, si Georges A... a déclaré n'avoir découvert le caractère fictif des emplois en cause qu'après avoir quitté ses fonctions, en précisant qu'il n'avait aucune compétence à l'égard des chargés de mission contractuels, il a aussi exposé qu'il a été mandaté pour soumettre au contrôle de légalité du préfet les contrats qui ne l'avaient pas été jusqu'en 1988 et que lui ont été soumis des difficultés concernant les coordonnées bancaires des intéressées en Corrèze puis, en 1986/1988, le fait que certains d'entre eux avaient rejoint des cabinets ministériels tout en continuant d'être payés par la ville de Paris sans convention de mise à disposition; qu'il résulte ainsi des propres déclarations de Georges A..., administrateur civil de son état, qu'au moins au cours des années 1986/1988, il a personnellement constaté l'existence d'emplois fictifs puisque certains chargés de mission avaient rejoint des cabinets ministériels tout en continuant à être payés par la ville de Paris ; que surtout a été versée au dossier l'enquête préliminaire sus évoquée (D 43 à 88), classée sans suite le 18 août 1995 au motif qu'elle n'a pas permis de recueillir de preuves suffisantes (D 292) ; qu'il en ressort que ladite enquête trouve effectivement sa cause dans le procès-verbal de retranscription d'une communication téléphonique anonyme établie par un juge d'instruction de Créteil, faisant état de financements illicites par la ville de Paris et des entreprises au profit de nombreuses personnes dont certaines étaient nommément désignées, pièce à laquelle étaient joints un procès-verbal d'audition sur commission rogatoire de Philippe B..., cité au cours de ladite communication téléphonique, et des copies de documents relatifs à l'emploi de celui-ci à la mairie de Paris ; que par quatre mandements successifs, le procureur de la République a demandé de procéder à l'audition de Michel Z... et Rémy C... en tant que signataires du contrat de travail liant Philippe B... à la mairie de Paris, de Mme D..., Bernard E..., M. F... et du directeur de l'administration générale de la ville de Paris en invitant celui-ci à remettre le ou les dossiers en cause ainsi qu'à celle de M. G..., "supposé responsable de l'organisation des emplois fictifs", et de Raymond-Max X..., supérieur hiérarchique de Philippe B..., afin de recueillir ses explications sur les conditions de recrutement de ce dernier ainsi que la nature exacte des activités exercées par celui-ci ;
que les ordres ainsi donnés par le procureur de la République à un service de police judiciaire d'enquêter sur la réalité des faits dénoncés au juge de Créteil impliquaient la recherche de tous les détournements dont avait pu être victime la ville de Paris par le biais d'emplois fictifs de chargés de mission dans la mesure où le dénonciateur avait indiqué qu'il n'y avait pas que Philippe B... qui en avait bénéficié et que d'autres personnes, dont il citait quelque unes, tout en précisant le nom de certains organisateurs du système, en avait bénéficié ; qu'au cours de leurs auditions dans le cadre de cette enquête préliminaire, les personnes entendues ont toutes nié l'existence d'emplois fictifs au sein du personnel de la mairie de Paris ; que plus précisément, les directeurs successifs du cabinet du maire (Michel Z..., Rémy C... et M. H...) ont démenti l'existence d'une telle organisation ; que M. E..., dont il était établi qu'il a été rémunéré par la ville de Paris du 1er juillet 1988 au 28 janvier 1992, a déclar0é avoir réellement travaillé pour celle-ci au cours de cette période et avoir assumé en même temps la charge de secrétaire bénévole de la fédération corrézienne du Rassemblement pour la République ; que M. F... a affirmé avoir effectivement travaillé pendant un an, d'août 1990 à août 1991, pour la ville de Paris en sus de l'emploi qu'il occupait par ailleurs ;
que M. G..., président de la chambre de commerce de Corrèze, a contesté avoir été l'instigateur d'emplois fictifs, en avoir bénéficié lui-même et avoir été chargé de recruter les personnes pouvant être salariées dans ce cadre par la mairie de Paris; que Mme l'avocat général souligne avec pertinence que les personnes ainsi entendues n'ont eu recours à aucun artifice, se bornant à nier toute infraction, en sorte qu'aucune manoeuvre de dissimulation ou conséquence d'une manoeuvre de dissimulation ne peut être caractérisée comme ayant entravé le cours de l'enquête préliminaire et que celle-ci a porté sur les mêmes détournements que ceux dont le magistrat instructeur est présentement saisi ; qu'elle en déduit exactement que l'absence de découverte de preuve des infractions dénoncées au juge de Créteil résulte exclusivement de l'absence de diligences plus approfondies, alors même que des investigations auraient pu utilement se poursuivre au vu des dossiers administratifs de Philippe B... et Bernard E... remis aux enquêteurs par M. H..., alors directeur de l'administration générale de la ville de Paris ; qu'en cet état, il est suffisamment démontré que les soupçons de détournements de deniers publics ont été portés à la connaissance du ministère public en 1995 et qu'une enquête a alors été diligentée ; qu'il ne petit être sérieusement soutenu que l'absence de confirmation du caractère fondé de la dénonciation anonyme, à l'issue de l'enquête alors effectuée, ne permet pas de retenir que l'autorité judiciaire n'avait pas alors été valablement informée de l'étendue des faits de détournements ainsi qu'elle l'a été par la plainte avec constitution de partie civile qui se trouve à l'origine de la présente information, sans méconnaître les règles d'ordre public relatives à la prescription ainsi que le rappelle Mme l'avocat général ; qu'en effet, ont le caractère d'actes interruptifs de la prescription tous ceux ayant pour objet de constater les infractions et d'en découvrir les auteurs, notamment les procès-verbaux établis par les officiers et agents de police judiciaire dans le cadre des instructions données par le procureur de la République, sans qu'il y ait lieu de s'attacher à leur utilité ou à leur résultat ; ( ... ) ; que Mme l'avocat général observe justement que les actes de poursuite accomplis dans une procédure distincte, non jointe à la présente information, ne sont pas susceptibles d'avoir interrompu la prescription de l'action publique à l'égard des faits objet de cette dernière ; qu'en définitive, aucun acte de poursuite n'est intervenu en l'espèce entre le dernier acte accompli dans le cadre de l'enquête préliminaire, classée sans suite en août 1995, et le dépôt de la plainte avec constitution de partie civile du 15 décembre 1998 en sorte que les appelants sont bien fondés à se prévaloir de la prescription de l'action publique ;
qu'en toute hypothèse, pour rejeter une demande d'acte de M. I..., concernant l'emploi de chargé de mission à Paris au titre duquel Philippe B... a été rémunéré alors qu'il travaillait à Tulle au profit de Raymond-Max X..., le magistrat alors en charge du dossier a, dans les motifs de son ordonnance du 23 avril 1999, énoncé que "les faits", qui ressortent de la susdite procédure classée sans suite, sont prescrits dès lors que le dernier acte de poursuite remonte au 20 juillet 1995 ; que Raymond-Max X... relève avec pertinence que cette même enquête préliminaire a expressément traité des faits relatifs à l'emploi de chargé de mission à Paris de Bernard E..., dont il lui est présentement fait grief d'avoir bénéficié à travers la fédération corrézienne du Rassemblement pour la République ; qu'il se prévaut en conséquence à bon droit des motifs de l'ordonnance du 23 avril 1999 sur la prescription de l'ensemble des faits de recel le concernant visés dans cette procédure classée sans suite " (arrêt attaqué p. 14, avant dernier et dernier , p. 15, 16 et 17) ;
"alors que, premièrement, lorsque des infractions sont connexes, un acte interruptif de prescription à l'égard d'une des infractions, produit effet à l'égard des autres, même si les poursuites ont été exercées séparément ; qu'il y a connexité dès lors que les faits procèdent d'une conception unique et sont déterminés par la même cause et tendent au même but, peu important l'existence de poursuites distinctes ; qu'en écartant tout effet à l'existence d'une éventuelle connexité, au motif que les actes de poursuites accomplis dans une procédure distincte non jointe à la présente information n'étaient pas susceptibles d'avoir interrompu la prescription de l'action publique à l'égard des faits objet de cette dernière, motif juridiquement inopérant, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;
"et alors que, deuxièmement, au cas d'espèce, dans ses mémoires, la ville de Paris avait fait valoir que les faits objet de la présente procédure étaient connexes à ceux ayant donné lieu à l'information ouverte auprès du tribunal de grande instance de Nanterre, dans la mesure où le tribunal de grande instance de Nanterre était saisi d'emplois fictifs au bénéfice du Rassemblement pour la République, notamment au travers de la conclusion de contrats de chargés de mission de la ville de Paris ;
qu'en s'abstenant de rechercher si les faits poursuivis dans le cadre de la procédure dont ils étaient saisis, n'étaient pas connexes avec les faits poursuivis devant le tribunal correctionnel de Nanterre, et notamment s'ils ne procédaient pas d'une conception unique ou avaient été déterminés par la même cause et tendaient au même but, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés" ;
Vu les articles 203 et 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'en cas d'infractions connexes faisant l'objet de procédures distinctes, un acte interruptif de prescription concernant l'une d'elles a nécessairement le même effet à l'égard de l'autre indépendamment de la jonction de ces procédures ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 15 décembre 1998, un contribuable de la ville de Paris, préalablement autorisé par le tribunal administratif, a porté plainte avec constitution de partie civile contre personne non dénommée, notamment, du chef de détournement de fonds publics, en dénonçant le versement, courant 1983 à 1988, de rémunérations à des chargés de mission contractuels affectés au cabinet du maire de Paris alors que les intéressés n'auraient fourni aucune prestation effective ou auraient exercé leurs activités au profit d'autres employeurs ; que cette plainte s'appuyait, notamment, sur une attestation de Georges A..., directeur de l'administration générale de la ville de Paris de 1983 à 1988, et sur son audition, le 20 mai 1998, en exécution d'une commission rogatoire d'un juge d'instruction du tribunal de grande instance de Nanterre, révélant l'existence d'emplois fictifs à la mairie de Paris lorsqu'il y exerçait ses fonctions ;
Attendu que, pour constater la prescription des faits de détournement de fonds publics reprochés à Daniel Y... et Michel Z... et de recel imputés à Raymond-Max X..., et infirmer l'ordonnance du juge d'instruction qui avait relevé que ces faits sont connexes à ceux objet de la procédure renvoyée devant le tribunal correctionnel de Nanterre, des chefs d'abus de biens sociaux au profit du Rassemblement Pour la République, l'arrêt se borne à énoncer que les actes accomplis dans une procédure distincte, non jointe à la présente information, ne sont pas susceptibles d'avoir interrompu la prescription de l'action publique à l'égard des faits objet de cette dernière ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher s'il n'y avait pas connexité, au sens de l'article 203 du Code de procédure pénale, entre les faits objet des deux procédures en cause et si les actes accomplis dans celle renvoyée devant le tribunal correctionnel de Nanterre n'avaient pas interrompu la prescription à l'égard des faits objet de la présente information, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le premier moyen proposé,
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 5 décembre 2003, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Pibouleau conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Challe conseiller rapporteur, MM. Roger, Dulin, Mmes Thin, Desgrange, MM. Rognon, Chanut, Mme Nocquet conseillers de la chambre, Mme de la Lance, M. Soulard, Mmes Salmeron, Degorce conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;