AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le seize novembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller PALISSE, les observations de la société civile professionnelle MONOD et COLIN et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Arnaud,
- Y... Adil, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 28 octobre 2003, qui, pour délit de violences, a condamné le premier, à 1 mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
I - Sur le pourvoi d'Arnaud X... :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 222-13 du Code pénal, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Arnaud X... coupable de violences volontaires aggravées n'ayant pas entraîné d'incapacité totale de travail supérieure à huit jours et, en répression, l'a condamné à un mois d'emprisonnement avec sursis ;
"aux motifs qu'il se déduit des éléments de la procédure que les blessures constatées sur la personne d'Adil Y... ont été occasionnées lors du contrôle d'identité effectué le 30 décembre 1996 ; qu'il résulte des déclarations des fonctionnaires de police que les gardiens de la paix Z... et X... ont eu un contact physique avec Adil Y... le jour des faits, tous deux étant intervenus pour, selon leurs dires, écarter Adil Y... et le faire reculer, le repoussant de la paume de la main ; qu'Adil Y... et les témoins des faits ont tous désigné Arnaud X..., ou donné de celui-ci une description permettant de l'identifier, comme étant l'auteur du coup ayant entraîné les blessures constatées ; que les deux expertises réalisées dans le cadre de l'instruction confirment en outre la version des faits donnée par Adil Y... dans la mesure où ces experts, d'une part, précisent que la fracture des dents résulte bien de coups portés le 30 décembre et, d'autre part et surtout, concluent que les fractures coronaires des trois dents n'ont pu être occasionnées par un coup de poing mais, de manière hautement probable ou quasi certaine, selon la contre-expertise du professeur A..., par un coup de matraque ou de tonfa donné avec l'extrémité du bâton ; qu'il suit de tout ce qui précède qu'il existe un faisceau d'indices concordants permettant de confirmer la culpabilité d'Arnaud X... pour les faits reprochés ;
"alors, d'une part, qu'en déclarant le prévenu coupable de l'infraction poursuivie au seul motif que l'information aurait permis de dégager un faisceau d'indices concordants, cependant qu'il appartient à la partie poursuivante d'apporter la preuve certaine de la matérialité et de l'imputabilité des faits reprochés, la cour d'appel a violé le principe de la présomption d'innocence et a renversé la charge de la preuve ;
"alors, d'autre part, qu'en affirmant que la victime et les témoins des faits auraient tous désigné Arnaud X... comme étant l'auteur du coup ayant entraîné les blessures constatées, cependant qu'il ressort des conclusions d'appel du prévenu que les déclarations et descriptions auxquelles se réfère l'arrêt comportaient de nombreuses contradictions rendant incertaine l'identité de l'auteur des faits reprochés, et que les fonctionnaires de police, également témoins des faits, avaient quant à eux toujours confirmé la version des faits du prévenu, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
II - Sur le pourvoi d'Adil Y... :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 14 fructidor an III, des articles 3, alinéa 2, du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré irrecevable la demande d'Adil Y... tendant à voir le prévenu, Arnaud X..., condamné à réparer le dommage que lui a causé l'infraction ;
"aux motifs que "la faute commise par Arnaud X... l'a été dans l'exercice de ses fonctions et avec les moyens du service ; quelle qu'en soit la gravité, cette faute n'est donc pas dépourvue de lien avec ce service, si bien qu'elle engage la responsabilité de l'Etat qui, sous réserve de l'action récursoire qui lui est ouverte, se substitue à celle de ses agents ; le jugement doit en conséquence être réformé sur l'action civile, Adil Y... (...) étant irrecevable en sa demande dirigée contre Arnaud X... et ce en l'absence de mise en cause de l'agent judiciaire du Trésor représentant de l'Etat devant les juridictions judiciaires" ;
"alors qu'est en principe recevable l'action civile dirigée contre un agent d'un service public à raison d'un acte commis par ce dernier dans l'exercice de ses fonctions lorsque cet acte, bien que n'étant pas dépourvu de lien avec le service, et pouvant de ce fait engager cumulativement la responsabilité de la personne publique devant le juge administratif, est néanmoins constitutif d'une faute détachable des fonctions en raison de sa particulière gravité ; qu'il en est notamment ainsi des actes de violence commis par un fonctionnaire de police présentant un caractère de brutalité sans rapport avec les nécessités de l'exercice de ses fonctions, si bien que l'action civile tendant en l'espèce à obtenir d'un policier la réparation des dommages consécutifs à un coup volontaire asséné sans raison, suffisamment violent pour fracturer trois dents, ne peut être déclarée irrecevable au motif que la responsabilité de l'Etat se substituerait à celle du fonctionnaire ;
"alors, subsidiairement, qu'il appartient au juge répressif, saisi d'une action civile dirigée contre un agent d'un service public à raison d'un acte commis par ce dernier dans l'exercice de ses fonctions, de rechercher si cet acte ne constitue pas une faute personnelle détachable de la fonction engageant la responsabilité civile personnelle de son auteur ; qu'en ne procédant pas à une telle recherche à l'égard des violences volontaires commises par le prévenu, gardien de la paix dans l'exercice de ses fonctions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Vu l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article 3 du Code de procédure pénale ;
Attendu que la juridiction judiciaire est tenue de statuer sur la réparation des conséquences dommageables de la faute commise par un agent public et révêtant le caractère d'une faute personnelle, détachable de la fonction ; que constitue une telle faute celle qui révèle un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'Adil Y..., estimant que des policiers s'adressaient de façon agressive à un groupe de jeunes gens dont ils contrôlaient l'identité, a tenté de s'interposer entre eux ; que l'un des gardiens de la paix, Arnaud X..., l'a frappé au visage avec une matraque dissimulée le long de son bras et lui a brisé plusieurs dents ;
Attendu que l'arrêt, après avoir condamné Arnaud X... du chef de violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure à huit jours commises par une personne dépositaire de l'autorité publique et avec usage d'une arme, déclare irrecevable la demande en réparation d'Adil Y..., en énonçant que la faute du policier a été commise dans l'exercice de ses fonctions, avec les moyens du service et que, quelle que soit sa gravité, elle n'est pas dépourvue de lien avec le service, de sorte que la responsabilité de l'Etat doit se substituer à celle de son agent ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'elle constatait que la faute imputée à Arnaud X..., si elle n'était pas dépourvue de tout lien avec le service, constituait néanmoins un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
I - Sur le pourvoi d'Arnaud X... :
Le REJETTE ;
II - Sur le pourvoi d'Adil Y... :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 28 octobre 2003, en ses seules dispositions relatives à l'action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
CONDAMNE Arnaud X... à payer à Adil Y... la somme de 2 000 euros au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Palisse conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Le Corroller, Castagnède conseillers de la chambre, Mme Guihal, M. Chaumont, Mme Degorce conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Mouton ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;