AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à la société Assurances Crédit mutuel IARD de ce qu'elle s'est désistée de son pourvoi en tant que dirigé contre la société Suravenir ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 26 mars 2003), que M. X... et Lionel Y... ont été blessés, le second mortellement, dans un accident de la circulation n'impliquant qu'une motocyclette appartenant à M. X..., sur laquelle ils avaient pris place, et qui était assurée auprès de la société Assurances Crédit mutuel ; que M. X..., poursuivi pénalement pour homicide involontaire sous l'empire d'un état alcoolique, a été renvoyé des fins de la poursuite ; qu'il a alors assigné son assureur en responsabilité et indemnisation ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Assurances Crédit mutuel fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à indemniser M. X... de son préjudice, alors, selon le moyen :
1 / que si l'assureur de responsabilité peut être actionné directement par la victime d'un accident de la circulation, sans que soit appelé en la cause l'assuré, il est nécessaire -pour caractériser la qualité de "tiers lésé " de la victime -d'identifier le responsable assuré ("conducteur" ou "gardien") ; qu'en considérant que l'objet de la preuve était exclusivement la qualité de "conducteur" de la victime, la cour d'appel a déduit un motif inopérant et violé les articles L. 124-3 du Code des assurances, ensemble les articles 1er et 2 de la loi du 5 juillet 1985 ;
2 / que le propriétaire d'un véhicule à moteur est présumé gardien du véhicule, sauf transfert de la garde qu'il lui incombe de prouver; qu'en ne recherchant pas, en l'espèce, comme elle y était invitée par l'assureur, si le propriétaire, gardien du véhicule, n'en avait pas conservé la garde, quelle que soit l'hypothèse retenue (conducteur ou passager) et de nature à exclure la qualité de tiers lésé, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1 et 2 de la loi du 5 juillet 1985 ;
Mais attendu que la victime propriétaire d'un véhicule terrestre à moteur, mais passagère au moment de l'accident, est en droit de demander à l'assureur garantissant la responsabilité civile du fait de ce véhicule la réparation de son préjudice ;
Et attendu que la cour d'appel, ayant constaté que la qualité de conducteur de M. X... n'était pas établie, en a exactement déduit que l'intéressé pouvait se prévaloir de la qualité de passager transporté, et que la société Assurances Crédit mutuel était tenue de l'indemniser ;
D'où il suit que le moyen, qui n'est pas fondé en sa première branche, et qui est inopérant pour le surplus, ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Assurances Crédit mutuel fait encore grief à l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait, alors, selon le moyen, que commet une faute d'une exceptionnelle gravité, sans raison valable, exposant son auteur à un danger dont il devait avoir conscience, le propriétaire d'un véhicule deux roues, qui confie à son compagnon sous l'empire d'une forte imprégnation alcoolique (1,34 g/litre de sang) qu'il ne peut ignorer pour la partager lui-même (1,42 g) sur un véhicule où les deux passagers sont vulnérables au moindre choc ; qu'une telle faute commise alors que seul ce véhicule était impliqué est la cause exclusive de l'accident; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985 ;
Mais attendu que la faute que commet le propriétaire d'un véhicule qui en confie la conduite à une personne qu'il sait sous l'empire d'un état alcoolique, si elle est inexcusable au sens de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, n'est pas la cause exclusive de l'accident dont il a été victime en tant que passager transporté ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Assurances Crédit mutuel fait enfin grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. X... une somme de 22 943,57 euros pour la perte de revenus subie du 7 avril 1997 au 20 septembre 1998, alors, selon le moyen, que la réparation de la perte d'une chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'en l'espèce, en indemnisant le salarié de la perte de salaire au-delà de la durée certaine de son contrat à durée indéterminée, sous la seule considération hypothétique qu'il aurait pu intégrer l'entreprise au titre d'un contrat à durée indéterminée à partir du 1er janvier (lire novembre ?) 1997, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale (violation de l'article 1147 du Code civil) ;
Mais attendu que la cour d'appel, en indemnisant M. X..., après avoir constaté que son employeur attestait qu'il devait être employé dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, à l'issue de son contrat à durée déterminée, n'a pas réparé une perte de chance, mais un préjudice certain dont elle a souverainement évalué le montant ;
D'où il suit que le moyen, qui ne tend, sous le couvert du grief non fondé de violation de la loi, qu'à remettre en cause cette appréciation, ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Assurances Crédit mutuel IARD aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Assurances Crédit mutuel IARD à payer à M. X..., la somme de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille quatre.