AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Olivier,
- LE Y... Roger, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 8ème chambre, en date du 28 mai 2003, qui, dans la procédure suivie contre le premier du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public, a condamné le prévenu à 4 000 euros d'amende et à des réparations civiles envers Marie-Paule Z..., a annulé la citation délivrée du même chef par le second et constaté l'extinction de l'action publique en raison de la prescription ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 14 septembre 2004 où étaient présents : M. Cotte président, Mme Chanet conseiller rapporteur, MM. Joly, Beyer, Mmes Palisse, Guirimand conseillers de la chambre, Mmes Ménotti, Degorce conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Chemithe ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle THOMAS-RAQUIN et BENABENT, de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le quotidien "Le Monde" a publié, le 7 septembre 2000, un article signé par Franck A... intitulé : "affaire B... : remise en cause de l'impartialité du juge Z..." relatant l'initiative prise notamment par Olivier X..., avocat de la veuve d'un magistrat retrouvé mort à Djibouti, qui avait adressé une lettre au garde des Sceaux reprochant à Marie-Paule Z... et à Roger Le Y..., juges d'instruction en charge du dossier jusqu'en juin 2000, d'avoir manqué d'impartialité et de loyauté en particulier "en gardant par devers eux" une pièce à conviction ;
Attendu que, Marie-Paule Z... et Roger Le Y... ont porté plainte et se sont constitués parties civiles du chef de diffamation publique envers des fonctionnaires publics contre Jean-Marie C..., directeur de publication du journal "Le Monde", Franck A..., journaliste, et Olivier X... ;
Attendu que deux informations distinctes ont été ouvertes et que les prévenus ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel qui, après avoir ordonné la jonction des procédures, les a condamné pour l'ensemble des faits poursuivis ;
Attendu qu'appel a été relevé du jugement par Olivier X... et le ministère public ;
En cet état,
I - Sur le pourvoi d'Olivier X... :
Sur le premier moyen proposé pour Olivier X..., pris de la violation des articles 510 du Code de procédure pénale, 668 et suivants du même Code, de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"en ce que la cour d'appel était composée ainsi : président : Mme Quarcy-Jacquemet ; conseillers : MM. Renauldon et Lonne ;
"alors que, ainsi que le faisait valoir Me X... dans sa requête en récusation du 15 avril 2003, visant Mme Quarcy-Jacquemet et M. Renauldon, il était permis d'avoir un doute sur la totale neutralité et objectivité de ces magistrats, dans la mesure où il est apparu au demandeur, en cours de délibéré, qu'ils avaient déjà statué dans une affaire en lien étroit avec celle de l'espèce, puisqu'il s'agissait de l'action en diffamation dirigée par Marie-Paule Z... et Roger Le Y... contre le journal ayant dénoncé la partialité dont ils auraient fait preuve dans la même affaire B... ; qu'ils avaient rendu une décision d'une nature telle que Me X... pouvait légitimement craindre que ces mêmes magistrats aient déjà forgé leur opinion sur la présente affaire ;
qu'ainsi la cour d'appel n'était pas régulièrement constituée eu égard aux impératifs fondamentaux d'impartialité objective et organique qui doivent présider à la composition des juridictions" ;
Attendu qu'aucune disposition légale ou conventionnelle ne fait obstacle à ce que les mêmes magistrats puissent connaître de poursuites distinctes engagées par la même partie civile, pour des faits de même nature ;
D'ou il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation, proposé pour Olivier X..., pris de la violation des articles 35 dernier alinéa de la loi du 29 juillet 1881, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Me X... coupable de complicité de diffamation, après avoir rejeté la demande de sursis à statuer présentée sur le fondement de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 ;
"aux motifs que "la défense de Me X... fait valoir que le sursis à statuer s'impose puisque, dans la procédure relative à la plainte de Madame Marie-Paule Z..., son client a notifié une offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires, et en désirant faire entendre des témoins dont Anne D..., laquelle a été mise en examen et renvoyée devant le tribunal correctionnel de Lille pour des propos tenus dans un article du journal Golias, où elle mettait en cause le manque d'impartialité de Marie-Paule Z... dans le dossier B... et E... ; qu'il s'ensuit que ce témoin ne peut donc, en l'état, prêter serment et que, de ce fait, Me X... se trouve privé d'un moyen de preuve et ne peut assurer sa défense que de façon imparfaite ; que la Cour relève que cette demande de sursis à statuer n'est concevable et fondée que si le prévenu est recevable dans son offre de preuve ; que Me X... doit être déclaré déchu de son offre de preuve et qu'en conséquence sa demande de sursis à statuer se trouve être sans objet puisque les déclarations des témoins, dont tout spécialement celles d'Anne D..., ne pourront être prises en compte" ;
"alors, d'une part, que, si le sursis à statuer n'est obligatoire que dans le cas où la preuve de la vérité des faits diffamatoires n'est pas autorisée, et est facultatif dans les autres cas, les juges du fond n'en demeurent pas moins tenus de statuer sur la demande formulée dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice autant que dans celui des droits de la défense, et de préciser les raisons pour lesquelles ils n'entendent, éventuellement, pas y faire droit, indépendamment de la question de l'offre de preuve de la vérité du fait diffamatoire ; que, en l'espèce, Me X... faisait valoir non pas une seule, mais trois séries d'arguments s'opposant à l'examen immédiat du dossier, dont l'existence d'une plainte avec constitution de partie civile déposée par sa cliente, Mme B..., le 20 novembre 2002, pour subornation de témoin, visant Marie-Paule Z... ;
que la cour d'appel devait donc rechercher s'il n'y avait pas lieu d'ordonner un sursis à statuer dans l'attente du résultat de cette information judiciaire en rapport étroit avec les faits ayant motivé les présentes poursuites, et ne pouvait éluder notamment ce chef de demande, distinct de celui relatif à l'audition comme témoin de la vérité des faits de Mme D..., sans priver sa décision de motifs ;
"alors, d'autre part, que Me X... faisait encore valoir qu'une information judiciaire pour dénonciation calomnieuse à la suite de la lettre adressée au Garde des Sceaux, dont l'article litigieux rendait compte, était en cours sur plainte de Marie-Paule Z..., sans qu'il y ait eu de mise en examen des avocats mis en cause ; que, par ailleurs, dans le cadre de l'information ouverte pour assassinat de Bernard B..., le témoin F... avait confirmé les pressions intolérables dont il avait été victime de la part de Marie-Paule Z... et du procureur de la République de Djibouti ; que ces éléments, de nature à justifier la réalité de la subornation de témoin ayant motivé la lettre adressée au Garde des Sceaux et les déclarations reprochées à Me X..., ou à tout le moins à démontrer la bonne foi dont ce dernier se prévalait en se référant précisément aux éléments déjà connus de cette information, justifiaient qu'un sursis à statuer soit ordonné dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, autant que pour éviter une éventuelle contrariété de jugements ; que la cour d'appel, en ne répondant pas à ce moyen, a derechef privé sa décision de motifs" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ;
que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile de Marie-Paule Z..., Olivier X..., devant la cour d'appel, a déposé des conclusions demandant qu'il soit sursis à statuer sur l'action publique au motif qu'il avait fait citer, au titre de l'offre de preuve de la vérité des faits, un témoin ne pouvant prêter serment, celui-ci étant lui-même poursuivi du même chef à la requête de la partie civile ;
Attendu que, pour écarter cette demande, l'arrêt attaqué, après avoir énoncé que l'offre de preuve portait la date du 30 octobre 2001, retient que la signification de celle-ci est intervenue le 19 novembre 2001, soit plus de 10 jours après la citation délivrée au prévenu le 26 octobre 2001 ;
Mais attendu qu'en l'état de ces motifs empreints de contradiction, la cassation est encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés ;
II - Sur le pourvoi de Roger Le Y... :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 54 et 65 de la loi du 29 juillet 1881, 388, 551, 552, 553, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, a déclaré prescrite l'action en diffamation introduite par la plainte avec constitution de partie civile de Roger Le Y..., après avoir fait droit à l'exception de nullité des citations délivrées aux prévenus ;
"aux motifs que, l'article 54 de la loi du 29 juillet dispose que "le délai entre la citation et la comparution sera de vingt jours, outre un jour par cinq myriamètres de distance" ; que l'inobservation du délai de citation, prévu par l'article 54 de la loi de 1881, est sanctionnée par les dispositions de l'article 553 du Code de procédure pénale et que, si conformément aux dispositions de cet article, la partie citée ne se présente pas, la citation doit être déclarée nulle par le tribunal et que cette demande doit être présentée avant toute demande au fond, ainsi qu'il est dit à l'article 385 du Code de procédure pénale ; qu'il est constant que pour la procédure 00 297 380 29, comme le font remarquer les avocats de la défense, le délai de vingt jours, prévu par l'article 54 précité, n'a pas été respecté entre la citation du 13 novembre 2001 et la date de comparution du 27 novembre 2001 ; qu'à cette audience du 27 novembre 2001, il est également constant que les prévenus ne se sont pas présentés ; que le droit de la presse est un droit spécifique, que la loi du 29 juillet 1881 est d'interprétation stricte, et que l'article 54 de ladite loi doit s'appliquer impérativement ; qu'il échet de relever que le délai de citation de 20 jours a d'ailleurs, été respecté par le parquet dans la première procédure 00/297 38 01 0 n° 1/00/100, traitant de la plainte déposée par Marie-Paule Z..., puisqu'il a fait citer le 29 octobre 2001 les prévenus à comparaître à l'audience du 27 novembre 2001 ; que l'avocat Olivier X... a notifié, le 19 novembre 2001, une offre de preuve dans le cadre de ladite procédure ; que la nécessité d'un délai de dix jours, pour pouvoir faire l'offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires, outre la nécessité d'un délai supplémentaire de cinq jours pour que, soit le plaignant ou le ministère public puisse offrir d'administrer la preuve contraire, démontre bien la nécessité d'un délai spécifique de 20 jours entre la citation et l'audience, délai dérogatoire au droit commun ; qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que les prévenus ont soulevé la nullité des citations délivrées le 13 novembre 2001 dans la procédure 00 29 738 029, ainsi que la nullité du jugement préparatoire, rendu par défaut le 27 novembre 2001, lequel n'a pu, en conséquence, constituer un acte valable interruptif de prescription ; que, de plus, la Cour relève qu'entre le 2 octobre 2001, date de l'ordonnance de renvoi et le 4 janvier 2002, date des nouvelles citations délivrées à la requête du procureur de la République de Nanterre, il n'y a eu aucun acte de poursuite et qu'il s'est donc écoulé un délai de 3 mois et 2 jours entre ces deux dates ; qu'il échet de noter, en outre, que l'audience du 22 janvier 2002 n'était pas une audience de plaidoirie et que les nullités ont bien été soulevées à la première audience au fond, en date du 2 avril 2002 ;
qu'il en résulte que l'action en diffamation engagée par Roger Le Y... doit être déclarée éteinte par l'effet de la prescription et qu'il y a lieu, dans ces conditions, de renvoyer les prévenus des fins de la poursuite de ce chef, en infirmant le jugement en ce sens" ;
"alors, d'une part, que les dispositions de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881, imposant l'observation d'un délai de 20 jours entre la citation et la comparution, ne concernent que l'exploit introductif d'instance mais non les citations ultérieures ; que lorsque le tribunal correctionnel est saisi par le renvoi ordonné par le juge d'instruction, c'est l'ordonnance de renvoi qui introduit l'instance ;
qu'après avoir retenu que le tribunal correctionnel avait été saisi par l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction, la cour d'appel ne pouvait faire application de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 sans violer ensemble cet article et l'article 552 du Code de procédure pénale ;
"alors subsidiairement, d'autre part, que constitue un acte de poursuite le mandement par lequel le ministère public requiert un huissier de justice, par application de l'article 551 du Code de procédure pénale, de délivrer une citation à comparaître devant la juridiction répressive ; qu'un tel acte a, par voie de conséquence, pour effet d'interrompre la prescription de l'action publique ; qu'en retenant l'existence d'une prescription car il n'y aurait eu aucun acte de poursuite, sans s'expliquer, comme elle y était invitée par les conclusions de Roger Le Y... (p. 5 et 6), sur le caractère interruptif de la prescription des mandements de citation aux trois prévenus délivrés par le parquet les 18 octobre, 5 novembre et 26 décembre 2001, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;
"alors, en outre, que tout acte de poursuite ou d'instruction interrompt la prescription erga omnes ; qu'il en est ainsi d'une citation délivrée à la partie civile ; qu'en retenant qu'il n'y aurait eu aucun acte de poursuite, sans s'expliquer, comme l'y invitaient les conclusions de Roger Le Y... (p. 6 et 7) sur les actes interruptifs de prescription erga omnes que constituaient la délivrance par le parquet d'un mandement de citation à la partie civile le 18 octobre 2001, puis la citation, délivrée à celle-ci à personne le 12 novembre 2001 et valable puisque la partie civile s'était fait représenter à l'audience, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;
"alors, enfin, que si la prescription des actions publique ou civile n'est pas interrompue par des actes nuls ou non existants, elle est suspendue, en pareil cas, par un obstacle de droit ayant mis la partie poursuivante dans l'impossibilité d'agir ; qu'à défaut d'une telle suspension, la partie civile, confrontée à un obstacle qu'elle ne peut surmonter, se verrait privée de son droit à l'accès au juge en violation de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en retenant l'existence de la prescription sans tenir compte de la suspension de celle-ci entre le 13 et le 27 novembre 2001, dès lors qu'ainsi que Roger Le Y... le faisait valoir dans ses conclusions d'appel (p. 7 et 8), la nullité des citations ne s'était révélée que le 27 novembre 2001 lorsque les prévenus ne s'étaient pas présentés à l'audience, la cour d'appel a violé l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881" ;
Vu l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que le délai de vingt jours entre la citation et la comparution, prévu par le texte susvisé, ne s'applique qu'aux citations introductives d'instances ;
Attendu que, pour infirmer le jugement en ce qu'il concernait la plainte de Roger Le Y..., déclarer nulles les citations et constater l'extinction de l'action publique en raison de la prescription, l'arrêt énonce que le délai de vingt jours prévu par l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 n'a pas été respecté dès lors que la citation délivrée à la requête du ministère public est intervenue le 13 novembre 2001 pour une comparution le 27 novembre 2001 ; que les juges en déduisent que la citation était frappée de nullité ainsi que le jugement préparatoire rendu par défaut à cette dernière date et qu'en conséquence ces actes nuls n'ayant pu valablement interrompre la prescription, entre le 2 octobre 2001, date de l'ordonnance de renvoi et le 4 janvier 2002, date des nouvelles citations délivrées par le ministère public, celle-ci était acquise ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte et le principe susvisés ;
D'ou il suit que la cassation est de nouveau encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, en date du 28 mai 2003, et, pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze octobre deux mille quatre ;