AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 1382 du Code civil et 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que les appréciations, même excessives touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu'elles ne concernent pas la personne physique ou morale ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le quotidien Libération a publié, dans son édition du 18/19 décembre 1999, un article intitulé "Gueules de bois au champagne" annonçant la diffusion à la télévision, d'un documentaire consacré à l'histoire, la fabrication et l'économie du vin de Champagne, dans lequel il était écrit : "Le documentaire laisse ainsi entendre que tout le champagne n'est produit qu'à partir de raisins locaux. Or cela fait belle lurette que les vignerons de la Côte d'Or, entre autres, fournissent (à prix d'or) leurs collègues champenois en pinot noir ou en chardonnay. Pas un mot non plus sur les pratiques commerciales limites de certaines grandes maisons qui, en période de forte demande, commercialisent sous leur étiquette des bouteilles de qualité aléatoire achetées à des petits producteurs" ; qu'à la suite de la publication de cet article, le Comité interprofessionnel des vins de Champagne (CIVC), qui a pour mission d'assurer la protection des intérêts collectifs des professionnels participant à la production et à la commercialisation des vins de Champagne, estimant que cette affirmation dénigrait le vin de Champagne a assigné la SARL Libération, M. X..., directeur de la publication, et M. Y..., signataire de l'article, en responsabilité, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour débouter le CIVC de son action, l'arrêt retient que si le texte publié peut être le siège d'un dénigrement du produit "Champagne", il s'analyse principalement et essentiellement en l'affirmation d'une tromperie à laquelle les vignerons de Champagne participent, qu'une telle allégation de tromperie susceptible d'un débat et d'une preuve constitue l'imputation d'un fait portant atteinte à l'honneur et à la considération des vignerons de Champagne, qu'il s'agit là d'une diffamation prévue exclusivement par la loi sur la presse, que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les propos incriminés relevaient de la critique d'un produit et ne mettaient en cause aucune personne physique ou morale déterminée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 juin 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Libération, M. X..., ès qualités, et M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Libération et de MM. X..., ès qualités, et Y... ; les condamne, in solidum, à payer au Comité interprofessionnel du vin de Champagne la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du Procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept octobre deux mille quatre.