COUR D'APPEL DE PARIS 5è chambre, section B ARRET DU 27 JUIN 2002
(N , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 1998/00313 Pas de jonction Décision dont appel : Jugement rendu le 14/10/1997 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de PARIS 4/1è Ch. RG n :
1996/12055 ARRET AVANT DIRE DROIT rendu le 5/10/2000 par la Cour d'appel de PARIS 5 ème chambre B Date ordonnance de clôture : 12 Avril 2002 Nature de la décision :
X... Décision : ARRET AU FOND APPELANTE : LES ASSOCIATIONS MUTUELLES LE CONSERVATEUR société à forme tontinière régie par le Code des assurances prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège 59, RUE DE LA FAISANDERIE 75116 PARIS représentée par la SCP VARIN-PETIT, avoué assistée de Maître VATIER, Toque P82, Avocat au Barreau de PARIS, (SCP GRANRUT VATIER BAUDELOT) INTIME : Monsieur LE Y... Z... ... par Maître CARETO, avoué assisté de Maître RADIX, Avocat au Barreau d' AUXERRE, DEMANDERESSE EN INTERVENTION VOLONTAIRE : Madame A... épouse LE Y... B... agissant tant à titre personnel qu'au titre de son fils Joris mineur demeurant 25,RUE DE L'ILE AUX PLAISIRS 89000AUXERRE représentée par Maître CARETO, avoué assisté de Maître RADIX, Avocat au Barreau d'AUXERRE DEMANDERESSE EN INTERVENTION VOLONTAIRE : Mademoiselle LE Y... C... demeurant 25, RUE DE L'ILE AUX PLAISIRS 89000 AUXERRE représentée par Maitre CARETO, avoué assisté de Maître RADIX, Avocat au Barreau d'AUXERRE COMPOSITION DE LA COUR Lors des débats et du délibéré Monsieur MAIN: Président Madame D...:
Présidente de Chambre Monsieur E...:
Conseiller DEBATS à l'audience publique du 17 MAI 2002 GREFFIER Lors des débats et du prononcé de l'arrêt Madame LAISSAC ARRET X... prononcé publiquement par Monsieur MAIN, Président, lequel a signé la minute avec Madame LAISSAC, greffier
La Cour est saisie de l'appel interjeté par LES ASSOCIATIONS MUTUELLES LE CONSERVATEUR du jugement contradictoirement rendu le 14 octobre 1997 par le Tribunal de grande instance de Paris qui dans le litige les opposant à Monsieur Z... LE Y..., a dit que les appelantes avaient révoqué sans motif légitime à compter du 20 octobre 1994 le contrat d'agent général de l'intimé, les a condamnées à verser des dommages-intérêts à celui-ci et a désigné un expert en la personne de Monsieur François F... pour établir les comptes entre les parties et évaluer les dommages-intérêts.
Dans leurs dernières conclusions du 21 mars 2002 les appelantes font valoir : - que, à titre liminaire, Madame B... A..., épouse de Monsieur LE Y..., agissant en son nom personnel et en celui de son fils mineur Joris, ainsi que Mademoiselle C... LE Y... sont irrecevables à agir pour la première fois devant la Cour pour obtenir la réparation du préjudice qui leur aurait été occasionné à raison des faits débattus en première instance, - que c'est pour un motif légitime qu'elles ont, au mois d'octobre 1994, suspendu le contrat d'agent général de Monsieur LE Y... qui, ayant introduit auprès d'un certain Monsieur G... des clients du CONSERVATEUR dont les fonds placés ont été détournés par celui-ci, a, avant d'être relaxé le 9 mai 2001, été poursuivi et incarcéré du mois de juin au mois d'août 1994 pour complicité d'escroquerie, - que la relaxe de Monsieur LE Y... pour défaut d'élément intentionnel ne l'exonère pas de sa responsabilité dans la situation de fait se trouvant à l'origine de la décision prise par ses mandantes, - que c'est à tort que le Tribunal a jugé que la décision de suspension prise pour éviter les conséquences d'une résiliation s'analysait en une décision de rupture, - que, à supposer qu'il y ait eu rupture du contrat, celle-ci était justifiée par l'incarcération et les motifs de la
poursuite de Monsieur LE Y..., investi d'une fonction de représentation, qui ont troublé l'activité des appelantes et porté atteinte à leur crédibilité, - qu'en proposant à de potentiels clients du CONSERVATEUR de procéder à des placements auprès d'un tiers, Monsieur LE Y... ne peut sérieusement prétendre s'être comporté comme un mandataire "fidèle et dévoué", - que, en sa qualité de professionnel conduit à conseiller des placements, leur agent aurait dû faire preuve de plus de prudence et s'abstenir de proposer des placements dont il ne pouvait ignorer la précarité puisque destinés à fournir une avance de trésorerie, et ce même s'il pouvait légitimement ignorer qu'ils permettaient de réaliser une escroquerie, - que l'arrêt de relaxe du 9 mai 2001 leur a permis d'établir un fait nouveau, à savoir que leur mandataire avait manqué à son obligation d'exclusivité en représentant d'autres sociétés pratiquant les mêmes branches que celles concernées par leur mandataire, et leur avait ainsi causé un préjudice.
En conséquence LES ASSOCIATIONS MUTUELLES LE CONSERVATEUR prient la Cour de réformer le jugement déféré, de déclarer Monsieur Z... LE Y... mal fondé en ses demandes, de juger irrecevables les interventions volontaires de Madame B... LE Y... et de Mademoiselle C... LE Y... et de condamner Monsieur Z... LE Y... à leur payer 4.315,07 euros (28.305 francs) à titre de dommages-intérêts et 2.286,74 euros (15.000 francs) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dans leurs ultimes écritures du 11 février 2002 Monsieur Z... LE Y..., Madame B... LE Y... et Mademoiselle C... LE Y... soutiennent pour leur part: - que l'arrêt du 9 mai 2001, qui a blanchi Monsieur LE Y... de faits à lui reprochés, justifie
l'intervention volontaire de sa femme et de sa fille, victimes par ricochet du comportement inadmissible des appelantes, - que LES ASSOCIATIONS MUTUELLES LE CONSERVATEUR ont, au mois d'octobre 1994, alors que la mise en examen de leur mandataire avait eu lieu au mois de juin 1994, cru devoir rompre le mandat de Monsieur LE Y... en prétendant le suspendre sans contrepartie financière, - qu'aucun motif légitime ne permettait de justifier la révocation de Monsieur Z... LE Y... qui a officiellement été remplacé par Monsieur Jean-Claude H... au mois de novembre 1995, - que la relaxe de Monsieur Z... LE Y... par la juridiction pénale interdit à la juridiction civile de retenir à sa charge l'existence d'une faute civile génératrice de responsabilité à l'égard de la victime, - que le mandataire des appelantes n'a commis aucun acte de concurrence déloyale en adressant Messieurs I... et DESLANDES à Monsieur G... qui a librement négocié avec eux les fonds prêtés ou en apportant son concours à une autre compagnie d'assurance concurrente,- que le fait que Monsieur G... ait voulu souscrire un contrat d'assurance auprès des appelantes n'a rien de fautif, - que la révocation du mandat de Monsieur Z... LE Y... par LES ASSOCIATIONS MUTUELLES LE CONSERVATEUR est illégitime, - que le comportement des appelantes a causé un préjudice moral à la famille de leur mandataire.
Dès lors Madame B... LE Y..., agissant tant en son nom personnel qu'en celui de son fils mineur Joris, et Mademoiselle C... LE Y... demandent à la Cour de leur donner acte de leur intervention volontaire et de condamner LES ASSOCIATIONS MUTUELLES LE CONSERVATEUR à payer : 15.245 euros à Monsieur Joris LE Y...,
1.525 euros à Mademoiselle C... LE Y... en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Subsidiairement les intervenants prient la Cour de renvoyer la liquidation de leur préjudice devant le Tribunal de grande instance de Paris.
Monsieur Z... LE Y..., pour sa part, conclut à la confirmation du jugement déféré, au débouté des appelantes et à leur condamnation au paiement d'une indemnité de 4.600 euros au titre de ses frais irrépétibles.
SUR CE :
Considérant que suivant traité de nomination qui a pris effet le 14 mai 1991, LES ASSOCIATIONS MUTUELLES LE CONSERVATEUR et LES ASSURANCES MUTUELLES LE CONSERVATEUR ont désigné Monsieur Z... LE Y... comme agent général chef de région pour rechercher des adhérents susceptibles de souscrire des contrats énumérés dans des "conditions particulières";
Considérant que Monsieur Z... LE Y... devait, selon ce traité, exercer "principalement" son activité dans le département de l'Yonne et "en toutes occasions" "sauvegarder les intérêts" des appelantes "conformément aux lois et règlements en vigueur, et ce, sans jamais y déroger";
Considérant qu'au mois de juin 1994 Monsieur Z... LE Y... a été
mis en examen et écroué pour complicité des délits d'escroquerie, d'abus de confiance et de banqueroute reprochés à une homme d'affaires Auxerrois, Monsieur Marc G...;
Considérant que le 10 octobre 1994, après son incarcération, le directeur général des ASSOCIATIONS MUTUELLES LE CONSERVATEUR écrivait à Monsieur LE Y...:
"Nous avons été surpris d'apprendre votre mise en examen dans le cadre de l'affaire G... où vous seriez poursuivi pour complicité d'escroquerie.
"Les responsabilités, la réputation et l'intérêt commercial de nos sociétés ne sont pas compatibles avec la suspicion et il est donc de notre devoir de vous signifier nos réserves sur toutes conséquences éventuelles.
"Nous devons prendre les mesures conservatoires qui s'imposent, mais en tenant compte de la présomption d'innocence dont vous bénéficiez. "Cela nous met dans l'obligation de suspendre temporairement votre mandat à compter du 20 octobre 1994, dans l'attente d'une décision de justice définitive et de prendre, entre temps, toutes nos dispositions pour préserver l'intérêt de nos sociétés.
"Votre compte sera bien entendu crédité de toutes les commissions différentielles et autres générées pour les affaires réalisées avant le 20 octobre 1994.
"Avec nos regrets, ....";
Considérant que le 13 avril 2000 Monsieur LE Y... a été relaxé du chef de complicité de banqueroute mais déclaré coupable du délit d'escroquerie par le Tribunal correctionnel d'Auxerre;
Considérant que le 9 mai 2001 l'intimé a été relaxé par la 9ème chambre de la Cour d'appel de Paris, laquelle, après avoir relevé que le mandataire des appelantes avait présenté "deux de ses connaissances", Messieurs I... et DESLANDES, "désireux de procéder à des placements fructueux", à Monsieur Marcel G... qui les leur offrait, a motivé ainsi sa décision : "Il n'est pas établi dans la procédure que Monsieur LE Y... avait connaissance de la véritable situation financière de Monsieur G... et de son intention de commettre des escroqueries ou abus de confiance; qu'il a pu être valablement trompé en raison de la notoriété de ce dernier, de sa grande prodigalité et du fait qu'il dirigeait l'un des établissements les plus luxueux d'Auxerre";
Considérant que, analysant la mesure de suspension prise à son égard comme une rupture unilatérale du contrat imputable à ses mandantes, Monsieur LE Y... sollicitait de leur part, dès le 28 novembre 1994, des dommages-intérêts représentant deux années de commissions sur la base des revenus déclarés en 1993; que les appelantes se sont toujours opposées à cette prétention;
Considérant que, ceci étant, il résulte des éléments du dossier : - que la presse auxerroise s'est faite l'écho des mises en examen et en détention de Monsieur Z... LE Y... dans le cadre de "l'affaire Marc MORO" pour complicité d'escroquerie; - que LES ASSOCIATIONS
MUTUELLES LE CONSERVATEUR offrent à leur clientèle des placements et que Monsieur Z... LE Y... les représentait auprès d'elles à Auxerre et dans le département de l'Yonne;
Que, compte tenu en particulier des importantes responsabilités de l'intimé dans le domaine des placements d'argent, de son rôle, mentionné dans un article de presse, d'intermédiaire entre le principal suspect des délits d'escroquerie et diverses personnes et de l'ampleur que n'a pas manqué de prendre à Auxerre "l'affaire Marc G...", ces circonstances étaient de nature à entraver la bonne marche des ASSOCIATIONS MUTUELLES LE CONSERVATEUR et à justifier à tout le moins, au mois d'octobre 1994, en raison de la présomption d'innocence lui bénéficiant, la suspension du mandat de Monsieur Z... LE Y...; que de la sorte il y a lieu de le débouter, ainsi que les membres de sa famille, de toute demande de dommages-intérêts; Considérant par ailleurs que, aux termes du premier alinéa de l'article 3 du statut des agents généraux d'assurances sur la vie, "En sa qualité de mandataire, l'agent général s'oblige à réserver l'exclusivité de sa production à la société qu'il représente";
Considérant en l'espèce que LES ASSOCIATIONS MUTUELLES LE CONSERVATEUR offrent à leur clientèle, par l'intermédiaire de leurs représentants, de placer leur épargne dans des bons de capitalisation "CAPI 10"; que, courant 1992 - 1993, Monsieur Z... LE Y... s'est, comme cela ressort notamment de l'arrêt précité du 6 mai 2001, entremis pour trouver parmi ses "connaissances" des prêteurs de deniers à Monsieur Marc G... qui, en contrepartie de leurs versements, devait avantageusement les rémunérer; que de la sorte
l'intimé a méconnu les engagements par lui pris envers ses mandantes qui sont en droit de lui en demander réparation; que toutefois, en raison du caractère aléatoire de la souscription des bons de capitalisation par les prêteurs de deniers, Messieurs I... et DESLANDES, les appelantes ne peuvent prétendre qu'à une perte de chance que les éléments de la cause permettent d'évaluer à 1.520 euros;
Considérant qu'il est équitable d'allouer aux appelantes une indemnité de 1.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Considérant que, parties perdantes, ni Monsieur Z... LE Y... ni sa fille ne peuvent prétendre obtenir le remboursement de leurs frais irrépétibles;
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement déféré et, statuant à nouveau, déboute Monsieur LE Y... et les parties intervenantes de leurs demandes de dommages-intérêts,
Condamne Monsieur Z... LE Y... à payer aux ASSOCIATIONS MUTUELLES LE CONSERVATEUR 1.520 euros en réparation de son préjudice et 1.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Condamne Monsieur Z... LE Y... aux dépens; admet la SCP VARIN PETIT, Avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile. Le Greffier Le Président.