AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-huit septembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller NOCQUET, les observations de Me LE PRADO, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Jacques,
contre l'arrêt de cour d'appel d'ORLEANS, chambre correctionnelle, en date du 2 Mars 2004, qui, pour homicide involontaire, l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, 7 500 euros d'amende ,a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 221-6, 221-8 et 221-10 du code pénal, L. 231-3-1, L. 263-2-1, L. 263-2 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Jacques X... coupable d'homicide involontaire ;
"aux motifs adoptés que le 30 mai 1997, Jean-Claude Y... était occupé en compagnie de deux autres ouvriers - Jean-Marie Z... et Alain A... - à monter une antenne sur pylône métallique au faîte du Château d'eau de Morée ; que Jean-Claude Y..., Jean-Marie Z... et Alain A... étaient tous trois salariés de la société SPM sise à Vierzon, Jean-Jacques X... étant le gérant majoritaire de ladite société créée le 1er juillet 1996 ; que ce chantier s'inscrivait dans un ensemble ; que la société Bouygues Telecom sise à Villacourbay développait son réseau de radiocommunication cellulaire numérique sur le territoire ;
qu'elle avait dans ce contexte notamment conclu le 7 février 1997 une convention avec le Syndicat Intercommunal d'Alimentation en eau potable de Morée, Saint Jean Froidmentel et la Compagnie Générale des Eaux afin de pouvoir installer un relais de radiotéléphone sur le réservoir de Morée ; que, pour les travaux à accomplir la société Bouygues Telecom a eu recours dans un contrat du 11 février 1997 à la société Forclum Val de Loire sise à Joué-les-Tours ; que la société Forclum Val de Loire a elle-même sous-traité les travaux à la société Structure Concept sise à Vierzon - confère commande du 30 avril 1997 - qui les a à son tour sous-traités à la société Structure Poly Montage (SPM) - confère commande du 16 mai 1997 - ; que Jean-Jacques X... était également gérant, minoritaire cette fois, de la société Structure Concept qui avait été créée le 15 mai 1996 ; que Structure Concept, comme son nom l'indique, se chargeait de la conception de l'ouvrage qui était réalisé sur plan par la société Gobelet, ouvrage dont la pose incombait ensuite à SPM ; que Jean-Claude Y..., Jean-Marie Z... et Alain A... étaient soutenus dans leur travail, le 30 mai 1997, par M. B..., chauffeur-grutier à la société Setra ; que l'antenne sur son pylône avait été assemblée préalablement au sol, comme, avaient été de même aménagés sur le château d'eau les différents points dans lesquels la structure devait être ancrée ; que, le 30 mai 1997, il a été pris la décision de hisser l'antenne sur son pylône en haut du château d'eau par l'intermédiaire de la grue ; que l'installation a été arrimée provisoirement ; que c'est alors que Jean-Claude Y... était monté sur le pylône afin de détacher le crochet de la grue que ledit pylône s'est incliné ; que Jean-Claude Y... a été précipité dans le vide, d'une hauteur d'un peu plus de 54 mètres (château d'eau + pylône et antenne) que le pylône et l'antenne faisaient à eux seuls 10 mètres et pesaient un poids d'environ 500 kilogrammes ; que Jean-Claude Y... pour sa part mesurait 1 mètre 88 pour un poids de 90 kilogrammes ; que les relevés météorologiques quant au vent soufflant ce jour là font état d'une vitesse variant entre 18 mètres et 36 mètres par seconde vers 13 heures 30, heure présumée de l'accident ; que 15 mètres par seconde correspondent à un vent de 54 kilomètres/heure ; que si Jean-Claude Y... était bien porteur d'un harnais de sécurité, il n'avait pas assuré ce dernier lors de sa montée au pylône ; que Jean-Jacques X... ne peut venir à l'audience rechercher la responsabilité de la Setra (grue) ; qu'il aurait eu tout le loisir d'en discuter au cours de la procédure d'instruction, ce qu'il n'a pas fait, ladite procédure n'ayant d'ailleurs pas relevé de manquement particulier du conducteur de l'engin ; que ce ne sont dès lors qu'affirmations de la part de Jean-Jacques X... qui ne peuvent et ne doivent pas être retenues ;
que l'article L. 231-3-1 du Code du travail impose à tout chef d'établissement d'organiser une formation pratique et appropriée en matière de sécurité au bénéfice des travailleurs qu'il embauche ; que cette formation doit être répétée périodiquement, que les salariés, sous contrat de travail à durée déterminée affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d'une formation renforcée ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont occupés ; qu'en l'état Jean-Jacques X... parle d'une expérience personnelle de vingt ans "dans le pylône" ; que toutefois la formation à la sécurité des employés de SPM relevait de M. C..., chef de chantier de la société ; que des propos aussi bien des uns que des autres (responsables et employés) il est clair que la formation dispensée se limitait à un entretien verbal dont le contenu n'est pas clairement précisé, puis à une expérience sur le terrain au fil des chantiers ;
que rien n'avait été particulièrement élaboré de paramètres comme de techniques à observer, "qu'on apprécie en fonction de la configuration du terrain et de la hauteur du pylône" ; que Jean-Jacques X... ne peut pas non plus se retrancher derrière l'expérience de Jean-Claude Y... antérieurement et pendant son temps à SPM ; que Jean-Claude Y... avait travaillé en intérim dans des secteurs ignorés de 1989 à 1995 et en 1997 ; qu'en 1996 il avait été embauché par Centre Enseigne Services où il était poseur d'enseignes et technicien en maintenance, que les conditions étaient alors d'un travail entre 3 à 8 mètres du sol à partir d'une échelle ou d'un camion-nacelle ; qu'au titre de SPM, Jean-Claude Y... a signé un contrat à durée déterminée avec cette société en qualité de monteur-levageur du 16 janvier au 16 juillet 1997, qu'il avait déjà travaillé trois mois dans ladite entreprise au cours de l'année 1996 ; que cela ne lui faisait donc que huit mois d'expérience au total au sein de Poly Montage ; que Jean-Jacques X... ne peut dire non plus que Jean-Claude Y... avait toutes les qualités requises d'un chef d'équipe, et que dans la perspective d'être nommé à ce poste il oeuvrait ce jour-là à Morée ayant bénéficié des conseils de M. C... et ayant également opéré seul tout cela sur des chantiers similaires ; que justement Jean-Claude Y... n'était pas chef d'équipe et M. C... indique lui-même "qu'ayant pris du retard dans la pose des antennes au cours du mois de mai, il n'avait pas eu le temps matériel pour aller sur le chantier de Morée" ; que quasi-superfétatoirement l'examen des inspections communes et/ou plans de prévention qui ont pu exister entre les différentes entreprises en présence - cf décret du 20 février 1992 et arrêté du 19 mars 1993 - démontre encore l'indigence des consignes discutées et retenues pour les travaux en question, ainsi que le plan souscrit entre Structure Concept et Poly Montage du 21 mai 1997 ;
que l'article R. 237-7 du Code du travail prévoit pourtant que les mesures prévues par le plan de prévention comportent au moins des dispositions dans les domaines suivants : "- la définition des phases d'activité dangereuses et des moyens de prévention spécifiques correspondants ;
"- l'adaptation des matériels, installations et dispositifs à la nature des opérations à effectuer ;
"- les instructions à donner aux salariés .... ;
"que l'article R. 237-7 du Code du travail ajoute que chaque chef d'entreprise est responsable de l'adaptation des mesures de prévention nécessaires à la protection de son personnel ; qu'enfin Jean-Jacques X... ne peut pas plus invoquer la faute de Jean-Claude Y... ; qu'en effet il est de jurisprudence constante que la faute de la victime n'est exonératoire que si elle est la cause exclusive de l'accident ; que tel n'a pas été le cas en l'espèce comme cela a été démontré ; qu'en conséquence Jean-Jacques X..., gérant de la SARL SPM qui employait Jean-Claude Y... et se recommandant d'une expérience de vingt ans dans le domaine est bien responsable du décès de son salarié ; que même sous le régime de l'article 121-3 du Code pénal applicable aux instances en cours, Jean-Jacques X... a commis des fautes caractérisées telles que définies par l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, Jean-Claude Y... n'ayant aucune qualité pour assurer les fonctions de chef d'équipe qui lui avaient pourtant été confiées et n'ayant pas plus reçu de consignes de sécurité précises et adéquates au chantier qu'il était ainsi en charge d'animer ; que ce faisant Jean-Jacques X... a exposé Jean-Claude Y... à des risques d'une particulière gravité que Jean-Jacques X... ne pouvait ignorer ;
"alors, d'une part, que nul n'est responsable que de son propre fait ; qu'à ce titre, la responsabilité du chef d'entreprise ne peut être engagée qu'en présence d'une faute personnelle, laquelle doit s'apprécier au regard de la prescription de sécurité qui n'a pas été appliquée, afin de vérifier dans quelle mesure ce manquement relève directement d'un comportement personnel du dirigeant ;
qu'en ce sens, Jean-Jacques X... se prévalait (conclusions p. 4 et 5) de ce que l'évaluation des risques ainsi que la prévention de ceux-ci sur les chantiers commandités par la société Bouygues Telecom ressortait de la seule responsabilité contractuelle de la société ELAN, coordonnateur de sécurité ; que dès lors, en mettant à la charge de Jean-Jacques X... le fait de n'avoir pas délivré à ses employés de consignes de sécurité précises quant à la mise en place du pylonet, sans avoir recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si au regard du contrat conclu entre la société Bouygues Telecom et la société ELAN, une telle obligation ne relevait pas de la seule responsabilité de cette dernière entreprise, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, d'autre part, qu'il n'y a de délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, qu'autant qu'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu des moyens dont il disposait alors ; qu'à ce titre, Jean-Jacques X... faisait valoir (p. 5, 6 et 7), qu'en tout état de cause l'intervention de la société ELAN n'aurait pu apporter d'éléments supplémentaires, dès lors qu'il n'existait aucune procédure spécifique quant au mode d'intervention sur ce type de chantiers en hauteur, ni à fortiori d'organisme de formation agréé, de sorte qu'en l'absence de consignes précises sur la question, il ne pouvait lui être imputée une quelconque carence dans la formation pratique qu'il avait fait dispenser à ses salariés, ayant par-là accompli les diligences normales lui incombant au regard des moyens de prévention dont il disposait alors ; qu'ainsi, en reprochant à Jean-Jacques X... (jugement p. 5 in fine et p. 6) de n'avoir pas élaboré de paramètres et de techniques particulières en vue de l'intervention sur le site de Morée, sans préciser en quoi devaient consister ces moyens de prévention spécifiques, la cour d'appel qui a procédé là par voie de pure affirmation, n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, de troisième part, qu'aucune faute personnelle susceptible d'engager sa responsabilité pénale ne peut être retenue à l'encontre du chef d'entreprise qui a pris toutes les mesures propres à assurer la sécurité de ses salariés ; que la cour d'appel a retenu Jean-Jacques X... dans les liens de la prévention au prétexte que ce dernier n'aurait pas dispensé les consignes de sécurité qui auraient permis d'éviter l'accident ; qu'elle a cependant elle-même constaté que Jean-Claude Y... était équipé de son harnais de sécurité mais n'avait pas assuré ce dernier lors de sa montée, constatation dont il ressortait que, d'une part, le matériel nécessaire pour assurer la sécurité des salariés de la société SPM, et notamment éviter les risques de chute lors des manoeuvres effectuées en hauteur, avait bien été mis à la disposition de Jean-Claude Y..., et que, d'autre part, ce dernier, équipé de son harnais, était nécessairement conscient des consignes qui lui avaient été dispensées en vue de son intervention, le port d'un tel équipement n'ayant d'utilité qu'une fois fixé à une longe de vie ; que c'est donc de manière délibérée que la victime n'avait pas assuré son harnais à la ligne de sécurité, négligence à l'origine de la chute mortelle ; la cour d'appel n'a pas tiré conséquences légales qui découlaient d'un tel constat ;
"alors, enfin, que Jean-Jacques X... faisait valoir à l'appui de ses écritures d'appel (p. 9) que Jean-Claude Y... jouissait antérieurement à son embauche d'une expérience dans la pose d'antennes de 1977 à 1995, soit 18 années, ce type de travail impliquant nécessairement des interventions en hauteur et par conséquent une certaine connaissance des mesures de protection à suivre ; qu'en adoptant sur ce point le jugement entrepris (p. 6), dont il ressortait que Jean-Jacques X... ne pouvait se prévaloir de l'expérience de Jean-Claude Y... antérieurement à son embauche au sein de la société Structure Poly Montage au motif que ce dernier "(...) avait travaillé en intérim dans des secteurs ignorés de 1989 à 1995 et en 1997", la cour d'appel a laissé sans réponse le moyen essentiel développé par Jean-Jacques X... qui tendait à démontrer que la victime était pourvue de la compétence nécessaire à la mission qui lui avait été confiée sur le chantier de Morée, privant par-là sa décision de base légale" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'alors qu'il s'était hissé au sommet d'une antenne qu'il venait de désolidariser de la grue avec laquelle elle avait été déposée sur la terrasse d'un château d'eau située à 56 mètres de hauteur, Jean-Claude Y..., salarié de la société "Structures Poly Montage"(SPM), a fait une chute mortelle, ayant été projeté au sol par l'antenne qui s'était pliée sous l'effet d'une rafale de vent ; qu'à la suite de cet accident, Jean-Jacques X..., gérant de la société SPM chargée de l'installation de l'antenne, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire ;
Attendu que, pour le déclarer coupable de ce chef, les juges retiennent notamment, par motifs adoptés, que Jean-Jacques X... n'a donné à la victime, qui n'avait pas l'expérience d'interventions à une telle hauteur, ni la formation nécessaire sur la méthodologie à mettre en oeuvre, ni les consignes destinées à garantir sa sécurité lors des phases dangereuses de montage ;
Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction, d'où il résulte que le prévenu n'a pas pris, avant la survenance de l'accident, les mesures qui eussent permis de l'éviter et qu'il a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, la cour d'appel a justifié sa décision au regard des articles 121-3 et 221-6 du code pénal ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Nocquet conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;