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22/09/2004 | FRANCE | N°03-81282

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 22 septembre 2004, 03-81282


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux septembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller DULIN, les observations de Me FOUSSARD et de la société civile professionnelle DELAPORTE, BRIARD, TRICHET, avocats en la Cour ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Jean,

- Y... Alain,

contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle,

en date du 13 janvier 2003, qui a condamné le premier, pour abus de biens sociaux à 18 mois d'em...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux septembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller DULIN, les observations de Me FOUSSARD et de la société civile professionnelle DELAPORTE, BRIARD, TRICHET, avocats en la Cour ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Jean,

- Y... Alain,

contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 13 janvier 2003, qui a condamné le premier, pour abus de biens sociaux à 18 mois d'emprisonnement avec sursis, 30 000 euros d'amende, et le second, pour recel d'abus de biens sociaux, à 30 mois d'emprisonnement dont 20 mois avec sursis et 300 000 euros d'amende ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, proposé pour Jean X..., et pris de la violation des articles L. 242-6-4 du Code de commerce, 437 de la loi du 24 juillet 1966, 2, 3, 6 à 8, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean X... coupable d'abus de biens sociaux ;

"aux motifs que "les fonds remis par Jean X..., agissant pour le compte de la société Ateliers de Paimboeuf, aux sociétés PFX, Y... Conseils et Sogar ont servi à rémunérer un intermédiaire, en la personne d'Alain Y..., et un directeur ou salarié, en la personne de Claude Z..., en vue d'obtenir de celui-ci des actes ayant facilité l'attribution de marchés à la société Ateliers de Paimboeuf, de préférence à d'autres entreprises, et ce à l'insu de la société ELF puisque les fonds suivaient un circuit totalement extérieur à l'entreprise ; de tels actes relèvent des dispositions de l'article L. 152-6 du Code du travail qui répriment le fait, par tout directeur ou salarié, de solliciter ou d'agréer, directement ou indirectement, à l'insu et sans l'autorisation de son employeur, des offres ou des promesses, des dons, présents, escomptes ou primes pour accomplir ou s'abstenir d'accomplir un acte de sa fonction ou facilité par sa fonction ; or, l'utilisation de fonds sociaux dans le but de commettre un délit, tel que la corruption, est contraire à l'intérêt social en ce qu'elle expose les dirigeants de la société au risque anormal de sanctions pénales, ce qui porte atteinte au crédit et à la réputation de la personne morale ;

en outre, sur les trois marchés conclus avec ELF, seul celui concernant le piperack a été bénéficiaire, les deux autres ayant été déficitaires et le montant total des pertes s'étant élevé à plus de trois millions de francs, ce qu'a reconnu Jean X..., en particulier au cours de son audition du 7 novembre 1996 ; ainsi se trouve caractérisée la contrariété à l'intérêt de la société de l'usage fait par le prévenu des biens de celle-ci pour obtenir les marchés concernés ; pour que la présentation des comptes annuels puisse être retenue comme point de départ de la prescription du délit d'abus des biens ou du crédit de la société, il faut que l'illicéité de l'utilisation des fonds sociaux ait pu apparaître lors de cette présentation de façon suffisamment significatif pour permettre l'exercice de l'action publique; dans le cas présent, les sommes versées aux sociétés PFX, Y... Conseils et Sogar figuraient sous des rubriques comptables d'apparence régulière et ce n'est qu'après la mise en redressement judiciaire de la société Ateliers de Paimboeuf, au mois de septembre 1994, avec l'audit confié au cabinet LMA puis avec la transmission au parquet de Caen, le 1er février 1995, du rapport du SRPJ de Rouen que sont apparus le caractère démesuré du poste des honoraires dans les comptes de l'exercice 1993 et l'importance des sommes versées à la société PFX Techniques LTD en même temps que l'absence de tout contenu technique des factures correspondantes, la suite de l'enquête ayant permis, notamment par l'exploitation des liasses fiscales, de répertorier les fonds dont les mouvements étaient comptabilisés sous les mêmes rubriques avec les mêmes indications de destinataires et d'en vérifier la véritable utilisation à la fois pour l'exercice 1993 et pour les exercices antérieurs à compter de l'année 1989 ; il convient par conséquent de considérer que, pour l'ensemble des sommes ayant été versées dans ces conditions par la société Ateliers de Paimboeuf, la prescription de l'action publique n'a couru qu'à partir du mois de septembre 1994 ; le premier acte interruptif de prescription étant la réquisition d'enquête du 26 mai 1995, le jugement dont appel doit être réformé en ce qu'il a déclaré l'action publique prescrite pour ce qui concerne les commissions versées antérieurement à l'année 1992, soit pour un montant total de 1 532 157 francs ; pour que soit constitué le délit qui fait l'objet de la prévention, il faut encore que l'usage des biens ou du crédit de la société, contraire à l'intérêt de celle-ci, ait été fait à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle le dirigeant poursuivi est intéressé directement ou indirectement ; Jean X... a constamment invoqué, comme justification de son recours aux procédés qui lui sont reprochés, la difficulté d'obtenir des marchés en période de basse conjoncture alors que la médiocrité de la situation de la société rendait particulièrement nécessaire un regain d'activité bénéficiaire ;

les difficultés auxquelles il a fait allusion ne sont pas contestées et, dès les premiers mois de l'enquête, l'administrateur judiciaire, Me A..., exposait que les difficultés de la société Ateliers de Paimboeuf résultaient d'une récession de près de 50 % du marché de la construction métallique en trois ou quatre ans, ce qui avait amené les entreprises du secteur à traiter des affaires déficitaires car "basées sur des prix de plus en plus tirés" ; or, à aucun moment, il n'est fait état d'un changement dans la situation personnelle des dirigeants et, en particulier, dans celle de Jean X... qui, pourtant, ne pouvait qu'être menacée par une telle fragilité de l'entreprise qu'il dirigeait alors que la poursuite de son activité était pour lui d'une importance capitale, ce qui l'a amené à employer, pour obtenir les marchés, les procédés illicites ci-dessus décrits et à privilégier ainsi le maintien de sa situation personnelle au détriment de l'intérêt de l'entreprise ; le délit d'abus de biens sociaux se trouve donc ainsi caractérisé à l'encontre de Jean X... dans les termes retenus par la prévention" (arrêt, pages 11 à 13) ;

"1 ) alors qu'en matière d'abus de biens sociaux, la prescription commence à courir, sauf dissimulation, à compter de la date de présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société ;

que la dissimulation, dont il appartient à la partie poursuivante de rapporter la preuve, ne peut résulter que de fausses imputations comptables ou d'irrégularités formelles affectant la préparation des actes litigieux ; qu'en l'espèce, pour écarter l'exception de prescription concernant les commissions constatées dans les comptes annuels des exercices 1989 à 1991, la cour d'appel s'est bornée à constater que les sommes litigieuses figuraient sous des rubriques comptables d'apparence régulière, que ce n'est qu'après la mise en redressement judiciaire de la société Ateliers de Paimboeuf, au mois de septembre 1994, avec l'audit confié au cabinet LMA puis avec la transmission au parquet de Caen, le 1er février 1995, du rapport du SRPJ de Rouen que sont apparus le caractère démesuré du poste des honoraires dans les comptes de l'exercice 1993 et l'importance des sommes versées à la société PFX Techniques LTD en même temps que l'absence de tout contenu technique des factures correspondantes, la suite de l'enquête ayant permis, notamment par l'exploitation des liasses fiscales, de répertorier les fonds dont les mouvements étaient comptabilisés sous les mêmes rubriques avec les mêmes indications de destinataires et d'en vérifier la véritable utilisation à la fois pour l'exercice 1993 et pour les exercices antérieurs à compter de l'année 1989 ; qu'en l'état de ces seules énonciations qui ne caractérisent pas une dissimulation de nature à justifier le report du point de départ de la prescription de l'action publique à une date postérieure à celle de la présentation des comptes annuels, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale ;

"2 ) alors qu'un acte illicite n'est pas nécessairement contraire à l'intérêt social ; que, dès lors, en se déterminant par la seule circonstance que l'utilisation de fonds sociaux dans le but de commettre un délit, tel que la corruption, est contraire à l'intérêt social, en ce qu'elle expose les dirigeants de la société au risque anormal de sanctions pénales, ce qui porte atteinte au crédit et à la réputation de la personne morale, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée par les conclusions d'appel du demandeur, si les sommes litigieuses n'avaient pas permis à l'entreprise d'obtenir des marchés qui ne lui auraient pas été confiés sans l'intervention d'Alain Y..., de sorte que la finalité des commissions versées à ce dernier n'était pas tant la commission du délit de corruption que l'obtention de marchés dont l'exécution était nécessaire à la survie de l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale ;

"3 ) alors que les juridictions correctionnelles ne peuvent ajouter aux faits de la prévention, lesquels doivent rester tels qu'ils ont été retenus dans l'acte de saisine, à moins que le prévenu ait accepté d'être jugé sur des faits nouveaux ; qu'en l'espèce, il résulte des mentions de l'ordonnance de renvoi du 20 décembre 2000, qui seule fixe l'étendue de la saisine de la juridiction de jugement, que le demandeur est poursuivi du chef d'abus de biens sociaux pour avoir fait des biens et du crédit de la société Paimboeuf un usage contraire à l'intérêt de celle-ci, et à des fins personnelles, en ce que le prévenu a versé des commissions à Alain Y... à des fins de corruption pour obtenir des marchés ; qu'il en résulte qu'il n'est pas reproché à Jean X... d'avoir versé les sommes litigieuses dans le but de préserver sa situation personnelle au sein de l'entreprise, ni, notamment, d'avoir agi dans le but de conserver le bénéfice de sa rémunération ; que dès lors, en se déterminant par la circonstance que les difficultés financières de l'entreprise ont conduit Jean X... à rechercher, à la faveur de procédés illicites, la poursuite de l'activité de la société afin de préserver sa situation personnelle de dirigeant, pour en déduire que le prévenu a agi dans un but personnel, la cour d'appel, qui retient à la charge du demandeur des faits non visés à la prévention, et sur lesquels il n'apparaît pas que l'intéressé ait accepté d'être jugé, a violé l'article 388 du Code de procédure pénale ;

"4 ) alors que le dirigeant d'une société qui accomplit des démarches ayant pour but la poursuite de l'activité de l'entreprise n'agit pas à des fins personnelles au sens de l'article L. 242-6-4 du Code de commerce ; que, dès lors, en estimant au contraire que la poursuite de l'activité de l'entreprise, grâce aux procédés frauduleux reprochés au prévenu, s'inscrit dans une démarche tendant au maintien, par Jean X..., de sa situation personnelle au détriment de l'intérêt de l'entreprise, la cour d'appel a violé le texte susvisé" ;

Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Alain Y..., et pris de la violation des articles 321-1, 321-3, 321-4, 321-9, et 321-10 du Code pénal, des articles 460 et 461 de l'ancien Code pénal, de l'article L. 242-6-3 du Code de commerce, ensemble les articles 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Alain Y... coupable des faits qui lui étaient reprochés et, en répression, l'a condamné à la peine de trente mois d'emprisonnement dont vingt mois avec sursis, outre une amende de 300 000 euros ;

"aux motifs que "pour que la présentation des comptes annuels puisse être tenue comme point de départ de la prescription du délit d'abus de biens sociaux ou du crédit de la société, il faut que l'illicéité de l'utilisation des fonds sociaux ait pu apparaître, lors de cette présentation, de façon suffisamment significative pour permettre l'exercice de l'action publique ; que dans le cas présent, les sommes versées aux sociétés PFX, Y... Conseils et Sogar figuraient sous des rubriques comptables d'apparence régulière, et ce n'est qu'après la mise en redressement judiciaire de la société Ateliers de Paimboeuf, au mois de septembre 1994, avec l'audit confié au cabinet LMA puis avec la transmission au parquet de Caen, le 1er février 1995, du rapport du SRPJ de Rouen, que sont apparus le caractère démesuré du poste des honoraires dans les comptes de l'exercice 1993 et l'importance des sommes versées à la société PFX Technique LTD en même temps que l'absence de tout contenu technique des factures correspondantes, la suite de l'enquête ayant permis, notamment par l'exploitation des liasses fiscales, de répertorier les fonds dont les mouvements étaient comptabilisés sous les mêmes rubriques avec les mêmes indications de destinataires et d'en vérifier la véritable utilisation, à la fois pour l'exercice 1993 et pour les exercices antérieurs à compter de l'année 1989 ; qu'il convient par conséquent de considérer que, pour l'ensemble des sommes ayant été versées dans ces conditions par la société Ateliers de Paimboeuf, la prescription de l'action publique n'a couru qu'à partir du mois de septembre 1994 ; que le premier acte interruptif de prescription étant la réquisition d'enquête du 26 mai 1995, le jugement dont appel doit être réformé en ce qu'il a déclaré l'action publique prescrite pour ce qui concerne les commissions versées antérieurement à l'année 1992, soit pour un montant total de 1 532 157 francs" (arrêt attaqué, p. 11, dernier paragraphe, et p. 12, 1, 2 et 3) ;

"alors que, premièrement, le recel suppose une infraction d'origine, caractérisée et punissable ; que la prescription de l'action publique du chef d'abus de biens sociaux court, sauf dissimulations, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société ; qu'au cas d'espèce, en reportant le point de départ du délai de prescription à la date de l'audit ou encore à la date de la transmission au parquet de Caen, le 1er février 1995, du rapport du SRPJ de Rouen, alors qu'ils constataient que les sommes versées figuraient sous des rubriques comptables, de sorte que dès la publication des comptes, l'importance des sommes versées à la société PFX Technique LTD était apparente, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations et ont violé les textes susvisés ;

"et alors que, deuxièmement et en tout cas, en statuant comme ils l'ont fait sans constater l'existence de dissimulations ou sans constater les circonstances qui auraient empêché le commissaire aux comptes de découvrir l'existence du mécanisme mis en place, les juges du fond ont, en toute hypothèse, privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés" ;

Sur le second moyen de cassation, proposé pour Alain Y..., et pris de la violation des articles 121-3, 321-1, 321-3, 321-4, 321-9, et 321-10 du Code pénal, des articles 460 et 461 de l'ancien Code pénal, de l'article L. 242-6-3 du Code de commerce, ensemble les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Alain Y... coupable des faits qui lui étaient reprochés et, en répression, l'a condamné à la peine de trente mois d'emprisonnement dont vingt mois avec sursis, outre une amende de 300 000 euros ;

"aux motifs qu' "il se déduit de cet ensemble d'éléments que les fonds remis par Jean X..., agissant pour le compte de la société Ateliers de Paimboeuf, aux sociétés PFX, Y... Conseils et Sogar, ont servi à rémunéré un intermédiaire en la personne d'Alain Y..., et un directeur ou salarié, en la personne de Claude Z..., en vue d'obtenir de celui-ci des actes ayant facilité l'attribution de marchés à la société Ateliers de Paimboeuf de préférence à d'autres entreprises, et ce à l'insu de la société ELF puisque les fonds suivent un circuit totalement extérieur à l'entreprise (...) ; que l'utilisation de fonds sociaux dans le but de commettre un délit tel que la corruption est contraire à l'intérêt social en ce qu'elle expose les dirigeants de la société au risque anormal de sanctions pénales, ce qui porte atteinte au crédit et à la réputation de la personne morale ; qu'en outre, sur les trois marchés conclus avec ELF, sauf celui concernant le piperak qui a été bénéficiaire, les deux autres ayant été déficitaires et le montant total des pertes s'étant élevé à plus de 3 millions de francs, ce qu'a reconnu Jean X..., en particulier au cours de son audition du 7 novembre 1996 ; qu'ainsi se trouve caractérisée la contrariété à l'intérêt de la société de l'usage fait par le prévenu des biens de celle-ci pour obtenir les marchés concernés" (arrêt attaqué, p. 11, 3, 5 et 6) ;

"et aux motifs que "pour que soit constitué le délit qui fait l'objet de la prévention, il faut encore que l'usage des biens ou du crédit de la société, contraire à l'intérêt de celle-ci, ait été fait à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle le dirigeant poursuivi est intéressé directement ou indirectement; que Jean X... a constamment invoqué, comme justification de son recours aux procédés qui lui sont reprochés, la difficulté d'obtenir des marchés en période de basse conjoncture, alors que la médiocrité de la situation de la société rendait particulièrement nécessaire un regain d'activité bénéficiaire ; que les difficultés auxquelles il a fait allusion ne sont pas contestées et, dès les premiers mois de l'enquête, l'administrateur judiciaire, Me A..., exposait que les difficultés de la société Ateliers de Paimboeuf résultaient d'une récession de près de 50 % du marché de la construction métallique en trois ou quatre ans, ce qui avait amené les entreprises du secteur à traiter des affaires déficitaires car "basées sur des prix de plus en plus tirés" ; que, cependant, à aucun moment il n'est fait état d'un changement dans la situation personnelle des dirigeants et, en particulier, dans celle de Jean X... qui, pourtant, ne pouvait qu'être menacée par une telle fragilité de l'entreprise qu'il dirigeait, alors que la poursuite de son activité était pour lui d'une importance capitale, ce qui l'a amené à employer, pour obtenir les marchés, les procédés illicites ci-dessus décrits, et à privilégier ainsi le maintien de sa situation personnelle au détriment de l'intérêt de l'entreprise ;

que le délit d'abus de biens sociaux se trouve donc ainsi caractérisé à l'encontre de Jean X... dans les termes retenus par la prévention" (arrêt attaqué, p. 12, 4, avant-dernier et dernier , et p. 13, 1er) ;

"alors que, premièrement, le recel supposant une infraction d'origine, caractérisée et punissable, il ne peut y avoir recel d'abus de biens sociaux qu'autant que les juges du fond aient caractérisé que le dirigeant a fait du crédit ou des biens de la société un usage contraire à l'intérêt de celle-ci ; qu'à cet égard, n'est pas forcément contraire aux intérêts de la société un acte, fût-il constitutif d'une infraction pénale, non poursuivie, si l'acte a pu profiter à la société ; qu'au cas d'espèce, en énonçant que l'utilisation de fonds sociaux dans le but de commettre un délit, tel que la corruption, est contraire à l'intérêt social en ce qu'elle expose les dirigeants de la société au risque anormal de sanctions pénales, ce qui porte atteinte au crédit et à la réputation de la personne morale, sans rechercher si le versement de commissions n'était pas destiné à faire emporter, par la société Ateliers de Paimboeuf, des marchés sans lesquelles elle n'aurait pu les obtenir et si, par suite, le versement des commissions n'avait pas été fait dans l'intérêt même de la société, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"alors que, deuxièmement, l'existence des éléments constitutifs de l'infraction doit s'apprécier au jour où l'infraction a été commise ; qu'en énonçant que deux des trois marchés avaient été déficitaires, les juges du fond, qui se sont fondés sur des éléments postérieurs à la commission du délit, ont violé les textes susvisés ;

"et alors que, troisièmement, le délit d'abus de biens sociaux suppose que l'usage des biens ou du crédit de la société ait été fait à des fins personnelles directes ou indirectes ; que ne suffisent pas à caractériser en quoi le versement de commissions aurait été fait dans l'intérêt personnel de Jean X... les juges du fond qui énoncent que celui-ci ne pouvait ignorer que la société qu'il dirigeait était menacée alors que la poursuite de son activité revêtait pour lui une importance capitale afin de maintenir sa situation personnelle ; qu'ainsi, l'arrêt attaqué est privé de base légale" ;

Les moyens étant réunis ;

Sur le moyen unique proposé pour Jean X..., pris en sa première branche et sur le premier moyen proposé pour Alain Y... :

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Ateliers de Paimboeuf, dont Jean X... était le directeur général, a versé sur les comptes d'une société PFX Techniques LTD (PFX), dirigée par Alain Y... et ayant son siège à Jersey, d'importantes sommes d'argent afin d'obtenir des marchés ; que, pour écarter l'argumentation de Jean X..., qui soutenait que le premier acte ayant interrompu la prescription étant du 26 mai 1995, les faits commis antérieurement à 1992 étaient prescrits, dès lors que les commissions versées figuraient dans les comptes des exercices des années 1989 à 1992 de la société Ateliers de Paimboeuf, régulièrement approuvés par l'assemblée générale des actionnaires, les juges du second degré énoncent que les sommes ainsi versées figuraient sous des rubriques comptables d'apparence régulière et que ce n'est qu'après les investigations entreprises que sont apparues l'importance des sommes versées à la société PFX et l'absence de tout contenu technique des factures correspondantes ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que les comptes annuels présentés aux associés pour les exercices considérés dissimulaient des opérations fictives qui n'ont pu être découvertes qu'à l'issue d'un audit effectué à la fin de l'année 1994 et d'investigations policières diligentées à la demande du procureur de la République, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Sur le moyen unique proposé pour Jean X... pris en ses autres branches et sur le second moyen proposé pour Alain Y... :

Attendu que, pour écarter l'argumentation des prévenus qui soutenaient que les versements en cause n'étaient pas contraires à l'intérêt social de la société Ateliers de Paimbeuf, dès lors qu'ils avaient eu pour contrepartie l'attribution de nombreux marchés et qu'ils n'avaient pas été faits dans l'intérêt personnel de Jean X..., l'arrêt énonce, d'une part, que l'utilisation des fonds sociaux pour commettre un délit est contraire à l'intérêt social en ce qu'elle expose le dirigeant de la société au risque anormal de sanctions pénales ce qui porte atteinte au crédit et à la réputation de celle-ci , et, d'autre part, que ladite utilisation des fonds sociaux a eu pour seul but de maintenir la situation personnelle de son dirigeant au sein de la société ;

Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, d'où il résulte que Jean X... s'est rendu coupable d'abus de biens sociaux et Alain Y... de recel de ce délit, la cour d'appel, qui a statué dans les limites de sa saisine, a justifié sa décision ;

D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Dulin conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 03-81282
Date de la décision : 22/09/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Caen, chambre correctionnelle, 13 janvier 2003


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 22 sep. 2004, pourvoi n°03-81282


Composition du Tribunal
Président : Président : M. COTTE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:03.81282
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