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14/09/2004 | FRANCE | N°04-80290

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 14 septembre 2004, 04-80290


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze septembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de Me BLONDEL, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Michel,

contre l'arrêt de la cour d'appel de NANCY, chambre correctionnelle, en date du 16 décembre 2003, qui l'a condamné, pour atteinte arbitraire à la liberté indivi

duelle par dépositaire de l'autorité publique, à 3 000 euros d'amende et a prononcé sur...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze septembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de Me BLONDEL, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Michel,

contre l'arrêt de la cour d'appel de NANCY, chambre correctionnelle, en date du 16 décembre 2003, qui l'a condamné, pour atteinte arbitraire à la liberté individuelle par dépositaire de l'autorité publique, à 3 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 432-4, ensemble des articles 432-7 et 432-17 du Code pénal, ensemble violation du principe de légalité des délits et des peines, méconnaissance des exigences des articles 8 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la Cour a retenu le prévenu dans les liens de la prévention et l'a condamné à une peine d'amende de 3 000 euros ;

"aux motifs, sur l'action pénale, que l'article 432-4, alinéa 1, du Code pénal réprime "le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, agissant dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, d'ordonner un acte attentatoire à la liberté individuelle" ; que c'est au regard de ces dispositions que doivent être examinés les actes reprochés à Michel X... ; qu'il n'est nullement nécessaire que l'acte attentatoire consiste en une détention ou rétention, l'existence de telles circonstances ayant pour seul effet d'aggraver la qualification applicable en un crime, ainsi que le prévoit l'alinéa 2 de l'article ; que de même, contrairement à l'article 432-7 qui ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce, il n'est pas exigé par la loi que I'acte attentatoire à la liberté individuelle ait consisté en une discrimination au sens où l'entend l'article 225-1 du Code pénal ; que l'intérêt que la loi entend protéger par l'article 432-4, alinéa 1, du Code pénal est la liberté physique d'aller et venir dont dispose toute personne présente sur le territoire national ; qu'en fait partie le droit de toute personne de fixer sa résidence dans une commune ou d'en partir ;

que l'interdiction qu'il en serait faite, bien que non totale puisque ne portant pas sur la liberté de circuler sur le territoire de la commune, entre dans le champ des privations de liberté prévues par le texte ;

que c'est ce qu'ont très justement apprécié les premiers juges ; que la privation de liberté en cause doit faire I'objet d'une appréciation concrète, l'article 432-4 exigeant qu'elle soit le fait d'une personne dépositaire de l'action publique ou investie d'une mission de service public ayant agi dans le cadre de ses fonctions ou de sa mission ; qu'enfin, le juge doit relever les éléments qui font apparaître que l'intention de l'auteur a été d'entraver la liberté d'aller et venir, quels que soient ses mobiles ;

"aux motifs encore, s'agissant des faits dénoncés par Eric Y... et Aurélie Z..., qu'il ressort des pièces versées aux débats et discutées contradictoirement que l'ensemble des propriétaires du Clos de l'Aubépré, parmi lesquels Eric Y..., avaient reçu verbalement l'autorisation du maire, lors de l'ouverture des travaux de construction de leurs habitations d'alimenter les chantiers en eau par une alimentation provisoire ; que par un courrier non daté, mais parvenu à Eric Y... dans les premiers jours du mois de décembre 1998, le maire :

- lui indiquait avoir constaté que depuis plusieurs mois il avait effectué le raccordement d'eau potable à sa maison sans en avoir sollicité I'autorisation ;

- lui rappelait que la manipulation de la vanne d'ouverture d'eau se trouvant sur le domaine public était du ressort du maire ;

- lui indiquait que la pose du compteur d'eau était obligatoire et que celui-ci était fourni par la commune ;

- lui demandait d'effectuer les démarches pour le branchement d'eau et le compteur, après la conformité de son dispositif d'assainissement ;

qu'il l'informait qu'il avait, le jour où était envoyé ce courrier, fermé la vanne de raccordement alimentant sa propriété ; que par un courrier du 8 décembre 1998, Eric Y... expliquait qu'il s'agissait d'un branchement actuel hors gel, demandant au maire de justifier sa décision en droit et lui réclamait le rétablissement du branchement ; que par un courrier du 11 décembre 1998, le maire opposait un refus à la demande de rétablissement de l'eau et liait tout changement à une demande de branchement avec compteur qu'Eric Y... devait faire enregistrer en mairie ; que le contentieux persistait et évoluait entre les parties durant deux ans jusqu'à ce que ce branchement provisoire soit effectué le 7 décembre 2000 par le président du syndicat intercommunal des communes de Battigny-Gelaucourt, qui avait interrogé sur ce point le sous-préfet de Toul ; qu'il est incontestable que les concubins A... ont pendant cette période, en étant privés de l'élément aussi essentiel à la vie quotidienne qu'à la poursuite des travaux de construction qui était l'eau, été empêchés de s'installer physiquement sur le territoire de la commune de Gelaucourt ; qu'il est constant que l'obstacle à cette liberté a résidé dans les décisions prises par Michel X... en sa qualité de maire de

Gelaucourt, ce que non seulement ce dernier ne conteste pas mais revendique ; que le caractère arbitraire de cet acte résulte du caractère brutal de la décision du maire d'interrompre l'alimentation en eau et de son refus ultime par la suite de la rétablir alors que :

- aucune disposition législative ou réglementaire ne donne pouvoir au maire d'autoriser un raccordement à l'eau, l'article 111-6 du Code de l'urbanisme obligeant seulement les concessionnaires de services publics saisis d'une telle demande à saisir les autorités compétentes pour l'examen de la régularité des autorisations ou permis délivrés pour la construction des immeubles, ainsi que l'a décidé la juridiction administrative ;

- que le maire a ignoré délibérément l'avis des administrations concernées ;

- que Michel X..., qui n'a jamais tenté la moindre conciliation ni été accessible aux propositions manifestées par les plaignants, en gage de leur bonne foi a, au contraire, maintenu son attitude quand ils se pliaient, contraints, aux exigences contenues dans son courrier initial : dépôt d'une demande de compteur d'eau le 12 avril 1999, avis favorable de la DDASS concernant l'assainissement en juillet puis août 2000 ;

- Michel X... invoquait de nouveaux motifs pour refuser le rétablissement de l'eau, à savoir :

défaut de conformité des travaux de construction au permis de construire, faisant l'objet d'une instance pénale par ailleurs (courriers de septembre et octobre 2000) ;

- il avait cru bon, le 23 septembre 2000, de diffuser, sous le sceau de la mairie, une "information aux habitants" relatant le contentieux opposant celle-ci à Eric Y... et proclamant que des raccordements ne pouvaient être faits sans son autorisation, se livrant ainsi à la stigmatisation publique d'un citoyen aux yeux des autres administrés, pour le moins maladroite de la part du premier magistrat d'une commune ;

que, quels qu'aient été les mobiles de Michel X..., qui entend justifier son attitude par la nécessité de faire respecter par Eric Y... différentes prescriptions relatives à la construction, son comportement traduit, ainsi que l'ont justement apprécié les premiers juges, une volonté réelle d'empêcher l'établissement du couple Y...- Z... dans la commune de Gelaucourt, sinon définitivement, ce qui ne peut être prouvé, du moins tant qu'il ne serait pas rallié totalement à ses exigences concernant leur habitation ; que cet élément intentionnel découle de ce que Michel X... était nécessairement conscient du fait que le défaut d'accès à l'élément le plus indispensable qu'est l'eau, interdisait au couple B... de poursuivre ses travaux de construction et de s'installer ; qu'il a ainsi commis un abus d'autorité parfaitement caractérisé ; que les éléments constitutifs sont réunis et le jugement qui a déclaré Michel X... coupable quant à ce doit être confirmé ;

"alors que, d'une part, il résulte du dossier que la citation à comparaître est de juillet 2002, cependant que les faits retenus à l'encontre du prévenu se situent en décembre 1998, à savoir la fermeture d'une vanne d'eau ; que la Cour se devait d'office de constater la prescription au sens de l'article 8 du Code de procédure pénale ;

"alors que, d'autre part, et en toute hypothèse, l'article 432-4 du Code pénal suppose une atteinte à la liberté d'aller et de venir ; que toute disposition pénale est d'interprétation stricte, que le fait pour un maire qui entendait faire respecter différentes prescriptions relatives à la construction d'un immeuble objet d'un permis de construire de fermer la vanne de raccordement en eau alimentant la propriété d'Eric Y..., ne peut caractériser l'infraction prévue par l'article 432-4, alinéa 1, du Code pénal, violé par fausse application ;

"et alors, enfin, et en tout état de cause, que le maire insistait sur la circonstance que s'il avait été conduit à couper la vanne d'alimentation en eau sur un chantier, c'est parce que le bénéficiaire du permis de construire ne respectait pas les règles d'urbanisme, étant souligné que lorsque le maire est intervenu en décembre 1998 pour agir comme il l'a fait, c'était à la suite d'infractions relevées tant par la Direction Départementale de l'Equipement s'agissant du permis de construire que par la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales s'agissant du système d'assainissement mis en place à l'encontre des constructeurs, les consorts Y...- Z... ; les infractions ainsi commises au Code de l'urbanisme ayant d'ailleurs été relevées aussi bien par le tribunal administratif de Nancy que par la cour d'appel administrative de Nancy ; qu'il y avait là autant d'éléments de nature à justifier l'attitude du maire ; qu'en décidant le contraire au seul motif qu'importaient peu les mobiles du maire qui entendait justifier son comportement par la nécessité de faire respecter par Eric Y... différentes prescriptions relatives à la construction, la Cour ne motive pas de façon pertinente sa décision au regard des textes et principes cités au moyen" ;

Sur le moyen pris en sa seconde branche :

Attendu que, si la prescription de l'action publique peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation, c'est à la condition que cette cour trouve dans les constatations des juges du fond les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur ;

Qu'à défaut de telles constatations, le moyen, mélangé de fait, est nouveau et, comme tel, irrecevable ;

Mais sur le moyen pris en sa seconde branche :

Vu l'article 432-4 ensemble l'article 111-4 du Code pénal ;

Attendu que l'article 432-4 du Code pénal réprime les atteintes à la liberté d'aller et venir commises par les personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public ;

Attendu que la loi pénale est d'interprétation stricte ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Michel X..., maire de la commune de Gélaucourt, a été cité directement devant le tribunal correctionnel, pour acte attentatoire à la liberté individuelle, par les consorts B... qui lui reprochaient d'avoir fermé la vanne de raccordement alimentant en eau leur propriété en construction ;

Attendu que, pour déclarer le délit constitué, l'arrêt relève que les plaignants, "en étant privés de l'élément aussi essentiel à la vie quotidienne qu'à la poursuite de travaux de construction qu'était l'eau, ont été empêchés de s'installer physiquement sur le territoire de la commune de Gélaucourt" ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que l'article 432-4 du Code pénal ne réprime que les atteintes arbitraires à la liberté d'aller et venir, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen proposé,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nancy, en date du 16 décembre 2003, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nancy, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Anzani conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Chanet, MM. Beyer, Pometan, Mmes Nocquet, Palisse, Guirimand conseillers de la chambre, M. Valat, Mmes Ménotti, Degorce conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Chemithe ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 04-80290
Date de la décision : 14/09/2004
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

ATTEINTE A L'AUTORITE DE L'ETAT - Atteinte à l'administration publique commise par des personnes exerçant une fonction publique - Abus d'autorité commis contre les particuliers - Atteinte à la liberté individuelle - Acte attentatoire à la liberté individuelle - Définition.

L'article 432-4 du Code pénal réprime les atteintes à la liberté d'aller et venir commises par des personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public. Par suite, encourt la cassation l'arrêt qui condamne de ce chef un maire qui a fermé la vanne de raccordement d'eau alimentant une habitation non conforme au permis de construire délivré, en retenant que " les plaignants en étant privés de l'élément aussi essentiel à la vie quotidienne qu'à la poursuite de travaux de construction qu'était l'eau, ont été empêchés de s'installer physiquement sur le territoire de la commune ".


Références :

Code pénal 432-4, 111-4

Décision attaquée : Cour d'appel de Nancy, 16 décembre 2003


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 14 sep. 2004, pourvoi n°04-80290, Bull. crim. criminel 2004 N° 204 p. 729
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2004 N° 204 p. 729

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Chemithe.
Rapporteur ?: Mme Anzani.
Avocat(s) : Me Blondel.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:04.80290
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