AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur les deux moyens du pourvoi principal, réunis :
Attendu que Pierre X... a été employé par la société Alstom Power Turbomachines de 1945 à 1975 ; qu'après son décès, survenu le 27 avril 1994, il a été reconnu atteint, le 21 juin 1995, de la maladie professionnelle n° 30 ; que sa veuve, sa fille et ses petits-enfants Sylvain, Adeline et Carole Y..., ayant saisi le 20 juin 2001 le tribunal des affaires de sécurité sociale afin de voir reconnue la faute inexcusable de son employeur, la cour d'appel a déclaré irrecevables en leur action Sylvain, Adeline et Carole Y..., déclaré prescrite, mais recevable en application de l'article 40 de la loi du 23 décembre 1998 l'action exercée par la veuve et la fille du salarié, dit que la maladie professionnelle dont avait été atteint Pierre X... était due à la faute inexcusable de son employeur, la société Alstom, dit que la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle prise par la CPAM de Belfort à son profit était opposable à son employeur, fixé au maximum le montant de la rente, alloué diverses sommes aux consorts X... en réparation de leur préjudice moral et du préjudice personnel de la victime et dit que la majoration de rente et les indemnités ainsi allouées ne pourraient pas être récupérées par la CPAM de Belfort auprès de la société Alstom Power Turbomachines ;
Attendu que la société Alstom Power Turbomachines fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ainsi statué, alors, selon les moyens :
1 / que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise n'a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale, que lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié ; que la conscience, par l'employeur, du danger auquel était exposé le salarié est appréciée, notamment, au regard du secteur d'activité concerné ; qu"ainsi, en affirmant qu'il importait peu que l'employeur n'ait pas directement fabriqué de l'amiante afin d'apprécier s'il avait commis une faute inexcusable, la cour d'appel a violé l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale ;
2 / que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise, n'a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale, que lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié ; que la conscience, par l'employeur, du danger auquel était exposé le salarié est appréciée, dans le secteur d'activité concerné, compte tenu de la réglementation d'hygiène et de sécurité applicable dans l'entreprise et de l'état des connaissances scientifiques et techniques relatives à ce danger au cours de la période pendant laquelle le salarié y a été exposé ; qu'ainsi en décidant , au regard de travaux n'envisageant ni l'activité de l'employeur, ni les fonctions du salarié, que la société Alstom avait conscience du danger auquel elle avait exposé ce dernier, sans constater précisément que, dans le domaine d'activité en cause, la réglementation sur l'hygiène et la sécurité du travail et l'état des connaissances scientifiques relatives aux risques de l'amiante permettaient à l'employeur, avant 1977, d'avoir conscience du danger auquel était spécialement exposé le salarié, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale ;
3 / que dans ses conclusions déposées à l'audience et développées oralement, la société Alstom avait fait valoir qu'avant le décret du 17 août 1977, elle avait mis en place des moyens de protection individuels et collectifs contre l'empoussièrement , notamment grâce à des dispositifs de ventilation, remplacés au début des années 1970 compte tenu de leur nuisance sonore ; qu'ainsi, en affirmant que ces développements contredisaient la position de la société Alstom, qui indiquait avoir ignoré les dangers liés à l'utilisation de l'amiante, la cour d'appel a dénaturé les conclusions précitées, en méconnaissance de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise, n'a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale, que lorsque l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié du danger auquel celui ci était exposé ; que la diligence de l'employeur, quant aux mesures de prévention adoptées, s'apprécie au regard des règles d'hygiène et de sécurité applicables dans l'entreprise et de l'état des connaissances scientifiques et techniques au cours de la période pendant laquelle le salarié a été exposé au danger de maladie professionnelle ;
qu'en affirmant que la société Alstom n'avait pas pris des mesures nécessaires pour préserver le salarié du danger résultant de l'inhalation de poussières d'amiante, sans constater que les mesures adoptées par elle n'étaient pas conformes aux règles d'hygiène et de sécurité applicables dans l'entreprise, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques disponibles à l'époque à laquelle le salarié avait été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale ;
5 / qu'en se bornant à affirmer que les matériels relatifs à l'évacuation des fumées aux postes de soudures, installés avant 1977, n'étaient pas "spécifiquement adaptés à l'évacuation des poussières d'amiante", sans constater qu'un tel équipement aurait été disponible à cette époque , la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale ;
Mais attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a la caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que les énonciations de l'arrêt caractérisent le fait, d'une part, que la société avait conscience du danger lié à l'amiante, d'autre part, qu'elle n'avait pas pris les mesures nécessaires pour en préserver son salarié ; que la cour d'appel a pu ainsi, hors toute dénaturation, en déduire que la société Alstom avait commis une faute inexcusable ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :
Vu les articles L.434-7, L.434-13 et L.452-3 du Code de la sécurité sociale ;
Attendu que pour déclarer irrecevable en leur action Sylvain, Adeline et Carole Y..., la cour d'appel se borne à énoncer que les petits-enfants de l'assuré, non privés de leur soutien naturel et qui ne se trouvent pas de ce fait à sa charge, n'ont pas la qualité d'ayants droit de celui-ci ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de la combinaison des textes susvisés du Code de la sécurité sociale que les descendants des victimes décédées d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur peuvent prétendre à la réparation de leur préjudice moral, peu important qu'ils aient ou non droit à une rente, la cour d'appel a violé ces textes ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action intentée par Sylvain, Adeline et Carole Y..., l'arrêt rendu le 28 janvier 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la société Alstom Power Turbomachines aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société anonyme Alstom Power Turbomachines à payer aux consorts X... la somme de 2 200 euros et à la CPAM de Belfort la somme de 500 euros ;
Dit que sur les diligences du Procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille quatre.