AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte au Conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Montpellier, au Conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Lyon et au Conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Marseille de ce qu'ils déclarent se désister de leur pourvoi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 juin 2003), que par décision n° 02-D-14 du 28 février 2002, le Conseil de la concurrence a décidé que le Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres-experts, le Conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Lyon, le Conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Montpellier, le Conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Marseille et le Conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Strasbourg, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et a prononcé des sanctions pécuniaires contre ces organismes, ordonnant en outre la publication d'une partie de sa décision ; que les cinq organismes sanctionnés ont formé un recours devant la cour d'appel de Paris ; que par arrêt du 13 novembre 2002, la cour d'appel de Paris a rejeté le déclinatoire de compétence déposé par le Préfet de la région d'Ile-de-France ; que cette même cour a déclaré recevables les recours des organismes sanctionnés, a "confirmé" la décision du Conseil sauf en ses dispositions concernant le Conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Strasbourg, et, la "réformant" sur ce point, a dit n'y avoir lieu à sanction contre cet organisme ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres-experts fait grief à l'arrêt d'avoir été rendu après que les débats se furent déroulés notamment lors d'une audience du 27 mai 2003, "où siégeaient en application de l'article 786 du nouveau Code de procédure civile, (...) M. Lacabarats, président, chargé du rapport, M. Le Dauphin, conseiller, M. Lacabarats ayant rendu compte des débats à la Cour composée dans son délibéré de : M. Lacabarats, président, M. le Dauphin, conseiller, M. Savatier, conseiller", alors, selon le moyen, que les recours exercés devant la cour d'appel de Paris contre les décisions du Conseil de la concurrence, sont, en vertu de l'article 1er du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, formés, jugés et instruits conformément aux articles 2 à 21 de ce décret," par dérogation aux dispositions du Titre VI du livre II du NCPC", titre qui comporte l'article 910 rendant applicable devant la cour d'appel l'article 786 de ce même Code, aux termes duquel "le juge de la mise en état ou le magistrat chargé du rapport peut, si les avocats ne s'y opposent pas, tenir l'audience pour entendre les plaidoiries. Il en rend compte au tribunal dans son délibéré" ;
qu'en faisant application de cette dernière disposition, tant lors de l'audience des débats du 27 mai 2003, où siégeaient M. Lacabarats, président et M. le Dauphin, conseiller, que lors du délibéré où M. Lacabarats, président, a rendu compte des débats à la cour d'appel, celle-ci a violé les dispositions susvisées ;
Mais attendu que le décret invoqué ne comportant aucune disposition relative à la tenue de l'audience, et dès lors que les dispositions du nouveau Code de procédure civile ne cèdent que devant les dispositions expressément contraires de ce décret ou aménageant des modalités propres à l'exercice des recours contre les décisions du Conseil, la cour d'appel a pu statuer dans les conditions prévues à l'article 786 du nouveau Code de procédure civile ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que le Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres-experts fait grief à l'arrêt d'avoir dit qu'il avait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de lui avoir infligé, en conséquence, une sanction pécuniaire d'un montant de 150 000 euros, alors, selon le moyen :
1 ) qu'en affirmant que le Conseil de la concurrence, dans son avis du 13 juin 2000, n'avait "nullement à cette occasion examiné et apprécié les pratiques ultérieurement soumises à son jugement", la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet avis, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ;
2 ) qu'en excluant toute atteinte au principe d'impartialité, au motif que le Conseil de la concurrence avait statué pour ses membres délibérants dans une composition différente de celle ayant prononcé la décision du 28 février 2002, la cour d'appel a violé l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3 ) qu'en toute hypothèse, le principe d'impartialité et les droits de la défense font obstacle à ce que le Conseil de la concurrence, qui avait émis le 13 juin 2000 un avis portant sur la restriction d'exercice de l'activité professionnelle des géomètres topographes dans le domaine des études topographiques et des documents cadastraux, au regard du champ d'application du monopole des géomètres-experts, statue ultérieurement, fût-ce dans une composition différente, sur l'existence de pratiques anti-concurrentielles dans les rapports entre géomètres-experts et géomètres topographes, dont la réalité dépendait précisément de la délimitation du monopole des géomètres-experts ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les droits de la défense ;
4 ) qu'en considérant au surplus que ne méconnaissait pas le principe d'impartialité la décision du Conseil de la concurrence du 28 février 2002 rendue sur le rapport d'un agent qui avait été chargé préalablement de procéder à une enquête sur les pratiques anti-concurrentielles dont le Conseil de la concurrence était saisi, au motif que cet agent n'avait pas participé au délibéré, la cour d'appel a violé les articles 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'en relevant que le Conseil de la concurrence n'a nullement, à l'occasion d'un avis qu'il a rendu le 13 juin 2000 sur l'étendue du monopole des géomètres-experts, examiné et apprécié les pratiques ultérieurement soumises à sa décision, la cour d'appel n'a pas dénaturé l'avis en cause ;
Attendu, en deuxième lieu, que n'ayant pas examiné lors de l'avis émis le 13 juin 2000, les faits ultérieurement soumis à son appréciation, le Conseil, en statuant sur ces faits, n'a manqué, ni au principe d'impartialité, ni au respect des droits de la défense ;
Et attendu, en troisième lieu, que le principe d'impartialité ne fait pas obstacle à ce qu'un même agent procède à l'instruction des faits dont le Conseil est saisi et présente un rapport oral devant la formation du Conseil amenée à statuer sur les griefs éventuellement notifiés à la suite de cette instruction, dès lors qu'il n'assiste ni ne participe au délibéré du Conseil ; que soutenant une thèse contraire, le moyen ne peut être accueilli ;
Qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que le Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres-experts fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1 ) que la note du mois de juillet 1995 "relative aux conditions de dévolution des travaux topographiques à incidence foncière" reconnaît expressément que "les travaux topographiques sans incidence foncière peuvent être effectués par des services publics ou par des praticiens de la topographie" et se borne à rappeler aux instances régionales et départementales de la profession la législation instituant le monopole des géomètres-experts ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a dénaturé la note susvisée, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ;
2 ) que la note susvisée n'énonce, en aucune façon, qu'il conviendrait d'attirer l'attention des maîtres d'ouvrage, sur une exclusivité dont disposeraient les géomètres experts pour réaliser des prestations topographiques dépourvues d'incidence foncière ou ne débouchant pas sur des travaux affectant la limite des propriétés ; qu'en retenant que cette note comporte un argumentaire destiné à convaincre faussement les maîtres d'ouvrage de la nécessité de faire appel à des géomètres experts, à l'occasion de prestations topographiques dépourvues d'incidence foncière ou ne débouchant pas sur des travaux affectant la limite des propriétés, prestations sur lesquelles les géomètres-experts ne disposent d'aucune exclusivité, la cour d'appel a dénaturé la note susvisée et violé l'article 1134 du Code civil ;
3 ) qu'en toute hypothèse, la diffusion aux seules instances régionales et départementales de la profession d'une note ne tendant pas à l'invocation auprès des maîtres d'ouvrage d'une exclusivité inexistante, et constitutive, selon l'arrêt attaqué, d'un simple argumentaire pouvant être utilisé auprès des élus et des services responsables de l'élaboration des cahiers des charges et de l'examen des offres, n'est pas assimilable à une entente destinée à convaincre faussement les maîtres d'ouvrage de la nécessité de faire appel à des géomètres experts; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
4 ) qu'en énonçant que "le Conseil supérieur a fait lui-même application de sa note en intervenant auprès de la Communauté urbaine de Bordeaux" sans préciser la teneur de cette "intervention", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'en retenant que la note litigieuse ne se limitait pas au rappel de la législation instituant le monopole des géomètres-experts, mais constituait un argumentaire en vue d'inciter les élus et les services responsables de l'élaboration des cahiers des charges et de l'examen des offres, à réserver aux géomètres-experts certaines catégories de travaux topographiques, activités de services pour laquelle ils sont en concurrence avec les géomètres-topographes, la cour d'appel n'a fait qu'en interpréter souverainement la portée ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant relevé que la note litigieuse, émanant de l'organisme représentant la profession, était destinée à convaincre faussement les maîtres d'ouvrage de la nécessité de faire appel à des géomètres-experts, alors que ceux-ci ne disposent d'aucune exclusivité pour la réalisation des prestations topographiques dépourvues d'incidence foncière ou ne débouchant pas sur des travaux affectant la limite des propriétés, la cour d'appel, qui estime qu'une telle pratique a pour objet ou pour effet de limiter l'accès d'une autre profession à un marché, a justement qualifié celle-ci d'entente au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
Attendu, en troisième lieu, qu'en relevant que le Conseil supérieur a lui même fait application de cette note en intervenant auprès de la Communauté urbaine de Bordeaux avant l'ouverture des plis contenant les offres, pour qu'un marché comportant à la fois un lot de prestations foncières et deux lots de prestations topographiques soit réservé exclusivement aux géomètres-experts, la cour d'appel, qui n'avait pas à préciser la forme prise par cette intervention, sans intérêt pour la qualification de la pratique en cause, a légalement justifié sa décision ;
Qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres-experts aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile condamne le Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres-experts à payer au ministre chargé de l'Economie et des Finances la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille quatre.