AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 5 septembre 2001), que M. X..., désigné en qualité d'administrateur provisoire de propriétés viticoles, a assigné la société Marne et Champagne, la société civile d'exploitation agricole des Vins français (la SCEA des Vins français), les sociétés civiles d'exploitation agricole Château des Tours, Château Le Couvent, Château Haut-Brignon (les 3 SCEA) et leur dirigeant M. Y..., pour faire constater la fin de sa mission, l'autoriser à vendre une partie des récoltes et dire à qui il doit remettre les sommes restant encore en sa possession ; que les SCEA et M. Y... ont demandé reconventionnellement la liquidation de l'astreinte ordonnée par un jugement du 3 mars 2000 à l'encontre de la SCEA des Vins français ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches :
Attendu que la société Marne et Champagne et la SCEA des Vins français font grief à l'arrêt d'avoir dit recevable la demande reconventionnelle en liquidation de l'astreinte et de les avoir condamnées au paiement d'une certaine somme, alors, selon le moyen :
1 / qu'il résulte de la précédente décision du 3 mars 2000 du juge de l'exécution, d'une part, que l'assignation introduite par l'administrateur provisoire judiciaire tendait à être autorisé à procéder à une vente de vins pour faire face au paiement de frais et, d'autre part, que les SCEA fermières avaient conclu au rejet de cette demande et, reconventionnellement, à la liquidation de l'astreinte ordonnée par une précédente décision du même juge de l'exécution à la seule demande de l'administrateur provisoire judiciaire, ainsi qu'au prononcé d'une nouvelle astreinte, enfin, que la décision sur la vente avait été renvoyée dans l'attente d'un rapport spécial de l'administrateur provisoire judiciaire ; que, par ailleurs, il résulte de la décision entreprise du 16 juin 2000 du même juge de l'exécution que la cause et les parties sont revenues en l'état de l'assignation initiale et que les SCEA fermières ont conclu au non-lieu à statuer sur la demande principale et, reconventionnellement, à la liquidation de l'astreinte ordonnée par décision précitée du 3 mars 2000 ;
qu'il en ressortait qu'aucune de ces demandes reconventionnelles ne se rattachait par un lien suffisant à la demande originaire ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 70 du nouveau Code de procédure civile, L. 311-12-1 du Code de l'organisation judiciaire, 35 et 36 de la loi du 9 juillet 1991 ;
2 / que la preuve de l'existence d'infractions assorties d'une astreinte incombe à celui qui en demande la liquidation ; qu'il appartenait donc aux SCEA fermières de rapporter la preuve, et à la cour d'appel de le constater, que la SCEA des Vins français était présente sur les lieux à la date du 28 mars 2000, prise en compte pour la liquidation de l'astreinte ; que dès lors, en liquidant l'astreinte au moyen d'une multiplication du taux de 100 000 francs par le nombre de jours ayant couru entre le prononcé de la décision du 3 mars 2000 et le procès-verbal du 28 mars 2000 de l'huissier de justice ayant simplement "constaté le départ", au motif qu'il "appartenait" à la SCEA des Vins français "de faire part de son départ antérieur à l'huissier chargé de son expulsion", la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du Code civil, L. 311-12-1 du Code de l'organisation judiciaire, 35 et 36 de la loi du 9 juillet 1991 ;
3 / qu'au surplus, la preuve de l'existence d'infractions assorties d'une astreinte incombe à celui qui en demande la liquidation ;
qu'il appartenait aux SCEA fermières de rapporter la preuve, et à la cour d'appel de le constater, que la SCEA des Vins français était présente sur les lieux à la date du 28 mars 2000, prise en compte pour la liquidation de l'astreinte, sans qu'importât l'existence à cette date d'un constat d'huissier ayant "effectivement constaté le départ" ; qu'à cet égard, dans ses conclusions d'appel, la SCEA des Vins français soutenait qu'il résultait des propres écritures déposées par les SCEA fermières dans la procédure d'appel n° 4774/99 concernant le jugement du 23 septembre 1999 du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Libourne que, "dès septembre 1999, le siège social de la SCEA des Vins français était transféré à Paris et courant décembre l'ensemble du matériel a été évacué ; que la SCEA des Vins français ajoutait que "l'on ne saurait mieux affirmer que la SCEA des Vins français avait quitté les exploitations bien avant le jugement du 3 mars 2000, a fortiori avant la signification de celui-ci aux concluantes le 16 mars 2000 et, a fortiori, avant le procès-verbal dit d'expulsion du 28 mars 2000", qu'il "suffit de lire, pour constater que la SCEA des Vins français n'a pu être expulsée pour cette raison, qu'elle n'était pas dans les lieux, seul demeurait le personnel des trois exploitations", qui, par l'effet de la cassation de l'arrêt ayant résilié les baux à ferme, "était revenu par l'effet de plein droit des dispositions d'ordre public du Code du travail sous la subordination des SCEA fermières, de nouveaux leurs employeurs", d'où il résutait que, "lors du jugement du 3 mars 2000 ayant liquidé l'astreinte, la SCEA des Vins français avait quitté les lieux" ; qu'en écartant ces conclusions par des motifs erronés et inopérants insusceptibles d'établir le maintien dans les lieux après le 29 février 2000, dernière date évoquée dans
les motifs de son arrêt, a fortiori après le jugement du 3 mars 2000, et a fortiori à la date du 28 mars 2000, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 311-12-1 du Code de l'organisation judiciaire et 1356 du Code civil, 35 et 36 de la loi du 9 juillet 1991 ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que devant le premier juge, lors d'un premier jugement du 3 mars 2000, la société Marne et Champagne et la SCEA des Vins français n'avaient pas contesté la recevabilité de la demande reconventionnelle des trois SCEA en liquidation d'astreinte, que dans ce jugement du 3 mars 2000, le premier juge liquidait l'astreinte pour la période du 15 décembre 1999 au 3 mars 2000 et renvoyait l'affaire au 21 avril 2000, et qu'il ne pouvait donc pas être excipé des dispositions de l'article 70 du nouveau Code de procédure civile pour rejeter la demande de liquidation de la nouvelle astreinte fixée par le précédent jugement, de sorte qu'il s'agissait d'une seule et même décision à la suite du renvoi et qu'il existait une continuité de procédure et d'instance, la cour d'appel en a souverainement déduit que la demande reconventionnelle se rattachait aux prétentions initiales par un lien suffisant ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a, par motifs propres et adoptés et sans inverser la charge de la preuve, retenu qu'il résultait des éléments versés aux débats que la SCEA des Vins français avait été expulsée le 28 mars 2000 des lieux qu'elle occupait, que le transfert du siège social ne saurait démontrer son départ des terres litigieuses et qu'elle avait payé les salariés jusqu'au 29 février 2000 ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé de ce chef ;
Mais sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :
Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que pour condamner la SCEA des Vins français à payer in solidum aux trois SCEA la somme de 2 400 000 francs en liquidation de l'astreinte, l'arrêt retient que le juge de l'exécution a fixé à 100 000 francs par jour le montant de celle-ci, que c'est seulement le 28 mars 2000 que l'huissier de justice a effectivement constaté le départ et qu'il convient de liquider l'astreinte prononcée le 3 mars 2000 pour la période du 3 mars au 28 avril 2000 ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions par lesquelles la SCEA des Vins français soutenait que l'astreinte ne courait, aux termes du jugement du 3 mars 2000, qu'à compter de sa signification à laquelle il n'avait été procédé que le 16 mars 2000, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la SCEA des Vins français à payer in solidum à la SCEA Château des Tours, à la SCEA Château Le Couvent et à la SCEA Château Haut-Brignon la somme de 2 400 000 francs en liquidation de l'astreinte prononcée le 3 mars 2000 pour la période du 3 mars au 28 avril 2000, l'arrêt rendu le 5 septembre 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette toutes demandes de ce chef ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé à l'audience publique du trois juin deux mille quatre par M. Peyrat, conformément à l'article 452 du nouveau Code de procédure civile.