AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu qu'un accord de réduction du temps de travail a été signé le 2 avril 2001 après référendum entre la manufacture française des pneumatiques Michelin et la Fédération énergie chimie CFDT ; que la Fédération nationale des industries chimiques CGT (FNICT) et le syndicat CGT Michelin, ci-après dénommés la Fédération et le syndicat, ont assigné les signataires de l'accord devant le tribunal de grande instance aux fins de voir prononcer notamment son annulation ; que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré irrecevable l'action du syndicat CGT Michelin et débouté la Fédération de ses demandes ;
Sur le quatrième moyen qui est préalable :
Attendu que la Fédération et le syndicat font grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté les demandes tendant à voir dire que la Fédération chimie énergie CFDT n'avait pas qualité pour signer les dispositions de l'accord révisant les accords antérieurs, alors, selon le moyen, que la cour d'appel qui ne conteste pas que l'accord litigieux emportait effectivement révision des accords d'entreprise du 20 mars 1959 signé par le syndicat départemental du Puy de Dôme CFTC et constate que l'accord a été signé par la seule fédération Energie Chimie CFDT et non par la structure départementale CFDT ayant succédé au syndicat départemental du Puy-de-Dôme CFTC, ne pouvait refuser dans cette mesure d'en prononcer la nullité sans violer par refus d'application l'article L. 132-7 du Code du travail ;
Mais attendu que le demandeur n'a pas allégué devant les juges du fond que la fédération Energie Chimie CFDT n'avait pas qualité pour représenter le syndicat départemental CFDT qui aurait assuré la continuation du syndicat CFTC du Puy de dôme signataire de l'accord du 20 mars 1959 ; que ce moyen nouveau et mélangé de fait et de droit est irrecevable.
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la Fédération et le syndicat reprochent à l'arrêt d'avoir rejeté les demandes en annulation de l'accord du 2 juillet 2001 alors, selon le moyen :
1 ) que dès lors que l'article L. 212-8 du Code du travail fait obligation à la convention ou à l'accord requis pour que le temps de travail hebdomadaire puisse être modulé sur tout ou partie de l'année de préciser les données économiques ou sociales justifiant le recours à la modulation, il appartient au juge requis à cet effet de s'assurer du caractère réel et sérieux de ces raisons ; qu'en refusant de procéder à ce contrôle la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé l'article L. 212-8 du Code du travail ;
2 ) que la convention ou l'accord requis pour recourir à la modulation du temps de travail, qui doit préciser les données économiques et sociales justifiant le recours à la modulation du temps de travail, ne pouvait se borner à faire état de façon abstraite du type de données susceptibles de justifier ce recours, telles les variations d'activité au cours de l'année dans la plupart des secteurs d'activité de l'entreprise, mais devait préciser l'amplitude de ces variations et la façon dont elles affectaient chacun des secteurs de la société ; que la cour d'appel, qui n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui s'en évinçaient , a violé l'article L. 212-8 du Code du travail ;
3 ) que l'accord qui se borne à renvoyer à une négociation ultérieure la répartition de la durée du travail qui dispose que la convention ou l'accord requis pour recourir à la modulation du temps de travail doit fixer le programme indicatif de cette répartition ; que la cour d'appel qui n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui s'en évinçaient , a violé l'article L. 212-8 du Code du travail ;
4 ) que l'accord qui se borne à indiquer, de façon non contraignante, en proportion des effectifs de l'entreprise, le volume maximal du travail temporaire et à renvoyer pour le surplus aux règles légales, ne satisfait pas aux prescriptions de l'article L. 212-8 du Code du travail qui dispose que la convention ou l'accord requis pour recourir à la modulation du temps de travail, doit déterminer les modalités de recours au travail temporaire ; que la cour d'appel qui n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui s'en évinçaient, a violé l'article L. 212-8 du Code du travail ;
Mais attendu d'abord que la cour d'appel a constaté que l'accord contenait les clauses prévues par l'article L. 212-8, alinéa 1 et 5 du Code du travail alors applicable ;
Attendu ensuite qu'elle a exactement décidé que l'accord d'entreprise qui prévoit que la programmation indicative de la modulation prévue par l'article L. 212-8, alinéa 5, sera déterminée lors de la négociation annuelle dans l'entreprise répond aux exigences légales, dès lors que cette programmation indicative est fixée par voie de négociation d'entreprise et fait ensuite l'objet des procédures d'application prévues par la loi ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la Fédération et le syndicat font aussi grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande tendant à voir dire et juger que les dispositions de l'article 2.13.2 de l'accord relatives aux cadres autonomes sont contraires au dispositions impératives de la loi et donc nulles, alors, selon le moyen :
1 / que l'accord qui se réfère "aux cadres de l'entreprise, dont le rythme de travail ne peut pas épouser, en raison de la mission générale qui leur est confiée, celui de l'horaire collectif applicable dans le service qu'il dirige ou auxquels ils sont affectés" et dont "en raison de l'autonomie nécessaire à leurs fonctions, la durée de leur temps de travail ne peut être prédéterminé" ne saurait être regardé comme définissant les catégories de cadres pour lesquels il est licite de recourir à une convention de forfait définie en jours, ainsi que le prescrit l'article L. 212-15-3 III du Code du travail de la convention ou de l'accord requis pour de telles conventions de forfait ; que la cour d'appel, qui n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui s'en évinçaient, a violé les dispositions précitées, considérées dans leur rédaction antérieure à la loi du 17 janvier 2003 comme en leur rédaction résultant de cette loi ;
2 / que l'accord qui se borne à rappeler que les règles relatives au repos quotidien et hebdomadaire sont applicables aux cadres liés à l'entreprise par une convention de forfait jours, ne satisfait pas aux dispositions de l'article L. 212-15-3 III du Code du travail, qui exigent de la convention ou de l'accord requis pour le recours à de telles conventions de forfait qu'il précise les modalités concrètes d'application des articles L. 220-1, L. 221-2 et L. 221-4 du Code du travail ; que la cour d'appel, qui n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui s'en évinçaient a violé les articles L. 212-15-3 III du Code du travail ;
3 / que la convention ou l'accord requis pour le recours à des conventions de forfait jours doit préciser les modalités de contrôle de son application, et donc du respect des règles applicables au repos quotidien et hebdomadaire résultant des articles L. 220-1, L. 221-2 et L. 221-4 du Code du travail dont il doit prévoir les modalités d'application ;
que la cour d'appel, qui se borne à constater que l'accord litigieux permet le contrôle des jours travaillés par les cadres concernés, sans rechercher s'il permet également le contrôle du respect de ces dispositions, a privé sa décision de base légale, au regard de l'article L. 212-15-3 III du Code du travail ;
Mais attendu, d'abord, que l'accord collectif, après avoir distingué les cadres dirigeants des cadres dont l'horaire est prédéterminé, définit les cadres autonomes qui ne relèvent d'aucune de ces catégories comme étant ceux dont le rythme de travail ne peut, en raison de leur mission, être soumis à l'horaire collectif de travail du service qu'ils dirigent ou auquel ils sont affectés ; que cette définition, qui permet d'apprécier le degré d'autonomie du personnel d'encadrement concerné, est conforme aux exigences de l'article L. 212-15-3 III du Code du travail dans la mesure où, d'une part, la convention de forfait doit faire l'objet d'un accord particulier entre l'employeur et le salarié et où, d'autre part, il appartient au juge de vérifier en cas de litige que les fonctions effectivement exercées par le cadre ne lui permettent pas d'être soumis à l'horaire collectif de travail ;
Attendu ensuite que la cour d'appel a exactement décidé que les dispositions de l'accord relatives au repos quotidien et hebdomadaire sont conformes aux exigences de l'article L. 212-15-3 III ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen :
Vu l'article L. 411-11 du Code du travail ;
Attendu que pour déclarer irrecevable l'action du syndicat CGT Michelin la cour d'appel retient qu'en vertu du principe de hiérarchie relative et de cohérence régissant tant les normes de droit du travail en matière de relations collectives que les compétences respectives des organisations syndicales, notamment pour la négociation et la conclusion d'accords collectifs de niveaux différents, le syndicat CGT Michelin n'a pas qualité pour demander en justice l'annulation d'un accord qui a été discuté, au niveau national, par une fédération syndicale à laquelle il adhère, alors qu'il n'a pas lui même participé aux négociations, et qu'il importe peu que l'accord litigieux ait emporté disparition d'accords collectifs ou d'usages antérieurs ainsi que d'avantages individuels ou collectifs, ce qui s'agissant des effets de la conclusion d'un nouvel accord n'est pas une circonstance conférant au syndicat CGT un intérêt juridiquement protégé de nature à rendre son action recevable à ce titre ;
Attendu cependant qu'un syndicat d'entreprise peut, dans l'intérêt collectif de la profession qu'il représente, joindre son action à celle de la fédération à laquelle il a adhéré pour demander la nullité d'un accord collectif d'entreprise ; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu à renvoi dès lors que l'action jointe du syndicat CGT Michelin tendait aux même fins que l'action de la Fédération, la Cour de Cassation pouvant mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais uniquement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action du syndicat CGT Michelin, l'arrêt rendu le 2 juillet 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare l'action du syndicat CGT Michelin recevable ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la Fédération nationale des industries chimiques CGT ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mai deux mille quatre.