AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué et les productions, que la société Loire affinage a licencié en 1998 deux de ses salariés, MM. X... et Y..., lesquels ont, avec un troisième salarié démissionnaire, M. Z..., créé une société concurrente dénommée La Maison de l'eau ; que celle-ci a adressé aux clients de la société Loire affinage une lettre-circulaire début 1999, illustrée des photographies des MM. X..., Y... et Z... pour offrir ses services ; que la société Loire affinage a pour sa part adressé à ses clients une lettre en date du 28 avril 1999 faisant état de la lettre-circulaire précitée et les informant de ce que l'intervention éventuelle de la société La Maison de l'eau sur le matériel posé était susceptible de remettre en cause sa garantie ; que La Maison de l'eau ainsi que MM. Y..., Z... et X..., se prévalant du dénigrement constitué selon eux par la lettre du 28 avril 1999, ont assigné la société Loire affinage en réparation de leur préjudice ; que, reconventionnellement, la société Loire affinage a réclamé des dommages-intérêts au titre du dénigrement constitué selon elle par l'envoi de la lettre ayant précédé la sienne ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que MM. Y..., Z... et X... et la société La Maison de l'eau font grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'ils avaient commis à l'égard de la société Loire affinage un acte de concurrence déloyale, alors, selon le moyen :
1 / que le seul fait pour un ancien salarié de démarcher les clients de son ancien employeur ne suffit pas à caractériser un détournement de fichier de clientèle ; qu'en relevant seulement, pour retenir l'existence d'un détournement de fichier constitutif de concurrence déloyale, le grand nombre d'exemplaires d'une lettre adressés par d'anciens salariés aux clients de leur ancien employeur, la cour d'appel n'a pas caractérisé la faute constitutive de concurrence déloyale, (et) a violé les articles 1382 et 1383 du Code civil ;
2 / qu'un motif hypothétique équivaut à un défaut de motifs ;
qu'en retenant que les anciens salariés s'étaient "à l'évidence" procuré une copie du fichier de clientèle de leur ancien employeur, la cour d'appel, qui ne s'est fondée que sur l'hypothèse qui lui semblait la plus vraisemblable, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que le dénigrement d'une entreprise concurrente n'est caractérisé que lorsque l'entreprise est nommément désignée ou facilement identifiable ; qu'en se bornant à relever, en l'espèce, que la critique faite aux grandes structures visait manifestement la société Loire affinage, qui dépend du groupe Vivendi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'appartenance de cette société à ce groupe n'était pas, à l'époque des faits litigieux, trop récente pour être connue de la clientèle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil ;
4 / que la lettre litigieuse ne cite pas le nom de la société Loire affinage et ne fait allusion à elle qu'une seule fois afin d'aviser les clients que les associés de la société La Maison de l'eau avaient "été au service de la société de traitement des eaux qui (leur) propose l'entretien aujourd'hui" ; qu'en retenant que "par l'utilisation constante de la référence à Loire affinage", ce prospectus pouvait laisser penser que la société La Maison de l'eau succédait à la société Loire affinage, la cour d'appel a dénaturé la lettre circulaire de la société La Maison de l'eau et ainsi violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant souverainement déduit des termes de la lettre litigieuse, selon lesquels les anciens salariés de la société Loire affinage indiquaient : "Nous avons été tous les trois pendant plusieurs années au service de la société de traitement des eaux qui vous propose l'entretien aujourd'hui", que celle-ci n'avait été adressée qu'aux clients de Loire affinage et retenu que cette lettre avait pour objet d'inviter les clients de cette société à s'adresser désormais à la société La Maison de l'eau en se prévalant de ce que "le service, le sérieux, la compétence et la déontologie disparaissent des grandes structures", la cour d'appel, qui a déduit de la liste des destinataires de la lettre et de son contenu, sans le dénaturer, qu'il n'était question de rien d'autre dans cette lettre que de comparer les deux sociétés, a justement décidé que cette lettre était constitutive d'un dénigrement envers la société Loire affinage et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la première branche du moyen ; qu'il suit de là qu'inopérant en sa première branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour rejeter l'action en concurrence déloyale dirigée contre la société Loire affinage, l'arrêt retient, par motifs propres, que celle-ci n'a fait qu'aviser sa clientèle des incidences sur sa garantie conventionnelle des modifications éventuelles du matériel par un tiers au contrat ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si ces informations même exactes, qui n'étaient pas données en termes généraux mais visaient l'intervention des salariés de la société La Maison de l'eau n'étaient pas de nature à jeter le discrédit sur cette société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour rejeter l'action en concurrence déloyale dirigée contre la société Loire affinage, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que le paragraphe de la lettre litigieuse faisant état du mandat donné à un avocat pour engager les actions judiciaires appropriées n'était que la juste information de la clientèle ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'est fautive la dénonciation faite à la clientèle d'une action n'ayant pas donné lieu à une décision de justice, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche :
Vu les articles 1382 et 1383 du Code civil ;
Attendu que pour rejeter l'action en concurrence déloyale dirigée contre la société Loire affinage, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que la lettre litigieuse n'a pas pour but de dénigrer la société La Maison de l'eau auprès du public ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la caractérisation de la faute de concurrence déloyale n'exige pas la constatation d'un élément intentionnel, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté l'action en concurrence déloyale dirigée contre la société Loire affinage, l'arrêt rendu le 9 juillet 2002, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne la société Loire affinage aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Loire affinage à payer à MM. Y..., X... et Z... et à la société La Maison de l'eau la somme de 1 800 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille quatre.