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05/05/2004 | FRANCE | N°03-82801

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 05 mai 2004, 03-82801


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq mai deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SAMUEL, les observations de Me BOUTHORS, Me BROUCHOT et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- LA SOCIETE MOULINS SOUFFLET, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, cha

mbre correctionnelle, en date du 17 janvier 2003, qui, dans la procédure suivie notamme...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq mai deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SAMUEL, les observations de Me BOUTHORS, Me BROUCHOT et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- LA SOCIETE MOULINS SOUFFLET, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 17 janvier 2003, qui, dans la procédure suivie notamment contre Jean X... des chefs de présentation de comptes annuels infidèles et abus de biens sociaux, a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-1 de la Convention européenne des droits de I'Homme, 1134 du Code civil, L. 225-252, L. 242-6-2 du Code de commerce (ancien article 437-2 de la loi du 24 juillet 1966), 313-1 du Code pénal, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré non fondée la constitution de partie civile de la société Moulins Soufflet du chef de présentation de bilans inexacts ;

"aux motifs qu'il convient de remarquer préalablement qu'une partie civile ne saurait, sortant du strict cadre de la prévention, arguer d"un préjudice qui, à le supposer caractérisé, résulterait de faits non poursuivis et ressortirait, corrélativement, à un autre contentieux ; que, destiné principalement à assurer la foi due à la compatibilité d'une entreprise, le délit de présentation de documents comptables inexacts ne peut justifier l'octroi de dommages et intérêts que pour autant que la présentation litigieuse a déterminé la remise de fonds, à quelque titre que ce soit ; qu'il n'est pas établi que le bilan inexact a servi de manière déterminante à l'évaluation des actions que la société Moulins Soufflet a achetées ;

que bien au contraire, il résulte des éléments objectifs du dossier de la procédure que ladite publication des bilans inexacts n"a été déterminante ni de la décision de prendre une participation dans la société Moullet Frères en acquérant les actions susvisées ni de l'évaluation desdites actions ; qu"en effet, ayant pris ladite décision en application de sa politique d'expansion dans le contexte économique de la minoterie, la société Moulins Soufflet a pu, pendant la durée des négociations, visiter les lieux, demander et obtenir tous renseignements utiles à cette fin de la part de la SA Moullet Frères et de l'ONIC, permettant ainsi à ses représentants professionnels, particulièrement expérimentés en cette matière, de valoriser la SA Moullet Frères, sans éprouver la nécessité d"un audit préalable, à la somme, non démentie ultérieurement, de 15 000 000 francs ; qu'il ressort de I'examen du dossier et des débats que dans le processus d'évaluation, l'étude du bilan n'a été qu'un élément, non déterminant, parmi d'autres pour autoriser une telle évaluation, d'autant qu'il ne s'agissait officiellement que d'une prise de participation dans ladite société et que l'un des deux bilans visés à la prévention, celui de 1989, n'a pu entrer en considération compte tenu de la date d'achat des actions ; que, d'ailleurs, dans ses conclusions, la partie civile elle-même indique que "les bilans qualifiés d'inexacts ... ont été un des moyens utilisés par M. X..." et non pas le moyen déterminant, alors qu'en outre, la présentation des faits résultant de ces mêmes conclusions apparaît contraire à la prévention susvisée qui exclut l'escroquerie, pour laquelle non- lieu définitif a été prononcé ; qu'au surplus, que loin d'être graves comme le soutient à tort la partie civile dans ses conclusions, les inexactitudes relevées dans les comptes visés à la prévention, pour lesquelles condamnation pénale est prononcée, apparaissent, pour condamnables qu'elles soient d'une ampleur trop limitée matériellement et temporellement pour qu'il soit sérieusement soutenu qu'elles aient pu avoir une quelconque incidence sur la décision d'achat, par la partie civile, d'actions de la SA Moullet Frères ; que sur ce point ne sauraient valoir, contre les résultats de l'expertise judiciaire régulièrement ordonnée, les conclusions de I'audit du Cabinet KPMG commandé par la partie civile elle-même, dont l'expert judiciaire a exactement dit les multiples erreurs et exagérations exclusives de toute appréciation sereine et objective de la situation en cause, particulièrement du fait d'une évaluation opérée, dans une finalité précise, a posteriori et non pas au temps de l'établissement des bilans concernés ; qu'ainsi, faute d'entrer dans des manoeuvres frauduleuses tendant à déterminer la SA Moulins Soufflet à acquérir les actions de la SA Moullet Frères, ladite présentation ou publication n'a pas causé directement à la partie civile un dommage au sens de l'article 2 susvisé ; que dès lors, le préjudice allégué, à le supposer établi, ressortirait à un autre contentieux ; qu'au demeurant, l'expert judiciaire a relevé que ne s'imposant pas, l'abandon de compte courant consenti par la SA Moulins Soufflet en 1992 pour 19 000 000 francs avait eu pour celle-ci deux contreparties bénéfiques ; qu'il a encore souligné qu'en mai 1991,

la SA Moulins Soufflet avait, pour la somme d'un franc, acquis 62 % du capital de la SA Moullet Frères, par elle-même évalué à 15 000 000 francs sans tenir compte de la valeur du fonds de commerce, somme portée à 17 675 000 francs après l'augmentation de capital ; qu'il a consécutivement précisé que la SA Moulins Soufflet avait alors reçu gratuitement la somme de 10 950 000 francs ; qu'il a, enfin, remarqué que devaient être prises en compte des plus values latentes sur les constructions et terrains possédés par la SA Moullet Frères, la valeur des droits de mouture même réduits possédés par celle-ci et la valeur de la part de marché correspondant à une clientèle ayant permis de réaliser, en 1990-1991, un chiffre d'affaires de 77 000 000 francs ; qu'à un tel constat, il a ajouté le fait que loin d'être en état de cessation de paiement, les filiales de la SA Moullet Frères avaient connu des résultats largement positifs en 1992 et 1993, alors que certaines d'entre elles ont été acquises par la SA Moulins Soufflet pour la somme d'un franc ; qu'en conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a admis le bien-fondé de la présente constitution de partie civile pour allouer à la demanderesse la somme, au demeurant ni concrètement justifiée ni expliquée, de 1 200 000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la présentation de comptes inexacts et la somme de 10 000 francs au titre de l'article 475- 1 du Code de procédure pénale ; qu'il y a lieu de déclarer non-fondée la constitution de partie civile de la SA Moulins Soufflet et de rejeter toutes autres prétentions de celle-ci ;

"1) alors que la cour d'appel a imposé en matière de présentation de bilans inexacts les conditions propres à l'escroquerie en exigeant de la partie civile qu'elle établisse l'existence de manoeuvres ayant déterminé sa remise de fonds ; que pareille condition n'est cependant pas requise et que le préjudice direct de la partie civile procédait du seul fait de l'achat d'actions à un montant supérieur à leur valeur ;

"2) alors qu'en vertu de l'obligation de contracter de bonne foi, le contractant n'a pas à vérifier les bilans présentés par la société et ce, d'autant plus que, s'agissant d'une société anonyme, la présence du commissaire aux comptes implique la loyauté des comptes publiés ; que la cour d'appel ne pouvait donc légalement objecter à l'acheteuse une prétendue faute tirée de l'absence d'audit préalable à l'acquisition des actions, ni affirmer que pareille "faute" était de nature à exclure celle résultant de la présentation de bilans inexacts ;

"3) alors que saisie de conclusions de la partie civile établissant que si les comptes qui lui avaient été présentés n'avaient pas été inexacts, elle n'aurait pas été amenée à verser une somme de 19 millions de francs destinée à couvrir les pertes occultées par les bilans inexacts, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, affirmer que le préjudice était inexistant du fait que la partie civile aurait été, in fine, bénéficiaire d'une somme de près de 11 millions de francs résultant de I'acquisition pour un franc des actions de la société" ;

.

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'en 1989, la société Moulins Soufflet est devenue actionnaire, à hauteur de 38, 36 % du capital, de la société Moullet Frères, dont elle avait estimé la valeur à 15 millions de francs ; qu'au mois de mai 1991, elle a découvert que la situation réelle de cette société présentait une perte qu'elle a estimée, au 31 juillet suivant, supérieure à 25 millions de francs et un actif net négatif supérieur à 17 millions de francs ; que, le 27 septembre 1991, elle a déposé plainte avec constitution de partie civile pour faux, présentation de comptes inexacts, abus de biens sociaux contre Jean X..., président du conseil d'administration de la société Moullet Frères ; que ce dernier a été déclaré coupable notamment de présentation de comptes annuels infidèles commis en 1988 et 1989 ;

Attendu que, pour débouter la partie civile de ses demandes, les juges, après avoir rappelé que le délit de présentation de documents comptables inexacts, destiné à assurer la foi due à la comptabilité d'une entreprise, ne peut justifier l'octroi de dommages- intérêts que pour autant que la présentation litigieuse a déterminé la remise de fonds, énoncent qu'il résulte des éléments objectifs du dossier que la publication des bilans inexacts de la société Moullet Frères n'a été déterminante ni de la décision de prendre une participation dans cette société ni de l'évaluation des actions ;

Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, d'où il résulte que le préjudice invoqué par la partie civile ne découlait pas directement du délit de présentation de comptes annuels infidèles, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6-1 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, 2 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, L. 225-252 et L. 242-6,3 du Code de commerce (ancien article 437,3 de la loi du 24 juillet 1966), 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société Moulins Soufflet du chef d'abus de biens sociaux et de recel de ce délit ;

"aux motifs que seules peuvent être, aux termes de l'article 2 du Code de procédure pénale, déclarées recevables et fondées en leur action civile, les personnes qui démontrent qu'elles ont subi un préjudice personnel directement causé par l'infraction reprochée ; que si l'action exercée de ce chef ùt singulier en application des dispositions de l'article 245 de la loi du 24 juillet 1966, devenu l'article L. 225-252 du Code de commerce est recevable, il demeure que l'abus de biens sociaux susvisé a causé un préjudice direct au sens de l'article 2 précité non à chaque associé mais à la société Moullet Frères elle-même ; que doit donc être déclarée irrecevable la constitution de partie civile fondée sur l'abus de biens sociaux et le recel de ce délit ;

"1) alors que l'actionnaire d'une société anonyme qui, postérieurement à I'abus de biens sociaux commis par le dirigeant, a acquis la quasi totalité des actions de la société, et sollicite la réparation du préjudice subi du fait de I'abus de biens sociaux, exerce nécessairement l'action ut singuli ; que la cour d'appel ne pouvait donc déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la requérante du chef d'abus de biens sociaux ;

"2) alors que lorsqu'une nouvelle jurisprudence conduit à violer un droit garanti par la Convention européenne, le principe de sécurité juridique s'oppose à ce que cette jurisprudence soit rétroactive et fasse disparaître un droit qu'elle consacrait jusqu'à la date du revirement ; que le revirement restreignant à la seule société le droit de se constituer partie civile du chef d'abus de biens sociaux ne peut être opposé à l'actionnaire qui s"était régulièrement constitué partie civile en l'état du droit positif alors en vigueur" ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la société Moulins Soufflet du chef notamment des abus de biens sociaux commis au préjudice de la société Moullet Frères par son dirigeant, l'arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que le principe de non rétroactivité ne s'applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle, la cour d'appel a fait l'exacte application de la loi ;

Que le moyen ne peut dès lors être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Samuel conseiller rapporteur, M. Challe conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Lambert ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 03-82801
Date de la décision : 05/05/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, 17 janvier 2003


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 05 mai. 2004, pourvoi n°03-82801


Composition du Tribunal
Président : Président : M. COTTE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:03.82801
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