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27/04/2004 | FRANCE | N°03-84682

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 27 avril 2004, 03-84682


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-sept avril deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle THOMAS-RAQUIN et BENABENT, et de Me SPINOSI, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Anne-Marie,

- LA SOCIETE HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES,

civilement responsable,

contre l

'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 7ème chambre, en date du 16 juin 2003, qui, dans la...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-sept avril deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle THOMAS-RAQUIN et BENABENT, et de Me SPINOSI, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Anne-Marie,

- LA SOCIETE HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES,

civilement responsable,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 7ème chambre, en date du 16 juin 2003, qui, dans la procédure suivie contre la première du chef de diffamation publique envers un particulier, après avoir constaté l'extinction de l'action publique en raison de l'amnistie, a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Marie-Pierre Y... a, le 19 septembre 2001, cité Anne-Marie X..., directeur de publication de Paris Match, devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un particulier à raison de la publication dans cet hebdomadaire, daté du 21 juin 2001, d'un article sous-titré "L'Affaire Z... rebondit : le père de la petite Lauriane vient d'obtenir l'asile politique en France", dans lequel il était affirmé que la mère de l'enfant "l'emmenait dans des parties fines où des adultes abusent sexuellement des enfants et les violentent" ;

Attendu que le tribunal, pour faire droit à l'exception de prescription soulevée par la prévenue, a retenu que le numéro de l'hebdomadaire contenant l'article litigieux, daté du 21 juin 2001, conformément à un usage commercial, avait été en réalité mis à la disposition du public le 14 juin 2001 ;

Attendu que, sur appel de la prévenue, les juges du second degré ont infirmé le jugement, constaté l'extinction de l'action publique en raison de l'amnistie et prononcé sur les intérêts civils ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 65 de la loi du 29 juillet 1881, 6 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 6, 10, 13 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des droits de la défense, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a rejeté l'exception de prescription soulevée par Anne-Marie X... et la société Hachette Filipacchi Associés ;

"aux motifs que "lorsqu'une publication périodique précise elle-même la date de publication, c'est cette date, sauf cas d'erreur ou de fraude, qui fixe le point de départ de la prescription, peu important que suivant un usage commercial, ladite publication soit mise en vente à une date antérieure ; que l'on ne saurait en effet exiger de la partie civile alors qu'une date précise est portée sur le périodique de rechercher la date de mise en vente effective ; que l'exploit introductif d'instance ayant été délivré moins de trois mois avant le 21 juin 2001, date portée sur l'hebdomadaire, c'est dans ces conditions à tort que le tribunal, se fondant sur l'attestation produite par la défense faisant état de l'usage de Paris Match de mettre en vente son hebdomadaire une semaine avant la date portée sur la publication, a, au motif de la prescription, qui, au demeurant, par application de l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 aurait dû le conduire à constater la prescription de l'action civile, a déclaré "la partie civile irrecevable" ;

"alors, d'une part, que la loi "doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse" ; que tout délit résultant d'une publication de presse est réputé commis à la date du premier acte de publication ; que, lorsque la publication porte l'indication d'une période, les parties peuvent rapporter la preuve de la date réelle de la mise de l'écrit à disposition du public ; qu'en écartant, en l'espèce, la preuve de la mise en vente de l'hebdomadaire Paris Match à une date antérieure à celle du 21 juin 2001, pour retenir cette date comme point de départ de la prescription, au seul prétexte qu'elle était portée sur la publication, la cour d'appel a violé le principe d'égalité de tous devant la loi pénale garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

"alors, d'autre part, que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal qui décidera du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ; que ce droit ne peut être effectif que si les parties peuvent présenter devant le juge tous les éléments de preuve nécessaires à la défense de leur cause ; qu'en écartant toute possibilité pour Anne-Marie X... et la société Hachette Filipacchi Associés de rapporter la preuve de la date réelle de la mise à disposition du public de l'exemplaire de l'hebdomadaire Paris Match daté du 21 juin 2001, la cour d'appel a violé ensemble les droits de la défense et l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales" ;

Attendu que, pour rejeter l'exception de prescription, les juges du second degré prononcent par les motifs reproduits au moyen ;

Attendu qu'en retenant ainsi que la date portée sur la publication incriminée devait être tenue comme étant celle du délit, après avoir, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exclu l'existence d'une erreur matérielle ou d'une fraude, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa dernière branche, doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 53 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale et violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Anne-Marie X..., prévenue, déchue du droit de faire offre de preuve de la vérité des faits ;

"aux motifs qu' "il résulte de l'article 55 de la loi sur la presse que le prévenu est tenu, lorsqu'il fait offre de preuve, d'articuler et de qualifier les faits dont il entend faire la preuve, ce qui ouvre le droit au plaignant de faire l'offre de contre-preuve prévue à l'article suivant ; qu'il s'agit de dispositions substantielles d'ordre public, dont l'inobservation doit être relevée, au besoin d'office, par les juges ; que la prévenue, dans son offre de preuve, s'est contentée d'indiquer qu'elle entendait "établir la vérité de tous les faits relatés dans les allégations", et après énumération des diverses pièces produites, que "que cette dénonciation de preuves établira la réalité des allégations réputées diffamatoires et des faits relatés dans l'article incriminé sous le titre "Le juge de Los Angeles désavoue la justice niçoise" qui débute par ces termes "Un français Karim Z... vient d'obtenir l'asile politique dans un pays pourtant peu souple en matière d'immigration (...)" et se termine par la phrase "Apparemment, le système judiciaire français ne combat pas la corruption, assène le magistrat américain" ; qu'en l'absence de toute articulation des faits, dont elle entendait rapporter la preuve, il y a lieu de déclarer la prévenue déchue du droit de faire la preuve de la vérité" ;

"alors que l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 impose à la partie civile de préciser et de qualifier dans la citation le fait incriminé ; que l'article 55 de la même loi impose au prévenu de signifier au ministère public ou au plaignant "les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité" ; que ce dernier texte vise à ce qu'il n'existe aucun doute dans l'esprit du plaignant sur la preuve contraire à administrer ; que, dans la citation du 19 septembre 2001, Marie-Pierre Y... se prétendait diffamée pour avoir été présentée comme ayant emmené sa fille dans des soirées pédophiles, et comme ayant organisé l'enlèvement de son propre enfant aux Etats-Unis ; que, dans son offre de preuve, Anne-Marie X... énonçait qu'elle entendait faire la preuve "des allégations réputées diffamatoires" et "des passages de l'article spécialement incriminés dans le corps de la citation directe délivrée le 19 septembre 2001" ; que la partie civile ne pouvait, par conséquent, avoir aucun doute sur les imputations diffamatoires et les faits qu'elle avait elle-même poursuivis et sur la preuve contraire qu'elle devait rapporter, ce qu'elle faisait d'ailleurs par avance par le biais de deux pièces ; qu'en déclarant néanmoins Anne-Marie X... déchue de son droit à rapporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires, la cour d'appel a violé ensemble l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, le principe des droits de la défense et l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales" ;

Attendu que, pour déclarer la prévenue déchue du droit de faire offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires, les juges du second degré prononcent par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'en effet, l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 exige que le prévenu spécifie les faits articulés et qualifiés dans la citation dont il entend prouver la vérité ; que cette spécification est nécessaire alors même que le prévenu entendrait faire la preuve de tous les faits visés dans la citation ; qu'il s'agit d'une formalité substantielle qui doit être observée à peine de déchéance du droit de faire la preuve ; que cette déchéance étant d'ordre public, elle doit être soulevée d'office par les juges ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

CONDAMNE Anne-Marie X... à payer à Marie-Pierre Y... la somme de 2 000 euros au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Chanet conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

Suivent les signatures :

Mention marginale :

Par arrêt en date du 25 mai 2004, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a rectifié l'arrêt du 27 avril 2004 ainsi que suit :

"Par ces motifs,

ORDONNE la rectification de l'arrêt n° 2377 du 27 avril 2004 en ce qu'il indique, page 2, "le père de la petite Lauriane vient d'obtenir l'asile politique en France" alors qu'il convient de lire "le père de la petite Lauriane vient d'obtenir l'asile politique aux Etats-Unis après avoir fui la France" ;

Le 7 juin 2004 Suit la signature


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 03-84682
Date de la décision : 27/04/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° PRESSE - Procédure - Action publique - Extinction - Prescription - Délai - Point de départ - Diffamation - Date de la publication - Portée.

1° ACTION PUBLIQUE - Extinction - Prescription - Délai - Point de départ - Presse - Diffamation - Date de la publication 1° PRESCRIPTION - Action publique - Délai - Point de départ - Presse - Diffamation - Date de la publication.

1° La date portée sur la publication incriminée doit être tenue comme étant celle du délit de diffamation publique, en l'absence de toute erreur matérielle ou de toute fraude.

2° PRESSE - Diffamation - Preuve de la vérité des faits diffamatoires - Moyens - Signification - Mentions nécessaires - Inobservation - Déchéance - Caractère d'ordre public.

2° L'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 exige que le prévenu spécifie les faits articulés dans la citation dont il entend prouver la vérité. Cette spécification est nécessaire alors même que le prévenu entendrait faire la preuve de tous les faits visés dans la citation. Il s'agit d'une formalité substantielle qui doit être observée à peine de déchéance du droit de faire la preuve. Cette déchéance est d'ordre public et doit être soulevée d'office par les juges.


Références :

1° :
2° :
Loi du 29 juillet 1881 art. 55
Loi du 29 juillet 1881 art. 65

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 16 juin 2003

Sur le n° 1 : Dans le même sens que : Chambre criminelle, 1993-06-29, Bulletin criminel 1993, n° 230, p. 577 (rejet), et les arrêts cités. Sur le n° 2 : A rapprocher : Chambre criminelle, 1994-11-29, Bulletin criminel 1994, n° 383 (1), p. 937 (rejet), et les arrêts cités ; Chambre criminelle, 2002-09-24, Bulletin criminel 2002, n° 173, p. 633 (cassation partielle).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 27 avr. 2004, pourvoi n°03-84682, Bull. crim. criminel 2004 N° 100 p. 382
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2004 N° 100 p. 382

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : Mme Commaret.
Rapporteur ?: Mme Chanet.
Avocat(s) : la SCP Thomas-Raquin et Benabent, Me Spinosi.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:03.84682
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