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08/04/2004 | FRANCE | N°01-16881;01-17188

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 08 avril 2004, 01-16881 et suivant


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Joint les pourvois n° V 01-16.881 et n° D 01-17.188 ;

Donne acte à l'association Maison de la culture de Loire-Atlantique et à M. Le X... de ce qu'ils se sont désistés de leur pourvoi n° V 01-16.881 en tant que dirigé contre la société SNPC, MM. Y... et de la Z... et le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 septembre 2001) et les productions, que le 30 octobre 1998, M. Le X...,

président du conseil d'administration de l'association Maison de la culture de Loire-...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Joint les pourvois n° V 01-16.881 et n° D 01-17.188 ;

Donne acte à l'association Maison de la culture de Loire-Atlantique et à M. Le X... de ce qu'ils se sont désistés de leur pourvoi n° V 01-16.881 en tant que dirigé contre la société SNPC, MM. Y... et de la Z... et le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 septembre 2001) et les productions, que le 30 octobre 1998, M. Le X..., président du conseil d'administration de l'association Maison de la culture de Loire-Atlantique (la MCLA), a, lors d'une conférence de presse, tenu à l'égard de l'ancien directeur général de cette association, M. A... dit B..., qu'il mettait en cause pour sa gestion, pour la coexistence de son statut de directeur général avec celui d'intermittent du spectacle et pour son comportement envers la MCLA, les propos suivants : "l'audit mit en lumière d'importants dysfonctionnements tenant notamment à des manquements importants aux règles de déontologie constatés à l'occasion d'avances faites à lui-même par le directeur général, avances pouvant être assimilées à des quasi-prêts. En effet, durant les trois années d'expertise, M. B... se signa lui-même, à neuf reprises, en n'en référant qu'une seule fois au président de l'époque, des chèques d'un montant variant de 23 000 à 100 000 francs, soit un total cumulé de 550 000 francs. Certes, me direz-vous, ces sommes ont été remboursées. Mais la pratique est-elle normale, qu'il s'agisse d'argent de sociétés privées et à plus forte raison d'argent public ! Ailleurs, n'importe quel employé eût été licencié sur le champ, fût-il directeur" ; "l'audit signalait encore des dysfonctionnements touchant aussi aux frais de déplacement et de réception et de cadeaux estimés excessifs. Un seul exemple : alors que M. B... était domicilié à Paris, il louait son appartement et descendait aux frais de la Maison de la culture de Loire-Atlantique au Grand Hôtel Intercontinental, place de l'Opéra" ; "Pourquoi M. B... tenait-il tant à ce statut ? Pour bénéficier des congés payés dus aux artistes, alors qu'il avait déjà cinq semaines au titre de la Maison ? En avait-il réellement besoin alors que son salaire, ses créations, les avantages liés à sa fonction, équivalent, en chiffres arrondis, à près de 100 000 francs par mois ?" ; "Ce que l'on reproche à M. B... c'est d'avoir laissé tenir, en présence de la presse, des propos violents, injurieux, voire diffamatoires à l'égard de sa propre entreprise, propos venant d'amis et ce sans réagir, sans même tenter de les contenir et postérieurement sans s'excuser " ;

que le 4 novembre 1998, le journal Libération a fait paraître un article sous le titre "Nantes, la Maison de la culture licencie son directeur" et le sous-titre "Plus que ses dépenses somptuaires, on reproche à Jean-Luc B... les propos de ses amis, comportant les passages suivants : "Echaudés par deux audits de gestion en 1996 et 1997 qui dénonçaient les dépenses somptuaires du directeur, les élus de la MCLA avaient, en effet, décidé de recadrer leur directeur....Or, on y découvre qu'entre 1994 et 1996, B... s'est lui-même consenti 550 000 francs d'avance en se signant sans contrôle des chèques allant jusqu'à 100 000 francs sortes de prêts à taux zéro remboursés quelques mois après...Domicilié à Paris, B... louait son propre appartement et descendait place de l'Opéra au Grand Hôtel Intercontinental, dépensant en 1996, pour 91 nuitées, 122 500 francs réglés par la MCLA avec près de 2 000 francs de frais par jour. Enchaînant illégalement quatre contrats à durée déterminée depuis sa nomination, il jouait aussi sur deux statuts à la fois...En cumulant salaires et avantages, créations et droits d'auteur, il frôlait les 100 000 francs mensuels.." ; que s'estimant diffamé, M. B... a fait assigner devant le tribunal de grande instance, le 25 janvier 1999, la MCLA, M. Le X..., la société SNPC, éditrice du journal Libération, M. Y..., directeur de la publication de ce quotidien et M. de la Z..., journaliste, en réparation de son préjudice ; que la MCLA, M. Le X..., la société SNPC, M. Y... et M. de la Z... ont fait notifier, dans les formes et délai légaux, une offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires ; que M. A... dit B... a fait notifier une offre de preuve contraire ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° V 01-16.881 et le premier moyen du pourvoi n° D 01-17.188, réunis :

Attendu que la MCLA, M. Le X..., la société SNPC, M. Y... et M. de la Z... font grief à l'arrêt de les avoir condamnés, in solidum, à payer à M. B... une certaine somme à titre de dommages-intérêts et d'avoir ordonné la publication d'un communiqué, alors, selon le moyen :

1 ) que pour déterminer si la preuve par l'auteur de la diffamation de la vérité des faits diffamatoires est rapportée, les juges ne doivent prendre en considération que les faits prétendument diffamatoires, à l'exclusion de tous autres faits ou de toutes autres circonstances, que dès lors que les faits allégués sont établis, ils ont un effet absolutoire de la diffamation que s'agissant de l'imputation concernant les avances que s'était octroyées M. B..., elles étaient constantes et constatées par la cour, sans qu'ait été imputée à M. B... une malhonnêteté ;

2 ) que s'agissant des frais excessifs et somptuaires reprochés par M. B..., leur existence n'était pas contestée, peu important que l'association ne les ait pas en leur temps contestés ;

3 ) que s'agissant du cumul de statuts et avantages y afférents, il n'était pas en lui-même contesté, peu important que l'analyse des rémunérations n'ait pas comporté d'anomalies ;

4 ) que s'agissant des propos injurieux des amis de M. B... lors d'une soirée organisée le 30 octobre 1998 contre lesquels il ne s'était pas élevé, le fait était avéré peu important que M. B... ait été directement responsable des propos tenus par ses amis ; que dès l'instant où la vérité des faits diffamatoires eux-mêmes était établie, la cour d'appel ne pouvait sanctionner la diffamation reprochée à M. Le X... et à l'association MCLA qu'en violation de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 ;

5 ) que concernant l'existence des avances que M. B... s'est consenti lui-même, il ressort des motifs de l'arrêt que les faits énoncés dans l'article étaient avérés et qu'ils n'ont pas été déformés ;

qu'en sanctionnant ce passage diffamatoire, bien que la vérité en soit établie, la cour d'appel a violé l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 ;

6 ) que concernant le train de vie somptuaire de M. B..., l'arrêt, qui s'est contenté des motifs selon lesquels il n'était pas démontré qu'il ait offert des cadeaux sans rapport avec le train de vie impliqué par sa fonction et qu'ils aient été disproportionnés, motifs inopérants à contredire la vérité des faits allégués, se trouve privé de base légale au regard de l'article 35 précité ;

7 ) que concernant les statuts auxquels prétendait M. B..., la véracité des imputations litigieuses ressort des termes mêmes de l'arrêt ; qu'en sanctionnant néanmoins la diffamation, aux motifs inopérants que M. B... n'était pas seul à bénéficier d'un double statut, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et violé l'article 35 précité ;

8 ) que concernant les déclarations des amis de M. B..., la cour d'appel ne pouvait que constater que la conseil d'administration de la MCLA reprochait bien à M. B... les propos de ses amis, nonobstant les considérations inopérantes selon lesquelles ce dernier n'était pas responsable des déclarations de ses amis ; qu'en statuant comme elle l'a fiat, la cour d'appel a violé l'article 35 précité ;

Mais attendu que l'arrêt retient que les quatre imputations formulées à l'égard de M. B..., sont diffamatoires en ce qu'elles laissent entendre que M. B... a profité de ses fonctions au sein de la MCLA pour s'attribuer des avantages indus au préjudice de celle-ci et qu'il n'a pas assuré le respect de son entreprise ; que la pratique des avances et acomptes était largement utilisée au sein de la MCLA sans que des règles spécifiques, conformes aux dispositions législatives, n'aient été édictées par le conseil d'administration ; que de nombreux salariés en ont ainsi bénéficié avec l'accord de la direction et que dès lors, M. B..., qui avait la confiance de celle-ci et détenait une délégation de signature, a pu estimer que cette pratique acquise pouvait le dispenser de requérir une autorisation préalable et pouvait l'autoriser à profiter de ces avantages, comme les autres salariés ; que deux rapports d'audit ont indiqué expressément que les frais engagés par M. B... l'ont été exclusivement dans le cadre de ses fonctions ; que l'un de ces rapports a relevé que compte tenu de l'activité exercée par M. B... et de la notoriété des comédiens engagés pour ses spectacles, ses déplacements à Paris étaient justifiés, de même que les dépenses exposées, afférentes aux frais de représentation ; que les contrats dont il a bénéficié en qualité d'intermittent du spectacle ont été épisodiques ;

que les rapports d'audit ne formulent aucune critique sur la pluralité des fonctions exercées, l'un des rapports précisant même que la situation de M. B... n'était pas unique dans la profession, et l'autre rapport indiquant, s'agissant de la situation contractuelle de M. B..., que l'analyse de ses rémunérations ne révélait pas d'anomalie par rapport aux termes de ses contrats ; que concernant les termes injurieux ou contraires à l'honneur ou à la considération de ses employeurs, que l'intéressé aurait laissé dire à ses amis lors d'une soirée, il convient de relever que M. B... n'a pas été l'instigateur de cette soirée ; qu'il ne saurait être tenu responsable des propos tenus par des tiers, rapportés par la presse, que lui-même n'a fait aucune déclaration injurieuse ou déplacée, et que le journal Ouest-France a indiqué dans son article paru le 22 octobre 1998, versé aux débats, qu'au cours de la soirée M. B... avait pris soin de rappeler son devoir de réserve ;

Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire que la preuve complète et corrélative des faits imputés à M. B... n'était pas rapportée au regard, tant de leur matérialité, que de leur portée et de leur signification diffamatoire ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi n° V 01-16.881 et le second moyen du pourvoi n° D 01-17.188, réunis :

Attendu que la MCLA, M. Le X..., la société SNPC, M. Y... et M. de la Z... font grief à l'arrêt d'avoir écarté le fait justificatif de la bonne foi, alors selon le moyen :

1 ) que la cour d'appel n'ayant examiné l'exception de bonne foi qu'au regard de "l'article incriminé" et n'ayant donné aucun motif au rejet de l'exception de bonne foi soulevée par M. Le X... et par l'association MCLA, a privé de ce chef son arrêt de base légale au regard des articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;

2 ) que la cour d'appel, qui refuse d'admettre la bonne foi, bien que l'article ne fasse que reprendre les motifs bons ou mauvais, du licenciement de M. B..., sans les apprécier, ce qui excluait toute recherche supplémentaire de la part du journaliste et s'imposait à lui, a violé les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;

3 ) que la condamnation est exclue dès lors qu'il est établi que le journaliste, qui n'était animé d'aucune intention de nuire, poursuivait un but légitime ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ;

4 ) que la cour d'appel qui ne pouvait écarter la bonne foi en exigeant du journaliste qu'il se distancie d'une citation dont elle le rend responsable, ce qui est incompatible avec le rôle de la presse, a violé l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que la bonne foi suppose la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression ainsi que la fiabilité de l'enquête ; que la reprise d'une information, diffusée lors d'une conférence de presse, ne dispense pas le journaliste de ses devoirs d'enquête préalable et de prudence dans l'expression de la pensée ;

Et attendu que l'arrêt retient que le caractère légitime de l'information relative aux raisons pour lesquelles M. Le X..., président du conseil d'administration de la MCLA a estimé devoir se séparer de son directeur général n'est pas contestable et que l'existence d'une animosité envers ce dernier n'est pas établie ; en revanche, que l'article incriminé présente sans nuance ni réserve M. B... comme étant coupable de faits de nature disciplinaire, voire pénale, en invoquant essentiellement l'un des rapports d'audit, mais sans communiquer l'ensemble des informations contenues dans celui-ci et en ne présentant que les extraits qui lui étaient défavorables, modifiant par là même le sens dudit rapport ;

que les intimés ne sauraient donc se prévaloir d'une enquête sérieuse préalable pour justifier leurs imputations ni d'une prudence suffisante dans l'expression ;

Que de ces constatations et énonciations, qui visaient, non seulement l'article de presse incriminé, mais aussi les propos tenus par le président du conseil d'administration de la MCLA, la cour d'appel a pu, sans méconnaître les dispositions de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui permettent de limiter la liberté d'expression pour protéger la réputation d'autrui, écarter le fait justificatif de la bonne foi ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne l'association Maison de la culture de Loire-Atlantique, MM. Le X..., Y... et de la Z... et la société SNPC aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes de l'association Maison de la culture de Loire-Atlantique et de M. Le X..., d'une part, de la société SNPC, de MM. Y... et de la Z... de deuxième part et de M. A... dit B... de troisième part ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 01-16881;01-17188
Date de la décision : 08/04/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

1° PRESSE - Procédure - Vérité des faits diffamatoires - Preuve - Etendue.

1° PRESSE - Procédure - Vérité des faits diffamatoires - Preuve - Matérialité - portée et signification des faits.

1° La preuve complète et corrélative de la vérité des faits diffamatoires doit être rapportée au regard tant de leur matérialité, que de leur portée et de leur signification.

2° PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Bonne foi - Eléments constitutifs - Définition.

2° PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Bonne foi - Enquête sérieuse et objective - Nécessité.

2° La bonne foi suppose la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l'expression ainsi que la fiabilité de l'enquête. La reprise d'une information, diffusée lors d'une conférence de presse, ne dispense pas le journaliste de ses devoirs d'enquête préalable et de prudence dans l'expression de la pensée.


Références :

Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales art. 10
Loi du 29 juillet 1881

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 27 septembre 2001

Sur le n° 2 : Dans le même sens que : Chambre civile 2, 2003-03-27, Bulletin, II, n° 84, p. 72 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 08 avr. 2004, pourvoi n°01-16881;01-17188, Bull. civ. 2004 II N° 185 p. 156
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 2004 II N° 185 p. 156

Composition du Tribunal
Président : M. Ancel.
Avocat général : Premier avocat général : M. Benmakhlouf.
Rapporteur ?: M. Grignon Dumoulin.
Avocat(s) : Me de Nervo, la SCP Piwnica et Molinié.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:01.16881
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