AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le seize mars deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI et les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Lucien,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de RENNES, en date du 4 décembre 2003, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'association de malfaiteurs et recel, a rejeté sa demande d'annulation d'actes de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 23 janvier 2004, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles L. 226-16 et L. 226-19 du Code pénal, des articles 2, 3, 4, 5, 15, 20, 26-1, 27, 28, 29, 29-1, 30, 31, 32, 33 et 45 de la loi n 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, de l'article 1349 du Code civil, des articles 173, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête du demandeur tendant à voir prononcer la nullité des pièces figurant aux annexes 1, 2, et 3 de la procédure n° 1102/02 de la brigade territoriale de Nantes (annexes D2), ainsi que de toutes les pièces de la procédure s'y référant ou en constituant l'exploitation ;
"aux motifs que, l'exploitation des données retenues par les enquêteurs les a amenés à dresser des tableaux relationnels qui font notamment apparaître les identités et adresses des personnes concernées ainsi que les types et immatriculations des véhicules automobiles qui leur appartiennent ou qu'ils utilisent (D2) ; qu'un témoin a remis aux enquêteurs une liste manuscrite de véhicules à partir de laquelle ils ont dressé un tableau faisant apparaître les identités, dates et lieux de naissance des propriétaires des véhicules en question (D3 et ses 13 pièces annexes) ; que les investigations, réalisées dans le cadre d'une enquête préliminaire, sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire, nécessitaient la collecte de renseignements multiples portant sur les identités les origines et les habitudes de vie d'individus connus des services de police et sur leur entourage, et constituaient des mesures nécessaires à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales ; qu'ensuite, l'utilisation d'un micro-ordinateur ou d'un autre appareillage informatique par des enquêteurs ne suffit pas, à elle seule, à caractériser un traitement automatisé au sens de l'article 5 de la loi du 6 janvier 1978 ; que le législateur, n'a pas entendu
interdire à tout officier de police judiciaire de recourir aux facilités techniques que peut lui procurer l'informatique dans le cadre des enquêtes judiciaires effectuées sous le contrôle de l'autorité judiciaire ; que les "tableaux relationnels", établis par les officiers de police judiciaire dans le cadre de l'enquête préliminaire, ont été réalisés, non pas de façon automatique par des interconnexions prohibées ou sur la base d'éléments fournis par un fichier non autorisé, mais à partir de renseignements contenus dans les dossiers de mariage conservés à la mairie de Nantes, les informations recueillies étant donc contenues dans des dossiers papier à l'exclusion de toute conservation sur support magnétique pour quelque traitement ultérieur que ce soit ; qu'il en va de même des tableaux de véhicules automobiles qui ont été dressés à partir d'une liste manuscrite rédigée par un témoin ; qu'il apparaît ainsi que le matériel informatique n'a été utilisé par les enquêteurs que pour retranscrire sous forme de tableaux les renseignements recueillis pour les besoins exclusifs de l'enquête et en vue de leur édition sur support papier ; que, dès lors, Lucien X... est mal fondé à invoquer une violation des dispositions de la loi relative aux fichiers et aux libertés du 6 janvier 1978 et du principe du droit au respect de la vie privée édicté par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que la loi 2003-239 pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003 a pour objet de prévoir et de réglementer la mise en oeuvre par les services de la police nationale ou de la gendarmerie des applications automatiques d'informations nominatives recueillies au cours d'enquêtes ou d'investigations de toute nature concernant tout crime, délit et contraventions de cinquième classe spécifiées, afin de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;
1 ) "alors, d'une part, que lorsque la régularité d'une pièce de procédure dépend de l'accomplissement d'un acte par les officiers de police judiciaire et que la preuve directe de l'accomplissement de cet acte n'est pas rapportée par l'autorité de poursuite, le juge ne peut pas, sans méconnaître le principe de l'égalité des armes, présumer son existence ; que ne justifie pas légalement sa décision au regard des textes susvisés la cour d'appel qui, à la seule vue des tableaux de données nominatives établis par les enquêteurs et sans relever aucune autre circonstance de la cause de nature à étayer cette affirmation, conclut que les fichiers litigieux n'ont pas été réalisés à l'aide d'un logiciel de recoupement de données ou d'un programme d'interrogation de fichiers centraux, mais qu'ils résultent de l'enregistrement, donnée par donnée, des informations y figurant par les officiers de police judiciaire, pour les faire échapper à l'application de la loi du 6 janvier 1978 ;
2 ) "alors, d'autre part, et en tout état de cause, que la seule création de fichiers informatiques par des officiers de police judiciaire, même si les données y figurant ont toutes été insérées une à une par les enquêteurs sans avoir recours à des logiciels de recoupement de données ou d'interrogation de fichiers centraux, constitue un "traitement automatisé de données" au sens de l'article 5 de la loi du 6 janvier 1978 ; de sorte que méconnaît cette définition et ne justifie pas légalement sa décision au regard des textes susvisés la chambre de l'instruction qui affirme que les tableaux ayant servi de base aux poursuites n'entraient pas dans le champ d'application de la loi du 6 janvier 1978 cependant qu'elle constate elle-même que, au minimum, les enquêteurs auraient retranscrit sur un ordinateur l'ensemble des données nominatives recueillies au cours de leurs investigations, sans recueillir au préalable les autorisations requises par la loi précitée ;
3 ) "alors, de troisième part, et de toutes façons, qu'aux termes de l'article 45 de la loi du 6 janvier 1978, même lorsqu'ils sont établis sur un support papier, les fichiers de données nominatives suivent le régime des fichiers informatiques tel qu'il résulte des articles 26-1, 27, 28, 29, 29-1, 30, 31, 32 et 33 de ladite loi ; qu'au cas présent, il est incontestable que les enquêteurs, qui ont établi les fichiers litigieux pendant l'enquête préliminaire, c'est-à-dire pendant une phase secrète et non contradictoire de la procédure, n'ont pas respecté ces dispositions et, en particulier, qu'ils n'ont pas informé les personnes dont les noms figuraient dans les fichiers de leur droit d'accès, d'opposition et de rectification ; qu'en validant néanmoins ces pièces de procédure au regard de la loi du 6 janvier 1978 la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
4 ) "alors, de quatrième part, que la constitution, par les officiers de police judiciaire, de fichiers de données nominatives, quelles qu'en soient les modalités, constitue une ingérence de l'Etat dans la vie privée des individus y figurant ; que, dès lors, l'établissement de fichiers de ce type doit être prévu par la loi ; qu'au cas présent, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que les fichiers ayant servi de base aux poursuites comportaient des données nominatives ; qu'en validant ces pièces de procédure en se bornant à relever que leur établissement n'entrerait pas dans le champ d'application de la loi du 6 janvier 1978 mais sans constater qu'il aurait été prévu par la loi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
5 ) "alors, de cinquième part, que l'article L. 226-19 du nouveau Code pénal prohibe la mise en mémoire informatique sans l'accord de l'intéressé de données nominatives qui, directement ou indirectement, font apparaître ses origines raciales, ses opinions politiques ou ses moeurs ; qu'au cas présent, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que les données figurant dans les tableaux litigieux concernaient des personnes impliquées dans des mariages mixtes franco-roumains ou ayant fait une demande d'asile politique ; qu'en validant des pièces réalisées par ordinateur qui faisaient ainsi apparaître les origines, les moeurs et les opinions politiques des personnes visées, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
6 ) "alors, de sixième part, que ne justifie pas non plus sa décision au regard des textes susvisés la cour d'appel qui ne répond pas aux conclusions prises par le demandeur de ce chef (cf. requête afin de nullité p. 4) ;
7 ) "alors, enfin, qu'en ne répondant pas non plus aux conclusions du demandeur (cf. requête afin de nullité p. 4 7) qui faisaient valoir qu'il avait fait l'objet de poursuites sur la base d'un tableau informatique, en violation de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 qui interdit de fonder une décision de justice impliquant l'appréciation d'un comportement humain sur un traitement automatisé d'informations, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, pour les besoins d'une enquête préliminaire portant sur des faits de vols aggravés auxquels se seraient livrés des individus d'origine roumaine, les services de gendarmerie ont regroupé sous forme de tableaux des informations obtenues tant d'un officier d'état civil que d'un témoin, à partir desquels ils ont, dans un procès-verbal de synthèse, dégagé les liens existant entre des personnes, des véhicules et des domiciles ;
Attendu que Lucien X..., mis en examen, a saisi la chambre de l'instruction sur le fondement de l'article 173 du Code de procédure pénale en demandant que soit prononcée la nullité des fichiers informatiques qui auraient servi, selon lui, à l'élaboration de ces tableaux ;
qu'au soutien de sa requête, il a prétendu que la gendarmerie avait procédé à un traitement automatisé d'informations nominatives en violation tant des articles 226-16 et suivants du Code pénal que des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, la chambre de l'instruction énonce notamment que l'utilisation d'un appareillage informatique ne suffit pas, à elle seule, à caractériser un traitement automatisé au sens de l'article 5 de la loi "informatique et libertés", et que rien ne permet de retenir que les informations collectées aient fait l'objet d'un traitement automatisé, ni même qu'elles aient été conservées au- delà de leur édition sur support papier ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, le moyen qui reprend de simples allégations auxquelles les juges n'étaient pas tenus de répondre autrement qu'ils ne l'ont fait, ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Ménotti conseiller rapporteur, M. Joly, Mme Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mmes Nocquet, Palisse conseillers de la chambre, M. Valat conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Chemithe ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;