AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par actes du 24 janvier 1996, le Crédit mutuel de Blaye (la Caisse) a consenti à la société FJ Conseil un prêt de 615 000 francs, et un prêt de 1 385 000 francs, en garantie desquels Mme Chantal X... a "nanti sous forme de gage" un contrat Prévi-Retraite, souscrit auprès de la société Suravenir, d'une valeur capitalisée de 615 124,50 francs, et un autre contrat de même nature, souscrit auprès de la même société, d'une valeur capitalisée de 1 333 500 francs ; que des échéances de remboursement de prêts étant restées impayées, la Caisse, se prévalant de la déchéance du terme, a assigné la société FJ Conseil, laquelle a été postérieurement mise en liquidation judiciaire, et Mme Chantal X... en paiement des sommes dues au titre de ces prêts, en invoquant les dispositions de l'article 2078 du Code civil concernant les gages ; qu'en cause d'appel, Mme Chantal X... a fait valoir que les deux contrats Prévi-Retraite nantis faisaient l'objet d'un démembrement entre elle, nu-propriétaire, et sa mère, Mme Berthe X..., usufruitière, placée sous tutelle et que les nantissements, faits sans l'autorisation du juge des tutelles, étaient nuls ; que la Caisse a demandé, en cas d'annulation des nantissements, la condamnation de Mme Chantal X..., sur le fondement de l'article 1116 du Code civil, à lui payer à titre de dommages-intérêts les sommes représentant la contre-valeur des deux contrats Prévi-Retraite ;
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Vu les articles 578 et 621 du Code civil ;
Attendu aux termes du second de ces textes, que la vente de la chose sujette à usufruit ne fait aucun changement dans le droit de l'usufruitier qui continue à jouir de son usufruit s'il n'y a pas formellement renoncé ;
Attendu que pour dire nulles et de nul effet les garanties constituées par Mme Chantal X..., l'arrêt retient que le nantissement des deux contrats démembrés dont l'usufruitière était placée sous tutelle aurait dû faire l'objet d'une autorisation du juge des tutelles, s'agissant d'un acte de disposition ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le nu-propriétaire peut librement disposer de la chose en la vendant ou la donnant en garantie, indépendamment du droit réel d'usufruit qui peut être exercé en quelques mains que la chose se trouve, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1116 du Code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande indemnitaire de la Caisse, l'arrêt retient que celle-ci ne peut sérieusement prétendre ne pas avoir été informée de la situation réelle des contrats nantis, alors que la société Suravenir, auprès de laquelle les contrats Prévi-Retraite étaient souscrits "en démembrement", était sa filiale ;
Attendu qu'en se déterminant par ces seuls motifs, impropres à établir la connaissance qu'avait la Caisse, personne juridique distincte de la filiale, des conditions de souscription des contrats, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 décembre 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne Mme Chantal X... et M. Y..., ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes des parties ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en son audience publique du dix-huit février deux mille quatre.