AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société dirigée par M. Jean X..., qui employait notamment MM. Y..., Z..., A..., B..., C... et D..., ces derniers étant respectivement délégué syndical et délégué du personnel, a annoncé sa cessation totale d'activité en raison de l'état de santé de son gérant le 7 décembre 1996 ; que le tribunal de commerce de Blaye a prononcé le 14 juin 1996 sa liquidation judiciaire sans redressement judiciaire et sans passif et désigné M. E... en qualité de mandataire-liquidateur ; que se prévalant de la création d'une société Dynamic peinture, ayant le même objet que la société X... ayant démarré son activité le lendemain de la cessation officielle de celle de la société X..., dirigée de fait par M. Frédéric X..., détenteur de parts sociales dans la société X... jusqu'au 13 février 1996, date de leur cession à son père, M. Jean X..., et employant une partie des anciens salariés de la société X..., et des trois refus successifs de l'inspection du travail d'autoriser le licenciement des salariés protégés, les salariés ont attrait devant la juridiction prud'homale M. E..., ès qualités de liquidateur à la liquidation de la société X..., la société Dynamic peinture et M. Jean X..., en vue d'obtenir, pour les salariés protégés, leur réintégration et à défaut des dommages-intérêts pour licenciement nul et atteinte à leur statut protecteur et, pour les salariés non protégés, le constat de la nullité de leur licenciement en application de l'article L. 122-12 du Code du travail et à défaut des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Sur les deuxième et troisième moyens réunis :
Attendu que les salariés font grief à l'arrêt attaqué d'avoir mis hors de cause la société Dynamic peinture et de les avoir déboutés de leurs demandes tendant à ce que soit constatée la nullité de leur licenciement et constatée la responsabilité solidaire des sociétés X... et Dynamic peinture et de M. E..., alors, selon le deuxième moyen :
1 / que s'agissant de l'appréciation du caractère réel et sérieux des motifs du licenciement, l'administration de la preuve est I'oeuvre commune des parties et du juge ; qu'en déboutant les salariés des demandes qu'ils formaient au titre du caractère abusif de leur licenciement au seul motif qu'ils ne rapportaient pas la preuve de ce caractère et qu'elle ne disposait pas d'éléments suffisants, la cour d'appel a fait supporter la charge entière de la preuve aux seuls salariés ; qu'elle a, par là, méconnu son office et violé l'article L. 122-14-3 du Code du travail ;
2 / que l'arrêt attaqué vise expressément la décision de refus d'autorisation du licenciement de l'inspecteur du travail compétent en date du 12 juillet 1996 ; que si cette décision, particulièrement circonstanciée et qui faisait ressortir la poursuite de l'activité de la société Dynamic peinture et la volonté frauduleuse et discriminatoire de l'employeur, ne s'imposait pas au juge, elle n'en constituait pas moins un élément d'appréciation essentiel du débat ; qu'en refusant de la prendre en considération, en ne l'analysant pas et en n'appréciant pas la portée des documents préparatoires produits par les salariés - documents dont elle constituait la conclusion, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
3 / que la cour d'appel, dans son arrêt avant dire droit en date du 18 octobre 1999, a enjoint à l'employeur de lui fournir le registre du personnel de la société Dynamic peinture pour l'année 1996 dont il lui était " indispensable d'avoir connaissance " ; qu'elle a ensuite débouté les salariés de leurs demandes au motif qu'ils ne lui apportaient pas les éléments de preuve réclamés, sans se prononcer sur la production et/ou sur la valeur probante des pièces demandées à l'employeur, alors même que dans leurs conclusions après réouverture des débats, les salariés exposants sollicitaient de la cour d'appel qu'elle constate le refus de la société Dynamic peinture de fournir son livre d'entrées et sorties du personnel ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de motifs, ne permettant pas à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle, au regard desdits articles L. 122-12 et L. 122-14-3 du Code du travail ;
Qu'en outre, en s'abstenant de répondre à ce chef péremptoire des écritures des salariés, elle a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4 / que les salariés soutenaient expressément, dans leurs conclusions devant la cour d'appel, que l'employeur avait volontairement organisé la ruine puis la cessation d'activité de la société X... dans le but, absolument discriminatoire, de faire disparaître la représentation du personnel dans son entreprise ; qu'en considérant les licenciements des salariés justifiés par la cessation d'activité de la société X..., en s'abstenant totalement de répondre à ce chef déterminant des conclusions des salariés, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
5 / que, par une décision particulièrement circonstanciée, refusant l'autorisation du licenciement des salariés protégés de la société X..., MM. D... et C..., l'inspecteur du travail compétent a, au vu des éléments recueillis au cours de son enquête contradictoire des 28 juin 1996 et 10 juillet 1996, constaté une fraude à l'article L. 122-12 du Code du travail et des indices de discrimination concordants et nombreux ; qu'en refusant de prendre en considération cet élément essentiel aux débats au motif adopté que l'enquête de l'inspecteur du travail était " non contradictoire ", les juges du fond en ont dénaturé les termes clairs et précis et violé l'article 1134 du Code civil ;
6 / qu'il résultait des conclusions des salariés devant la cour d'appel que la société Dynamic peinture avait embauché, pour exercer une activité identique à celle de la société X..., sept salariés de la société X... ; que cela était confirmé tant par l'inspecteur du travail que par le fait que la société X... n'avait demandé à l'ANPE que huit conventions de conversion alors que le plan de licenciement concernait seize salariés ; qu'en s'abstenant de rechercher si l'activité de la société X... ne s'était pas poursuivie au sein de la société Dynamic peinture avec une partie de ses salariés, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L.122-12 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, par motifs adoptés, a retenu qu'indépendamment de toute fraude, les conditions d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail n'étaient pas réunies dès lors qu'il n'y avait pas eu transfert d'une entité économique dont l'activité s'était poursuivie ; que les moyens ne sont pas fondés ;
Mais sur le premier moyen :
Vu les articles L. 425-1 et L. 436-1 du Code du travail ;
Attendu que la cour d'appel a prononcé la résiliation judiciaire des contrats de travail de MM. D... et C..., salariés protégés, et les a débouté de leurs demandes d'indemnisation aux motifs adoptés que, par décision du 13 juin 1996, l'inspecteur du travail refusait une nouvelle fois le licenciement de deux salariés protégés, que cette décision de refus a pour conséquence de maintenir les contrat des deux salariés alors que la société n'existe plus et que le mandataire-liquidateur ne peut trouver de reclassement inexistant en l'état, que le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour contester la validité du jugement du tribunal de commerce prononçant la liquidation de la société X..., que le fonds de commerce ne subsiste plus en tant qu'entité économique ;
Qu'en statuant ainsi, alors que licenciement d'un salarié protégé, prononcé sans autorisation administrative, est nul, et que le contrat de travail d'un représentant du personnel ne peut faire l'objet d'une résiliation judiciaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en ses seules dispositions déboutant MM. D... et C... de leurs demandes de dommages-intérêts pour nullité de leur licenciement et violation de leur statut protecteur, dirigées contre M. E..., ès qualités de mandataire-liquidateur de la société X..., l'arrêt rendu le 17 avril 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;
Condamne les défendeurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne les défendeurs à payer à M. D... et à M. C... la somme de 400 euros chacun ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze février deux mille quatre.