AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le second moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant constaté que la villa de Mme X... subissait une perte d'ensoleillement notable eu égard à la hauteur et à la masse de la résidence, que le nombre de vues directes sur la terrasse de la villa avait augmenté, que le passage commun, emprunté à l'origine par huit voitures, l'était désormais par vingt et un véhicules supplémentaires, que les consorts Y... subissaient également le passage de ces véhicules, une perte d'ensoleillement notable ainsi que des vues droites sur leur propriété et qu'il en résultait, selon l'expertise, une diminution de valeur de leur appartement d'au moins 25 %, la cour d'appel, qui en a déduit l'existence de troubles dépassant les inconvénients normaux de voisinage, a légalement justifié sa décision ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 25 juin 2002), que Mme X... et les consorts Y... sont respectivement propriétaires d'une villa et d'un appartement séparés par un passage privé commun d'une parcelle appartenant à la société civile immobilière Villa France (SCI) ; que la SCI ayant fait construire sur cette parcelle un immeuble de six étages, haut de 19 mètres et comprenant 27 logements, Mme X... et les consorts Y... l'ont assignée en dommages-intérêts sur le fondement de troubles anormaux de voisinage et en suppression de vues illégales ;
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer des dommages-intérêts et à obturer par un verre opaque la façade latérale du balcon donnant sur les fenêtres de l'appartement des consorts Y..., alors, selon le moyen, que l'article 678 du Code civil ne s'applique qu'aux propriétés contiguës ; qu'en décidant qu'il devait en être fait application en l'espèce, bien qu'un passage commun aux voisins et à un tiers, Mme X..., sépare les deux fonds, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 678 du Code civil ;
Mais attendu que les prescriptions de l'article 678 du Code civil, relatives à la distance légale pour l'établissement de vues droites, s'appliquant lorsque le fonds dans lequel la vue a été établie est séparé du fonds sur lequel elle donne par un espace privé commun, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que la distance légale devait alors s'apprécier non pas au milieu de la voie commune, mais de l'autre côté de celle-ci ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Vu les articles 680 et 678 du Code civil ;
Attendu qu'on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage ; que la distance se compte depuis le parement extérieur du mur où l'ouverture se fait, et, s'il y a balcons ou autres semblables saillies, depuis leur ligne extérieure jusqu'à la ligne de séparation des deux propriétés ;
Attendu que pour condamner la SCI à obturer par un verre opaque la façade latérale du balcon donnant sur les fenêtres de l'appartement des consorts Y..., l'arrêt retient que la SCI a construit sur la limite séparative, donc à une distance supérieure aux dix-neuf décimètres exigés par l'article 678 du Code civil, compte tenu de la largeur du passage commun, mais que la fenêtre "bow-window" des consorts Y... avance au-delà de la limite de leur terrain, de sorte que la résidence est implantée à 1,80 mètre de cette fenêtre ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la distance légale pour l'établissement des vues droites se compte jusqu'à la limite du fonds sur lequel s'exerce la vue, même en présence de balcons ou autres saillies avançant au-delà de cette limite, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a ordonné à la SCI Villa France de faire obturer par un verre opaque la façade latérale du balcon donnant sur les fenêtres de l'appartement des consorts Y..., sous astreinte de cinquante euros par jour de retard passé le délai de trois mois après signification de la décision, l'arrêt rendu le 25 juin 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne les consorts Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne les consorts Y... à payer à la SCI Villa France la somme de 1 900 euros ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande des consorts Y... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille quatre.